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(Note de lecture) Sébastien Hoët, De plus grands déserts par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé

(Note de lecture) Sébastien Hoët, De plus grands déserts par Jean-Claude LeroyJournal d'un homme occupé par un autre qui s'oppose (" ce qui t'envahit te repousse ", p. 42), constitutif de soi-même. Constat d'une impossibilité de plus en plus avérée, une impossibilité imposée à l'humaine condition, un mauvais sort qui la rattrape sans cesse et l'enveloppe d'un voile maudit. Et tout autant, dans ce livre visionnaire, le phantasme de la coïncidence, comme si l'on pouvait correspondre à un double originel qu'on embrasserait enfin et définitivement, visant à atteindre quelque chose comme le repos premier.
Non pas journal d'un homme, en fait, mais journal de la création tout entière qui se regarde s'étioler. Ce nous qui parle est aussi bien l'animal que le dieu, l'un à peine sorti de l'autre, la confusion ultime ramenée à sa vérité d'être. Désemparée d'avance, et pour encore longtemps.
" nous nous mangerons
comme ce qui naît
nous parlerons des fruits
plierons nos
chairs
et pleurerons
primitif "
(p. 74)
Si on a pu, comme Victor Martinez à propos de Sébastien Hoët, parler de " poésie post-humaine ", c'est qu'en effet, ici, toute subjectivité paraît avoir disparu, d'où peut-être cette obsession du visage et du masque, reliquat d'un monde dépassé, à enfouir plutôt qu'à regretter.
Par le biais d'une voix minimale, la radiographie d'une humanité en mal de devenir (par quel goulot va-t-elle passer ?). Réduite à une décomposition, comme s'il fallait revenir au chiffrage initial. Décomposition irrémédiablement désordonnée, c'est là le sort de cette espèce qui avait jadis contracté la parole (la poésie ? parfois). Le voile devenu rideau ne demande plus qu'à être tiré, la pluie n'a plus qu'à être avalée, elle tombe comme tombe l'armoire dans la chambre à rêver (sa vie).
" Nous commencions à grandir, à perdre nos cheveux, nos muscles fondaient, nous tournions treille violacée autour de nos os, nous ne tenions plus. " (p. 145)
Interpellation de dernière heure, ce livre écrit au bord du gouffre linéaire qui nous accueille, chacun étant acculé face, non pas à la mort, mais à l'anéantissement. Avec les mots les plus simples et sans artifices émotionnels, sans cris à nos oreilles, le lecteur est averti du danger, averti de ce qu'il ne saurait que constater pour peu qu'il ose écouter le bruit de fond d'une époque congédiante. Le devenir-animal, le devenir-poussière, le devenir-chose, toujours ici considérés a posteriori, hantent ces pages terribles et tranquilles à la fois. La transformation inéluctable, l'évidence de plus grands déserts n'appellent qu'un ciel à la rescousse, où transparaît le spectre de l'éternité, l'ange - ou démon - soupçonné, donc indissoluble.
C'est déjà là une empreinte, un sauf-conduit dans un souffle presque coupé, pour passer de l'outre à l'intra-monde. Avec ce livre comme guide difficile et essentiel.
" [...]
Nous avancions sur
La Route
dans notre faim comme sur le fleuve
tout ce qui se dressera devant nous viendra à notre rencontre nous fuira demeurera sa vitesse sa voix osera les signes
Rien n'aime comme le visage ne hait comme le visage ne hante comme le visage rien n'effraie comme le visage
Rien
sous le masque le visage
l'eau neuve
le visage devant
le visage devant la tête
le visage nous dit :
Quand
arracher
le masque "
(p. 96)
Jean-Claude Leroy
Sébastien Hoët, De plus grands déserts, Les Hauts-Fonds, 152 p., 2022. 19 €


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