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(Anthologie permanente) & (A livre ouvert) Jan Wagner, Australie

Par Florence Trocmé


Jan Wagner  AustralieLes éditions Illador publient Australie, poèmes traduits de l’allemand par Roland Crastes de Paulet et Axel Wiegandt.
frombork
la cathédrale depuis le ferry – une somptueuse sauterelle rouge brique brillant au soleil, ses pattes gothiques écartées, prête à sauter. deux chênes et un érable se dressent dans la cour, étalent avec précaution la mosaïque automnale sur le pavé grossier. année après année dans la tour, seul avec les étoiles, les instruments. pourquoi ne sentons-nous pas le vent, si tu as raison, lui demandaient-ils. l'assaut des doutes, l'état de siège. et juste à ce moment un flot goudronneux de corbeaux déversé dans le soir par-dessus la rambarde de l'épaisse muraille. deux groupes de voyageurs sont dans le jardin de la cathédrale : nous et l'autre, les arbres italiens. et deux espèces de rossignols y vivent, nous révèle la femme au parapluie bleu. nous n'entendons pas leur chant, mais ils sont bien là, tandis que dans la lagune l'eau salée se mêle à l'eau douce. tandis que la terre est à l'arrêt, avance à toute allure.
(pp. 84-85)
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der dom von der fähre aus – eine prächtige heuschrecke, die rotbraun in der sonne leuchtet, ihre gotischen beine abgespreizt, zum sprung bereit. zwei eichen und ein ahorn stehen im hof, legen mit umsicht das herbstmosaik auf dem holprigen pflaster aus. jahr um jahr im turm, allein mit den sternen, den instrumenten. warum spüren wir keinen wind, wenn du recht hast, fragten sie ihn. das anrennen der zweifel, der belagerungszustand. und eben jetzt ein pechschwall von raben, der über die brüstung der dicken mauer in den abend gegossen wird. zwei reisegruppen sind es im domgartern : .wir und jene andere, die italienischen bäume. und zwei arten von luscinia wohnen in ihnen, wie uns die frau mit dem blauen regenschirm verrät. wir hören ihren gesang nicht, und doch sind sie da, während im haff sich salziges wasser mit süßen vermischt. während die erde stillsteht, vorwätsrast.
NDLR : Frombork (anciennement en allemand : Frauenburg ; anciennes francisations parfois rencontrées : Frauembourg ou Frauenbourg), est une ville du nord de la Pologne, sur les bords de la lagune de la Vistule, dans la voïvodie de Varmie-Mazurie, dans le comté de Braniewo.
La ville et sa cathédrale vieille de 700 ans ont été gravement endommagées pendant la Seconde Guerre mondiale. Méticuleusement reconstruite à l'identique après la guerre, Frombork est redevenue un site touristique important.
Cette cité littorale de la mer Baltique a été le lieu de résidence de Nicolas Copernic, ainsi que son lieu de sépulture. La cathédrale recelait en effet de nombreux ossements, dont le crâne de l'humaniste. (source)
*
Quetsches
même avec un cueilloir, on atteignait juste
l'équateur de la gigantesque
couronne, pas plus,
avant que le sac blanc de la perche
ne regagne le sol en planant, gonflé
comme la poche d'un bec de pélican.
l'odeur d'herbe fraîchement coupée
et septembre touchant
à sa fin ; au-delà
du carré potager, l'échelle dépliée
épelait et réépelait
son propre A.  
il fallait déjà soi-même, le long
d'un tronc croûteux, grimper tout en haut, par l'escalier
de branches en colimaçon,
où l'on commençait à tout secouer,
debout au centre du quetschier,
comme, dans son cercle,
l'homme de léonard, à assurer un crescen-
do dans le vert,
une vibration, jusqu'à ce que le bruissement
devienne grondement, ouragan,
et que le bleu
déferle puis s'immobilise
au pied de l'arbre. quelques jours, une semaine
après, et toute la splendeur disparaissait.
ce qu'avait dédaigné la concurrence des merles
était tombé tout seul,
à l'improviste, des hautes branches,
et nous le trouvions par terre : une strate,
un pourrissement, une fange
à la puanteur douceâtre
et, avec elle, une inquisition de guêpes s'emparait
de tout le jardin, leurs chuchotis et virevoltes, jusqu'à l'arrivée
des froides journées d'automne.
