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(Anthologie permanente), Myung Mi Kim (traductions inédites de Jean-René Lassalle)

Par Florence Trocmé


CommonsExorde 1

Ceux qui sont d’origine étrangère. Ceux qui viennent de sources oubliées. Lieu et corps. Temps et action. La neige tombe. Neige tombante. Une neige tombée. Un ballon rouge et un oiseau aux ailes noires en un semblant de traversée dans une misère de ciel.
Les chroniqueurs pénètrent le texte et le métier. Fut pour les enfants mourant avant leurs mères. Comptabilités, comptes-rendus. Défense d’une nation. Les noms des choses façonnés par mains humaines. Créant une famine où réside l’abondance.
Cartographiant aiguilles. Gemmes et minéraux. Fourrures et rondins. Altérations par la perte ou la transposition d’une seule mince syllabe. Le jour suivant est une distance astronomique et une main noueuse déterrant l’oignon sauvage.
Source : Myung Mi Kim : Commons, University of California Press 2002. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Exordium 1

Those which are of foreign origin. Those which are of forgotten sources. Place and body. Time and action. The snow falls. A falling snow. A fallen snow. A red balloon and a blackwinged bird at semblance of crossing in a pittance of sky.
Chroniclers enter texts and trade. Was to children dying before their mothers. Accounts and recounting. A nation’s defense. Names of things made by human hands. Making famine where abundance lies.
Mapping needles. Minerals and gems. Furs and lumber. Alterations through the loss or transposition of even a single syllable. The next day is astronomical distance and a gnarled hand pulling up wild onion.
Source : Myung Mi Kim : Commons, University of California Press 2002.

Exorde 2

Une seconde classe de mots en laquelle se font les comparaisons. L’étang après la pluie, nénuphar. Niveau des eaux, ligne de partage des eaux. Scintillations coïncidantes des écailles et racloirs. Pôles conjecturaux.
Parlant et positionnant le parlant. Parler depuis le lieu du mot est avancer une parole. Un tel bruit dans les fossés – les fabriques et les fermes.
Restant dans une proximité – penser et aimer. Voir, rencontrer, se faire face. Incidence de génération. Murs, claies, paille et boue. Pierre à blanchir et cailloux pour le sol. Doucement, doucement niveler le terrain. Ceci est le nivellement du terrain.
Source : Myung Mi Kim : Commons, University of California Press 2002. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Exordium 2

A second class of words in which comparisons are made. The pond after rain, a lily. Watershed and water level. Coinciding glint of scales and scrapers. Conjectural poles.
Speaking and placing the speaking. To speak from the place of the word is speak forth. Such noise in the ditches—the mills and farms.
Standing in proximity—think and love. See, meet, face. Incidence of generation. Walls, wattles, straw, and mud. A laundering stone and stones for the floor. Gently, gently level the ground. This is the leveling of the ground.
Source : Myung Mi Kim : Commons, University of California Press 2002.
Indigence 1

[Offrande aux protecteurs généraux]
pourquoi est-ce que les extrémités des becs sont brûlées
: était première année lycée
: parce que de très loin distant
: advint un bruit venu pour voir
: chaque matin rue proche hôpital nouveau-nés jetés

périmètre grandir sans toi vision claire
démarrage infuser Y de la branche pointe emplie
canal examiné oui monsieur j’en fais trois étaient
là pour le réparer ne les voyant pas tampon particulaire
dans cette palpitation sensation des membres aucune réparation
blottir quadrant déblayé comptant les habitants
balayage opérationnel qui y a-t-il à l’intérieur qui braille
déroute drapée en retour aussi praticable que possible
Source : Myung Mi Kim : “Penury” dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Penury 1

