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(Hommage) à Ana Luisa Amaral (5 avril 1956 – 5 août 2022), par Mireille Calle-Gruber

Par Florence Trocmé



Ana Luisa Amaral ou l’honneur de la littérature

  

Ana Luisa Amaral
Ana Luisa Amaral : ce fut une rencontre fulgurante, de celles qui laissent une mélancolie généreuse et le geste à l’autre inachevé à jamais. C’était en 2012, à Paris. Tout fut exceptionnel : l’œuvre qui nous réunissait, Les Nouvelles Lettres Portugaises, sublime composition des « trois Maria », Maria Isabel Barreno, Maria Tereza Horta, Maria Velho da Costa, dont la puissance littéraire n’a d’égale que le courage politique à défendre l’émancipation féminine par l’amour et par le poème ; le colloque en Sorbonne organisé avec le soin de Catherine Dumas, Professeur à La Sorbonne Nouvelle Paris 3, traductrice d’Ana Luisa Amaral, et la Faculté des Lettres de l’Université de Porto ; le Récital porté par Ana Luisa Amaral, accompagnée de José Manuel Esteves et Alvaro Teixeira Lopes au piano - les textes, la voix, le charisme d’Ana Luisa ! Ce furent des journées de ferveur célébrant une écriture sans concession, combat et beauté, beauté du combat contre le régime dictatorial et les lois patriarcales. Les interventions d’Ana Luisa Amaral ont toujours eu la douceur énergétique du lyrisme lorsqu’il engage les mots de l’intime dans l’âpre scène du politique.
L’année suivante, Ana Luisa était de retour en Sorbonne, participant au colloque qui portait cette fois sur mes travaux, et elle écrivit pour l’occasion le poème Das mais puras memorias : ou de lumes /Des souvenirs les plus purs : ou des feux (dans Mireille Calle-Gruber L’amour du monde à l’abri du monde dans la littérature, sous la direction de Mélina Balcazar, Sarah-Anaïs Crevier Goulet, Anaïs Frantz, Elodie Vignon, Hermann éditeurs, 2015). Ce Poème porte témoignage d’une intensité méditative qui n’est qu’à elle. Ana Luisa Amaral, c’est l’honneur de la littérature.
 
Das mais puras memorias : ou de lumes
Ana Luisa Amaral
Para Mireille, este poema inédito, na minha imensa admiraçao. Desejando que o mundo das palavras e dos afectos possa ser como o som que os versos fazem ao abrir.
Ontem à noite e antes de dormir,
a mais pura alegria
de um céu
no meio do sono a escorregar, solene
a emoçao   e a mais pura alegria
de um dia entre criança e quase grande
e era na aldeia,
acordar às seis e meia da manhà,
os olhos nas portadas de madeira, o som
que elas faziam ao abrir, as portadas
num quarto que nao era o meu, o cheiro
ausente em nome
mas era um cheiro
entre o mais fresco a luz
a começar   era o calor do verao,
a mais pura alegria
um céu tao cor de sangue
que ainda hoje, ainda ontem antes de dormir,
as làgrimas
me chegam como entao, e de repente,
o sol como um incêndio largo
e o cheiro   as cores
Mas era estar ali, de pé, e jovem,
e a morte era tao longe,
e nao havia mortos nem o seu desfile,
so os vivos, os risos, o cheiro
a luz
era a vida, e o poder de escolher,
ou assim o parecia :
a cama e as cascatas frescas dos lençois
macios como estrangeiros chegando a pais novo,
ou as portadas     abertas de madeira
e o incêndio   do céu
Foi isto ontem à noite,
Este esplendor no escuro e antes de dormir
............
Hoje, os jornais nesta manha sem sol
falam de coisas tao brutais
e tao acesas, como povos sem nome, sem luz
a amanhecer-lhes cor e tempos,
de mortos nao por vidas que passaram,
mas por vidas cortadas   a violência de ser
em cima desta terra   sobre outros mortos
mal lembrados ou nem sequer lembrados
E eu penso onde ela esta, onde ela cabe,
essa pura alegria recordada
que me tomou o corredor do sono,
se deitou a meu lado ontem à noite
tomada novamente   tornada movimento,
mercadoria bela para cesta de vime   muito belo,
como belo era o céu daquele dia
Onde cabe a alegria recordada
em frente do incêndio que vi   ontem de noite ?
onde   as cores da alegria ?   o seu corte tao nitido 
como se fosse alimentado a atomo
explodindo
como fazer de tempo ? como fingir o tempo ?
…………
E todavia   os tempos   coabitam
E o mesmo   corredor da-lhes espaço
e lume

Des souvenirs les plus purs : ou des feux
Pour Mireille, ce poème inédit avec mon immense admiration. En souhaitant que le monde des mots et des affects puisse être comme le son que font les vers en s’ouvrant.
Hier soir avant de m’endormir,
la joie la plus pure
d’un ciel
au milieu du sommeil glissant, solennelle
l’émotion   la joie la plus pure
d’une journée entre enfant et presque grande
et c’était au village,
se réveiller à six heures et demie du matin,
les yeux fixés sur les volets de bois, le son
qu’ils faisaient en s’ouvrant, les volets
dans une chambre qui n’était pas la mienne, l’odeur
en absence de nom
mais c’était une odeur
entre le plus frais et la lumière
qui commençait     c’était la chaleur de l’été,
la joie la plus pure
un ciel si couleur de sang
qu’aujourd’hui encore, hier encore avant de m’endormir,
j’en ai les larmes aux yeux comme alors, et soudain,
le soleil comme un vaste incendie
et l’odeur   et les couleurs
Mais être là, debout et jeune,
et la mort, c’était si loin,
et il n’y avait ni les morts, ni leur défilé,
rien que les vivants, les rires, l’odeur
la lumière
c’était la vie, et le pouvoir de choisir,
ou c’était tout comme :
le lit et les cascades fraîches des draps
tels des étrangers arrivant en terre neuve,
ou les volets      ouverts en bois
et l’incendie   du ciel
Il en fut ainsi hier soir,
cette splendeur dans le noir avant de m’endormir
…………
Aujourd’hui, les journaux par ce matin sans soleil
parlent de choses si brutales
et cuisantes, comme des peuples sans nom, sans lumière
pour se lever sur couleurs et temps,
de morts, non pas que des vies soient passées,
mais que des vies aient été coupées   la violence d’être
à la surface de cette terre     sur d’autres morts
à peine remémorés ou même pas remémorés
Et moi je pense où est-elle, où tient-elle
cette joie pure dont je me souviens
qui a pris le cours de mon sommeil,
s’est couchée à mes côtés hier soir
prise à nouveau   faite mouvement,
marchandise belle pour un panier d’osier   très beau,
comme est beau le ciel de cette journée-là
Où tient donc la joie souvenir
devant l’incendie que j’ai vu   hier soir ?
où sont les couleurs de la joie ?   sa coupure si nette
comme si elle était nourrie d’atomes
qui explosent
comment jouer au temps, comment feindre le temps ?
…………
Malgré tout   les temps   cohabitent
et le même   cours leur donne espace
et lumière
Traduit par Catherine Dumas
Mireille Calle-Gruber
On peut lire aussi cet ensemble paru récemment dans Poezibao, au moment de la disparition de la poète portugaise.


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