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(Note de lecture) Arta Seiti, Mais dans le désir seuls demeurent les poètes, par Alain Santacreu

Par Florence Trocmé


CouvertureEn lisant Mais dans le désir seuls demeurent les poètes, est remonté à ma mémoire ce vers de Pierre-Jean Jouve : « Le miracle de l’amour est de n’aimer rien. » Car l’amour sans objet est pur désir et c’est ce « désir-don » qui fonde la poésie singulière de cette auteure : « Emmurés dans trois colonnes, ils ne vont jamais échouer à leurs désirs, car la poésie est désir demeuré désir. » (« Trois colonnes »)
Le désir demeuré désir est le feu qui donne à boire au feu, l’eau qui embrase l’eau, c’est le désir du présent éternel, le rythme secret de l’écriture d’Arta Seiti. Pour elle, l’acte poétique est un dévoilement du regard intérieur – « La connaissance est de l’ordre du voir, non pas du savoir. » (« Cinq pétales de bergamote »). Par l’écriture, la réalité perçue se trouve transformée. Cette conversion du regard se confond avec le rythme donné par le désir.
L’œuvre naissante d’Arta Seiti oscille entre la prose poétique, comme dans Nimbes (2018) ou La cime ne me contredit pas (2021), et le poème en prose, avec Surface suivi de Case-ciel (2019). Dans ce nouveau recueil, composé de deux parties, respectivement intitulées « Il/Elle » et « Je/Tu », on retrouve cette mise en tension entre les pôles du récit et celui du discours.
On pourrait ainsi faire dire au sujet du poème : Je tutoie le soleil car je vois qu’il est le soleil. Dans le recueil, on rencontre, sous la forme du discours : « Je n’ai pas besoin d’élucidation/Ce matin mes yeux te scrutent/Et connaissent une forme de soi/Rien n’est plus manifeste que la lumière/Bonjour Soleil. » (« Bonjour Soleil »). Et, sous la forme du récit : « Le soleil réchauffe ses cheveux touffus. Son corps, près de la terre, sent le feu. » (« Iris à rhizome »)
Mais quel est le sujet du poème ? Ce n’est pas le sujet grammatical : le sujet poétique correspond à deux façons d’écrire le monde, comme expérience (Il/Elle) ou comme relation (Je-Tu). Si, dans l’écriture du monde comme expérience, la vue apparaît initiale, dans l’écriture du monde comme relation, c’est le son qui devient primordial : « Le chemin le plus court pour te rencontrer/C’est le silence/ Cette flûte écho d’un rossignol esseulé/Qui m’appelle. » (« Le chemin le plus court ») 
On devine l’influence du philosophe Martin Buber et de son ouvrage Je-Tu (Ich and Du) dans la pensée intentionnelle du poème : « Mon poème est une pensée. Une pensée sur la transformation. Le sujet du poème est transformation. » (« Prologue »). Buber appelle « mots-principes » deux couples de mots, Je-Tu et Je-Cela (dans lequel on peut aussi remplacer Cela par Il ou Elle), qui correspondent à deux attitudes de la conscience humaine face au monde.
Le sujet du poème est son propre rythme – ainsi que l’a théorisé Henri Meschonnic, qui est une référence d’évidence chez Arta Seiti. Il s’agit du rythme poétique, c’est-à-dire du style particulier de l’écriture. Écrire est un songe mais ce n’est pas rêver – car dans le songe l’esprit est présent et agit en sorte que le mot s’émeuve de son image intérieure : le songe est le style du rêve. En cela le rythme de la poésie d’Arta Seiti prend des consonances nervaliennes. Dans Aurélia, une expression décrit le processus initiatique de l’écriture comme « l’épanchement du songe dans la vie réelle » suivi de son opération contraire : le renversement de l’épanchement de la vie réelle dans le songe. Il y a là une dimension alchimique de l’écriture que l’on retrouve dans la poésie d’Arta Seiti : c’est le passage à l’Œuvre au jaune – la xanthosis des Grecs et le citredo des Latins.   
Si le terrible constat de Rimbaud, « la vraie vie est absente », provoqua peut-être son renoncement à la poésie, le travail poétique d’Arta Seiti est un combat décisif pour se mettre en présence de la vraie vie et demeurer en elle : « Un mouvement, et le sujet du poème pousse des cris de bouleversements. Rythme, mais je ne sacrifie pas le secret, l’inconnu. Ainsi, je défends la poésie. » (« Prologue »).
 
Alain Santacreu
Arta Seiti, Mais dans le désir seuls demeurent les poètes, Chiendents n°162, Éditions du Petit Véhicule, 2022, 40 p., 8 €.


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