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(Anthologie permanente), Antoine Dufeu, Nous abstraire

Par Florence Trocmé


NOUS-ABSTRAIRE_1-796x1024Antoine Dufeu publie Nous abstraire aux éditions de l’Attente.
Nous vivons ensemble. Nous ne faisons même que cela : vivre ensemble. Évidemment. Le simple fait que nous vivions ensemble rend inepte et inopérant le concept ou le pseudo-concept de vivre-ensemble et la question de savoir comment nous pouvons voire pourrions vivre ensemble. Pratiquement, puisque la renommée de celui-ci se développe il constitue un empêchement au développement d'une ou de plusieurs formes nouvelles de pensées politiques. Comment pourrions-nous penser la politique en partant du postulat que nous ne vivons pas d'ores et déjà ensemble ? (12)
Privés d'une quelconque licéité, empêchés de vivre licitement et obligés de vivre illicitement, nous qui ne sommes ni compétents ni incompétents, nous qui ne sommes pas des chefs et qui n'en serons jamais parce que nous ne donnons pas d'ordre et n'en donnerons pas, nous qui ne prenons pas de décision pour ou à la place d'autrui, nous qui ne parlons pas davantage au nom de qui que ce soit, personnes morales ou personnes physiques, nous qui optons pour les épreuves plutôt que pour les preuves, nous qui sommes bénévolents, merveilleux, fantasques et fantastiques, cherchons à être capables et puissants. Nous abstraire, telle est notre action, telle est l'unique action que nous puissions entreprendre. Nous abstraire, telle est notre pensée, parfois obsessionnelle, quelquefois bornée ou déterminée (27)
Si nous étions en paix nous le saurions. Si nous œuvrions à la paix nous la ferions. Si nous nous préoccupions de la paix nous cesserions d’envisager des gains et des pertes effectifs ou possibles, tangibles ou intangibles lorsqu’il s’agit de poser une ou des égalités. Si nous étions en paix nous serions des pays, une multitude de pays parmi des nations ou des États parce qu’un pays fait la paix et qu’une nation ou qu’un État ne la font pas ; ils la défont plutôt. La paix nous importe. Seule la paix nous importe, maintenant, ici. Nous qui ignorons qui nous sommes et plus encore combien nous sommes – qu’importe que nous soyons mille, dix mille, cent millions, des milliards – n’avons aucune envie de nous battre, de combattre ou de lutter et abandonnons toute idée de milice à quiconque entretient les moyens de la guerre, les moyens d’être en guerre, de ne pas faire la paix, de ne pas faire œuvre de paix. (49)
Antoine Dufeu, Nous abstraire, Editions de l’attente, 2022, 60 p., 8€
sur le site de l’éditeur
Dans un éloge politique inclusif, non-individualiste et non-capitaliste, l’auteur creuse la question d’une écriture à la première personne du pluriel autour des notions de joie, de luxe et de paix. « Parce que nous sommes des personnes joyeuses et luxueuses, et que la paix est politique et dès lors l’affaire des vivants. » En résistance aux diktats du « je », des chefs et des institutions qui ordonnent et font exécuter, le « nous » revêt toute sa dimension de relation entre les êtres, sans différence de genre, de situation sociale ou économique. Nous sommes des êtres par lesquels le monde existe et peut se distinguer de l’immonde.
Antoine Dufeu est né à Laval en 1974 et vit à Paris. Après avoir été contrôleur de gestion dans une multinationale américaine et journaliste dans la presse automobile, Antoine Dufeu est enseignant en écriture et en édition en école d’art et de design. Poète et écrivain, il est notamment l’auteur de Nous (Mix., 2006), Abonder (Nous, 2010), AGO – autoportrait de Tony Chicane (Le Quartanier, 2012), Blancs (Cneai=, 2014), Sic (Al dante, 2015), Sofia-Abeba (MF, 2020).
Il a fondé et dirige la plateforme de recherche et d’édition Lic depuis 2012. Il co-dirige avec Frank Smith la revue de poésie RIP et forme avec Valentina Traïanova le duo Lubovda.


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