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(Anthologie permanente), mary-laure zoss, seul en son bois, dressé noir

Par Florence Trocmé


Mary-laure Zoss  seul en son bois  dressé noir mary-laure zoss publie seul en son bois, dressé noir, avec des œuvres de Farhad Ostovani aux éditions Fario.
Extraits :
[De « Seul en son bois, dressé noir »]
III
tenu debout parmi ; dans une façon de vestibule – ciel
ramifié, claire-voie des oiseaux; d'où peut s'élancer quoi ;
avant l'irrecevable – dès lors qu'ainsi seulement on
évalue ce qui vient; avant les feuilles, leurs rudiments frais
qu'on déplie ;
vieille âme sous l'écorce, et corps troué, s'avisant d'une
pensée frêle; puisse-t-elle croître au long du chemin –
par la litière fruste des mois d'hiver, où scintillent
fuseaux de bronze, écailles poisseuses des hêtres;
frêle et s'obstinant, à travers la forêt qui débourre, jette
au sol de blêmes efflorescences
(13)
***
IX
en un temps devenu trop visible, qu'on scrute – n'y pas
demeurer surtout ; saturé de bois mort, de fibrilles qu'on
voudrait ne pas voir sous peine de ; qui sans cesse affleure
et transmue, encore si on pouvait le recouvrir,
ou se le déguiser ;
acheminé de l'intérieur, et que la langue éreinte; toute
une nomenclature à remanier, qui se plaît à anticiper la
dépouille, à l'exhiber, chargée de tavelures ou d'ulcères ;
aussi longtemps que nous ne serons pas de taille à vouloir
ce qui arrive, à faire de la perte une terre arable – surgi
de sous les pierres, parmi peignes brunâtres et rachis,
un vert acide, sous les noisetiers la première volute à se
dérouler d'une fougère
(19)
***
[De « A travers nous qui s’ébroue »]
VII
autant que possible leur manière cahoteuse –  s'essayer à
ces escarpements qu'on se figure infranchissables, jusqu'à
buter, qu'importe ; faisant corps, quoi qu'il en soit, avec
ce qui advient – ainsi de balbutiante allure et gravissant
à l'encontre, le miroitement métallique parmi les aulnes
des cétoines, au long des racines leurs lenteurs d'élytres ;
s'essayer à étreindre la fatigue, à rouler plus haut son poids
d'ombre – tranchée la fibre des eaux, tandis qu'on
s'achemine, et cet effroi d'être emporté; d'une seule pesée
déplacer sa charge, acquiesçant au souffle amoindri, à ce
qui décharne le verbe – en nombre croissant les cavités
ravageant l'intérieur
(57)
***
[De « du temps jusqu’aux épaules »]
VII
parfois tout un pan détaché, résorbé par le fonds ; comme
si sous leurs pas cédait l'une après l'autre la lame des
planchers ; et nombre de pièces demeurées closes – ne
s'y rendent plus guère à moins d'y chercher quoi, qu'ils
oublient avant d'y être ; visages, noms filant à la dérobée
dans le clair-obscur des lambris ;
au froid se rétractent huisseries, marches encaissées,
sèches consonnes du bois aux traverses, aux montants
des dressoirs ou des coffres ; lieux parlant seuls, de toutes
leurs fibres et chevilles d'assemblage
(69)
mary-laure zoss, seul en son bois, dressé noir, suivi de A travers nous qui s’ébroue & Et du temps jusqu’aux épaules, œuvres de Farhad Ostovani, issues de la série « Le noyer de Tourtoirac », éditions Fario, 2022, 80 p., 15,5€
Sur le site de l’éditeur
La ruine lente, les craquements, les pourritures. Ce qu’elles abritent de vent et d’eau croupie, parfois de lumière aussi. Le temps œuvre et dilapide, mine lentement. L’âge déconcerte aussi les arbres. Ils vivent, croissent, puis soudain penchent, lentement s’écroulent, démantelés de l’intérieur, fissurés par les années, ou bien tranchés, abattus franc, dans la hâte des scies, des haches.
Peu de formes du vivant, si l’on y songe, incarnent aussi éloquemment les âges successifs de la vie : jeunes pousses, adolescents graciles, sujets de pleine maturité, ancêtres chenus. Ce sont ces derniers surtout qui habitent ce recueil de Mary-Laure Zoss.
On parlerait ici imprudemment de métaphore. On ne sait plus trop comment circulent ici la voix, l’image, ni dans quel sens. Ce serait plutôt comme un même murmure entremêlé, celui des vieux fûts qui dialoguent encore avec le ciel, de la vie en nous plus ou moins accordée à ses destins – une heure, un lieu –, du verbe qui croît ou s’exténue.
Forêt de la langue, clairières au creux de soi issues de coupes claires où s’élèvera demain la sève, la nouvelle, vastes houppiers aperçus dans le lointain, minces ramures effleurant la phrase, copeaux, sciure de nos présences à même la terre qui nous est échue.
Mary-Laure Zoss vit à Lausanne. Son premier livre, Le noir du ciel, publié en 2007 aux éditions Empreintes a été couronné par le Prix de poésie C.F. Ramuz. Elle a depuis publié chez Cheyne éditeur les recueils suivants : Entre chien et loup jetés, 2008 ; Où va se terrer la lumière, 2010 ; Une syllabe, battant de bois, 2012 ; Au soleil, haine rouée, 2014. Elle a collaboré à la revue fario depuis sa création. Son plus récent livre, À force d’en découdre a été publié aux éditions Le Réalgar, en 2019. Aux éditions Fario : ceux-là qu’on maudit, avec des peintures de Jean-Gilles Badaire. 2016.


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