[offering to general protectors]
why is it that the tips of the beaks are burnt
: was first year high school
: because from far away    distant
: came out    noise came to see
: every morning street close by hospital newborns thrown away

perimeter grow up without you plain view
onset infuse Y of the branch full tip
channel scanned yes sir I do three of those were
fixing it no seeing them elemental buffer
in that twitch feel of limbs there’s no fixing it
huddle quadrant swept counting inhabitants
operative swath who is in there who’s there blaring
rout draped will be returned as practicable as possible
Source : Myung Mi Kim : “Penury” dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
Indigence 2

[gouffre   bibliothèque]
tr   ni oiseau ni ornement
le veau échoué en travers du ruisseau  ǀ  ces beuglements
objets de valeur remisés sous le contreplaqué
hauteurs déchiquetées
animal épine

Combattant maison par maison
Tu l’as vu et même entendu ?
L’herbe poussait depuis le sternum
Racines ont envahi le maxillaire

chaumier braconnier . l’écorce extirpée . qui, répartition pour friches cultivables
terres . pour y être dedans, pour affecter . je ne sais pas quels sont les problèmes dans cette famille . probablement la pauvreté
Scn :
Scn :
Scn : Les 840 ouvriers ? Ils sont simplement partis –
Source : Myung Mi Kim : “Penury” dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle
Penury 2

[gulf    library]
tw   neither bird nor ornament
the calf stranded across the creek | that bellowing
valuables stored under plywood
the ragged ranges
thorn beast

Fighting house by house
You saw it and you heard it?
Grass grew from the sternum
Roots took over the mandible

thatcher poacher . the stripped bark . who, allotment of arable
land . of being in and affecting . I don’t know what’s the problems in that
family . probably poorness
Scn:
Scn:
Scn: Those 840 workers? They’re just gone—
Source : Myung Mi Kim : “Penury” dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
Myung Mi Kim est une poète coréenne-américaine née en 1957. Après l’immigration de sa famille aux Etats-Unis quand elle avait 9 ans, elle étudie à San Francisco et devient professeur d’anglais à l’université. Ses livres fragmentés accueillent des voix diverses qui désamorcent l’autobiographique. Emplis de silences et de blancs, ils explorent les motifs de la perte (du pays, de la langue, des souvenirs), de l’insécurité de l’individu face aux bouleversements historiques, mais aussi de l’adaptation fragile, de la résistance de la conscience dans sa recherche de dignité, d’un désir de communauté sociale. Quelques phrases en alphabet coréen apparaissent opaques, des lambeaux d’anglais fautif répondent à des bribes de discours dominant. Cela pourrait être un récit mais l’expérimentation le transforme en poésie : la langue est instable, parfois altérée de signes typographiques inhabituels, les strophes spatialisées semblent morceaux de puzzles, des mots flottent isolés de la syntaxe. La poésie de Myung Mi Kim est régulièrement commentée dans les domaines culturels anglo-saxons postcoloniaux, mais dépasse aussi cette classification par sa musicalité abstraite. Elle est venue en France au moins une fois en 2015 pour participer au cycle de lectures Ivy Writers Paris organisé par Jennifer K. Dick et Michelle Noteboom.
Bibliographie sélective :
Under Flag - Kelsey St. Press, 1991
The Bounty - Chax, 1996
Dura- Sun & Moon, 1999
Commons - University of California Press, 2002
Penury - Omnidawn, 2009
Civil Bound - Omnidawn, 2019
Traduction en français :
Dans un des magnifiques numéros spéciaux de la revue Po&Sie consacré à un pays ou espace culturel, ici le n° 139 en 2012 sur la Corée, on trouve un extrait de Commons traduit par Youna Kwak (page 283-292 : aller sur la 2è poète de l’article)
Sitographie :
Présentation en français et anglais de Myung Mi Kim sur le site de Ivy Writers
Quelques poèmes en anglais de Myung Mi Kim à la Poetry Foundation
Petite vidéo où Myung Mi Kim lit des extraits de Commons et Penury
Entretien avec Myung Mi Kim dans la revue Bayou éditée par l’université de Nouvelle-Orléans
Dossier préparé et traductions inédites de Jean-René Lassalle


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