(pp. 136-139)
zwetschgen
selbst mit einem pflücker gelangte
man gerade eben bis zu dem äquator
der riesigen krone, nicht weiter,
bevor der weiße beutel an der stange
zurück zur erde schwebte,
prall wie der kehlsack eines pelikans.
der duft von frisch gemähtem
und der september noch nicht ganz
vorüber; jenseits der gemüsebeete
die ausgeklappte leiter,
die immer weiter
das A ihrer selbst buchstabierte.
man mußte schon selber klettern,
am schorfigen stamm,
den wendeltreppen
aus ästen bis nach oben, wo man
zu schütteln begann,
im zemtrum eines ganzen baumes stand
wie leonardos mann im kreis,
und für ein zittern sorgte, ein cres-
cendo im grün, bis aus dem rascheln
ein rauschen wurde, ein orkan,
und das herunterprasseln-
de blau am fuß des baums zur ruhe kam.
tage nur, eine woche später,
und alle pracht verging. was die konkurrenz
der amseln verschmähte,
war unversehens
von ganz allein zu boden gefallen
vom hohen ast,
wo wir es fanden: eine schicht, ein faulen,
ein süßlich stinkender morast,
und mit ihm eine inquisition von wespen,
die den gesamten garten übernahm,
ihr rasen und wispern,
bis mit dem herbst die kalten tage kamen.
Jan Wagner, Australie, édition bilingue, poèmes, traduits de l'allemand par Roland Crstres de Paulet et Axel Wiegandt, éditions Illador, 2022, 224 p., 25€
Sur le site de l‘éditeur
Autralien, paru en 2010, est le quatrième recueil de poèmes de Jan Wagner. C'est un ouvrage à part conçu comme un carnet de voyage autour du monde. C’est aussi une illustration de cette école poétique centrée sur le regard plutôt que sur le moi. Jan Wagner se place en retrait et ne porte aucun discours moralisateur sur l’état du monde. Il dit ce qu’il voit. Ce voyage dans lequel il nous entraîne aux quatre points cardinaux, cette traversée du monde peut se lire comme un roman, ou un récit de voyage. Nous partons d’abord en direction du sud, puis vers l’ouest, l'est, le nord, pour finir en Australie (cinquième branche de la rose des vents), un pays continent où l’on est heureux, dès lors qu’on n’y va pas, comme nous dit l'exergue de Pessõa, qui souligne au passage l'humour caché au fil des vers. Le but du voyage n’est pas la destination mais le voyage lui-même. Goethe ne disait pas autre chose, et on pense à l’ascendant qu’aurait pu avoir le Voyage en Italie ou Les Années de voyage de Wilhelm Meister.
Ce livre est une odyssée où l’art et l’histoire se mêlent.
Dès l’exergue du livre, Wagner joue carte sur table : "On est heureux en Australie, dès lors qu’on n’y va pas…" Ces mots de l’immense écrivain portugais Fernando Pessõa traduisent l’ambition du poète de toucher à l’autre bout du monde en préservant le mystère. Wagner est avant tout un voyageur qui sait occuper le terrain et inventer des chemins de traverse pour se rendre dans ce pays à mi-chemin du rêve et de la réalité. Certes les poèmes s’inspirent d’une aventure vécue et s’attachent à traduire la fièvre et les balbutiements d’un monde en devenir. Mais, au-delà du foisonnement d’images, le lecteur retrouve dans chaque poème la même hantise d’aller au bout de soi-même et de dépeindre un univers mental. Si le tout dernier poème, Australie, a finalement donné son titre à l’ensemble du recueil, on y verra peut-être la fin d’une errance bien réelle mais plus sûrement encore le condensé d’une expérience intime qui interroge notre regard et enrichit notre propre vision du monde. Pas loin du cinéma de son compatriote Wim Wenders.
Biographie sur le site de l’éditeur :
Jan Wagner est né à Hambourg en 1971. Après des études d’anglais et un séjour à Dublin qui a compté pour lui – il le qualifie de ‘riche et heureux’ –, il s'installe à Berlin, où la scène poétique est alors très riche.
On le considère aujourd’hui comme un représentant important de la jeune poésie allemande, celle qui est née dans les cafés, les pubs et les galeries, celle où les nationalités et les arts se mélangent.
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