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(Note de lecture) Guillaume Curtit, Songe à la douce heure, par Elias Levi Toledo

Par Florence Trocmé


Le blanc et le noir : douceurs de la dernière heure

Guillaume Curtit  snge à la douce heure
Lorsque Guillaume Curtit fissure le mot « douceur » d'un vers de Baudelaire dans le titre de son nouveau recueil, c’est pour introduire au milieu de la douceur le gouffre inexorable de la mort. Mais ce gouffre est aussi blanc que noir, car dans « songe à la douce heure » le poète
mène plus loin son exploration de l’espace de la page– une démarche entamée dans son premier livre, L’Aire de rien (éditions Unicité, 2020).
En effet, ces poèmes s’étalent sur la page, non pas sans rappeler la disposition typographique du Coup de dés de Mallarmé, ou encore les poèmes de Du Bouchet. Le vers de Guillaume Curtit fait des bonds, s'interrompt, se reprend pour faire ressortir les mots à l’intérieur des mots : « il devrait toujours / in / terre prêter / l’oreille ».
Il en va effectivement d'une interprétation de l’oreille, qui se « prête » aussitôt à une interprétation de l’oeil ou – pour reprendre le mot de Claudel, elle devient un œil qui écoute – car ces vers qui accordent une place de choix au blanc sont accompagnés par quelques encres noires de l’auteur.
Ce blanc de la page et ce noir de l’encre deviennent la tension présente dès le titre. Tension entre la « douceur » de l’enfance et de la vie de la campagne, et la « douce heure » qu’est la toute dernière : celle de la mort où « l'oiseau se pose // [et] il chante // ici repose ». Dans cette tension entre clarté et obscurité, la mort n’est pas vue comme une tragédie ou une fatalité, mais simplement comme un fait de la vie. Le livre répète souvent la seule réponse qui vaille face à la mort : « pourquoi il est mort » demande un enfant, « c’est comme ça » obtient-il comme réponse ; « c’est comme ça » ; « c’était rien» ; « au revoir et merci monsieur ». Il en va d’une éthique de l’acceptation face à la mort, qui n’est pas sans rappeler une certaine mystique : « soit // amen à tout ».
C’est par cette ouverture à la vie, dont la mort est une partie, que ces poèmes offrent une place de choix aux douceurs du quotidien. Il est question dans ce livre de « cousinades », de « chatouilles envolées », d’enfants « la main dans le sac / de bonbons ». Et ce même si la mort est toujours à l’affût : lors d’une fête, au milieu de « l’ivresse et les copains », « parfois l’on se rend compte / de deux furtives disparitions ».
Enfin, cette tension entre le blanc et le noir, entre la douceur et la mort, est avant tout une manière d’être au monde, exprimée par la belle formule : « faire autrement que selon ». Ce livre devient ainsi une quête de soi à laquelle le lecteur est convié.
Quête de soi par le blanc, d’où le poète surgit : « le poète / perce-neige // comme l’Ourse blanche // fissure la nuit ».
Quête de soi par le noir, dans lequel le lecteur est invité à se reconnaitre : « va // cherche ton nom / bre // compte sur elle // as-tu déja vu l’ombre d’un sapin / manquer une aiguille ».
De sa plume et de son pinceau, Guillaume Curtit creuse l’heure noire de la mort, et perce la douceur blanche de la vie.

Elias Levi Toledo

Guillaume Curtit, Songe à la douce heure, éditions de La Crypte, 2022, 75 p., 12€.
Extraits
         adieu
comment ça il est mort
aux dernières nouvelles
le curé se portait bien
         c’est ce qui se dit chez le boucher
         un bien brave type
ma foi
         au revoir et merci monsieur
trop tard
il était déjà de l’autre côté
         et le lendemain chez le boucher
         on finit tous chez le boucher
(p. 20)
la foi en terre
      mère
         avive la flamme
les vibrations telluriques monteront par tes pieds nus
cette sérénité te donnera la mort
         du corps
humblement
      tout
         simplement
au passage
      rends tous tes bons jours
            à l’haut
                  de
                    là
(p. 63)


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