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(Anthologie permanente), Eric Villeneuve, Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc

Par Florence Trocmé



Capture_decran_2022-02-22_a_09.30.47Eric Villeneuve publie Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc, aux éditions LansKine.
Extraits

Les mots, les phrases que j’ai pu prononcer hier – hier, avant-hier ou le jour d’avant -, eh bien toutes ces paroles, désormais, elles résistent.
Leur élasticité est perdue, en tout cas, et leur territoire clos : il semble que je ne puisse rien leur ajouter.
Pas même me rappeler d’elles, en silence.
*
Petites maisons de ville, à défaut.
Avec des murs blancs, gris ou jaune pâle.
*
Petites maisons – et les cartouches, les inscriptions sur leurs murs :
« Jensens », « Brohus », « Odense ».
Lire ces mots l’un après l’autre, c’est comme sauter de pierre en pierre. Comme quand on descend le cours d’une rivière sans toucher l’eau.
La rivière, elle est là. Elle est toujours là, en aval. Ce sont les mots qui coulent, s’écoulent de nous en permanence. Il n’empêche, je saute sur d’autres mots qu’eux, à présent. Je saute sur des pierres au milieu de l’eau :
                     Odense
   Brohus
   Jensens

Lentement, très lentement, apparaissent des silhouettes, dans la lumière grise.
Toutes resteraient floues, insaisissables, sans les vêtements de pluie qui les enveloppent...
*
Des passants, me dis-je.
Peut-être même des habitants.
*
N’étaient ces vêtements de couleurs vives, il n’y aurait pas de passants dans Odense.
Pas pour moi en tous cas.
Il n’y aurait que de vagues silhouettes, des créatures embrumées.
*
Peut-être un état de grande faiblesse ?
Un des ces moments où les autres, également, faiblissent, autour de nous, comme pressés de se fondre dans un décor minéral, de nous abandonner à un monde désert.
*
Mais voici qu’arrive une jeune fille en coupe-vent rouge, à l’angle de la Hans Jensens Stræde...
Ce coupe-vent, je le sens, il a quelque chose de perméable.
Avant, certes, il protégeait des intempéries.
Maintenant que l’air frais succède à la pluie, il laisse passer.
*
De vivifiants effluves, en l’occurrence : la jeune fille s’anime, un début de sourire apparaît sur son visage tandis qu’elle ôte sa capuche, secoue la tête, donne un peu de volume à ses cheveux ondulés, d’un blond de lin.
Dans un conte...
Dans un conte, une histoire écrite à Odense même, ce serait mon tour – juste après la jeune fille en rouge – d’être ramené à la vie par un vêtement de pluie.
La pluie elle-même aurait cessé mais j’en accueillerais le souffle, en moi, grâce à mon perméable.
*
Est-ce donc cela, un conte ? Une histoire que l’on improvise, en état de faiblesse ou de sidération, à la faveur de quelques mots nouveaux ?
En tout cas, l’âge que l’on a, aux portes du conte, et l’âge que l’on a, en son sein (tel que l’on s’y projette), ce n’est pas le même.
A l’intérieur du conte, on remonte si naturellement vers la source qu’aussitôt on rajeunit.
*
« Jensens », « Brohus », « Odense », telle est l’histoire, à la source.
L’histoire, improvisée, d’un vêtement de pluie – coupe-vent rouge dans le cas de la jeune fille ; et ciré jaune, mettons, pour moi (comme quand j’étais enfant et que le jaune était ma couleur préférée).
*
Sautant sur d’autres mots que les miens, et vêtu d’un « perméable » jaune, tel le ressort, fragile, ténu, de ce ...
Eric Villeneuve, Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc, Editions LansKine, 2022, 88 p., 14€, pp. 13-16
Sur le site de l’éditeur :
À quoi reconnaît-on les enfants perdus sinon à ce que le sort s’est acharné sur eux ? Leur curriculum, en effet, abonde en brimades, spoliations et autres avanies. Souvent, ils y ont perdu jusqu’à leur nom et prénom. De sorte qu’exister, pour eux, ne tient plus qu’à un fil : l’improbable surnom dont ils sont affublés.
Ainsi en va-t-il de TACHE JAUNE, de MONOCHROME BLEU et de SORTE DE BLANC, les « enfants perdus » de cette histoire. Que leur est-il donc arrivé ? De quoi ces trois couleurs sont-elles le nom ?
Pour le savoir, il faut bouter nos héros hors de leur titre à rallonge… Ils y figurent seuls et trop bien alignés, comme à l’abri du monde, tandis que dehors c’est le livre grand ouvert : le Danemark d’Andersen, le Jutland et son finistère, là où tout s’est joué pour eux, jadis, entre Odense et Skagen.
Un lecteur qui cheminerait en leur compagnie pourrait bien découvrir que lui aussi a partie liée avec une histoire ancienne. Et que le sentiment d’incomplétude dont il se plaint parfois tient peut-être à l’ambiguïté de sa propre nature : bien que « né des œuvres » de ses parents, il serait également originaire d’un conte.
Lire cette note de lecture de Florence Trocmé.  


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