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(Note de lecture), Jacques Moulin, Corbeline, par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé


« Corbeau est un mot de déchirure et de lacération. Il attaque les cuirs et défait les peaux. »

Corbeline-couv
Aussi bien le mot qui le désigne que l’oiseau lui-même, ce livre est un libre chant de poète, ou encore une danse verbale et courtisane exercée près du corbeau, l’oiseau-présage de nos songes et de nos ciels. L’auteur y examine la vertu des voyelles absentes aussi bien que des raclements de gorge de l’oiseau noir. 
« … l’oiseau sans i
Englouti dans son cri rauque
Le corbeau oseau… »
Éminemment poétique, l’exercice vaut pour un examen minutieux et agrandir la connaissance de l’animal souvent cible des regards, tant son esprit apparaît à qui l’observe. Un oiseau en rien mythifié ici, d’ailleurs, ni même confondu avec l’humain qui l’aperçoit, comme le voudrait parfois ce temps désemparé, mais un corbeau élastiquement décliné de part en part, jusqu’à plus soif de vol, par un jeu inlassable et tout à fait joyeux que Jacques Moulin partage volontiers sur la page. C’est ainsi un ensemble qui fait du bien, au cœur d’une saison plombée par la gravité des rumeurs et des événements.
« …
Pourkrouah, pourkrouah pourkrouah
dégoise le corbeau par trois fois
sans pincer son propos
plus avant
… »
Nous ne sommes pas si loin de la gaie science, celle des troubadours ou bien des alchimistes, puisque les oiseaux ont une langue savante, originelle pour certains, et un certain Lacan (kabbaliste défroqué ?) n’avait-il fait des jeux de mots son commerce éclairé, avec un esprit de sérieux peut-être sauvé par l’ironie. En cette poésie chantante que nous propose Jacques Moulin, l’important réside aussi bien dans la grande liberté du voir, quand l’esprit voyage à la vitesse du semblant des mots et de leur surgissement naïf et lumineux.
« Un corbeau luit d’un éclat de surin féroce
toque au paroi du galet
sur des grèves à roulis
il sait qu’une cervelle d’éternité
dort
au-dedans du caillou
qu’il faut atteindre
décoller de sa nuit »
De cette « corboésie », un bonheur simple de lecture, et l’outil de la langue rendu au lecteur, mis à égalité avec l’auteur, en dépit d’un lexique parfois érudit, mais toujours ludique et enfantin, pour un livre empreint d’une rare fraîcheur, fort salubre, un livre moins lourd que l’air. Attrapons-le, il est à lire en plein vol !
Également : souligner la beauté de l’objet, qui doit à l’éditeur et à Ann Loubert, dont les très beaux monotypes accompagnent les textes de Jacques Moulin.
Jean-Claude Leroy
Jacques Moulin, Corbeline (avec des monotypes d’Ann Loubert), L’Atelier contemporain, 2022, 180 p., 20 €


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