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(Note de lecture), Olivier Domerg, La Verte traVersée, par Jean-Marc Pontier

Par Florence Trocmé


Olivier Domerg  la verte traversée
Après le Manscrit, Olivier Domerg poursuit sa patiente analyse du paysage. La couverture de son dernier opus, La Verte traVersée, en résume la teneur poétique : la photographie de Brigitte Palaggi donne à voir un paysage pluvieux balayé par un essuie-glace invisible. La plaine arborée s’en trouve déformée, comme indiquant par la flèche inclinée des arbres le sens à suivre. Sur le tableau de bord, une carte routière dépliée : la version cartographiée de cette région du Cantal que Domerg soumet à son expertise de topographie poétique.
La Verte traVersée se compose de vingt chapitres, dont l’ultime est constitué des photographies de Brigitte Palaggi, complément plastique clôturant le périple cantalien des deux complices. Ciels lourds de nuages surmontant des vallées où sinuent de fins ruisseaux, monts et puys encore enneigés et prairies à l’infini. Et en images comme en textes, du vert et encore du vert. Car du renouveau chlorophyllien printanier Olivier Domerg fait son principe premier, sa déclinaison, son nuancier poétique.
La grande nouveauté de ce nouvel opus est d’ordre formel. Olivier Domerg fait son Maurice Scève en optant pour le dizain. Ce qui fut au départ un jeu poétique commandité par Pierre Vinclair est devenu un parti-pris, une approche que l’on sent jubilatoire par l’éclatement que fait subir le poète à cette forme carrée (10 vers en décasyllabes). Si les rimes interviennent de manière aléatoire, les rejets et autres enjambements (parfois d’un poème à l’autre par souci de fluidité) s’émancipent de la stricte prosodie du modèle Renaissance. Reste le « moule » qui marque l’ouvrage d’un tempo régulier. À se demander si cet « assemblage » des « prés » qui « tricote à l’envi des motifs esthètes » ne fonctionne pas comme une métaphore du livre lui-même, une suite de dizains offerts à notre regard comme les près qui jalonnent le paysage. Olivier Domerg nous le rappelle explicitement : « La poésie n’est pas sans mobile » et « l’herbe est dans le verbe ».
Depuis 2014 Olivier Domerg sillonne le Cantal selon un axe de Saint-Flour à Riom pour ensuite s’égailler au pied des monts et des vaux. D’emblée il relève cette « vérité du vert » qui va frapper le regard. Le vert devient une
Expérience primaire mais inou-
Ïe, qu’au plus intime, l’on ressent !
VERT est ce monde : VERT est ce moment
.
Description méthodique des bocages, des haies, des forêts, des ruisseaux mais aussi mention des corps de ferme, Domerg fait le patient inventaire du découpage paysager (« Gloire au cadastre et à son découpage/ À l’enchâssement et au métissage ! »). Déclinaison des espèces d’arbres et de la biodiversité, pluralité des toponymes qui ajoutent à la précision du lieu (Collages, Nozières, Santoire, Drils, Dienne...), nous ne sommes pas dans le cadre d’un rapport éthéré et approximatif à la nature. Il s’agit de désigner autant que de dessiner le paysage, parfois de manière impressionniste (Renoir est cité et, plus loin, le pointillisme par deux fois) de par la juxtaposition des touches descriptives (très souvent colorées, au-delà du vert). Mais c’est plutôt le modèle du « botaniste », voire du « berger » qui prévaut :
Et seuls, le berger ou le botaniste
Pourrait, de tes richesses, « tenir liste » ;
En établir la biodiversité !
Et, de ce « foisonnement manifeste »,
Faire que chaque plante soit citée ;

Jusqu’au référencement des routes empruntées, précisions a priori anti-poétiques qui font du volume une espèce de guide itinérant chiffré (« D 680 », « D3 ») nous menant d’un champ à l’autre, c’est à dire d’un poème à un autre. Rien qui toutefois puisse s’apparenter à quelque rébarbative nomenclature. La photographie du lieu étant faite, le poète s’en empare en toute fantaisie et souvent avec humour. Du « je » au « on » locuteurs au « tu », apostrophe lectorielle autant qu’auto-injonction distanciée, Olivier Domerg joue sur les pronoms, nous prenant tantôt à témoin, resserrant d’autres fois la focale vers un point de vue plus subjectif. Pareillement, le ton est parfois lyrique (« Ô ce velours de la verte vêture (…) ô cette peau d’herbe si nature (…) Ô ces douceurs bombées et retombantes ») mais la réalité locale nous ramène vite à la trivialité. Ainsi « L’odeur de l’herbe et/ De la bouse, celle du lait caillé » et autres « purins odoriférants » côtoient les tentatives d’envolées lyriques teintées parfois d’une touche d’autodérision : « Ô Reverdy ! Candeur de ce cantique ! ». Et si les registres aussi contrastées s’harmonisent, c’est que le verbe fait sens dans son tissage pluriel. Car voilà où nous mène cette « grammaire du Cantal » :
Elle exprime le besoin nécessaire
Que nous avons du VERT, parfois du VERS.

Les vers conclusifs de La Verte traVersée ouvrent ainsi sur deux chemins possibles : le vers cher à Roubaud mais aussi une invitation à aller vers, c’est à dire à initier notre propre road-trip poétique.
En attendant, profitons du vert printanier d’Olivier Domerg : on sait depuis combien l’été se complaît à tout jaunir.
Jean-Marc Pontier

Olivier Domerg et Brigitte Palaggi, La Verte traVersée, éditions L’atelier contemporain, 312 p., 2022, 25 €
1er Extrait :
J’entame des contre-travaux d’aiguilles,
Détricotant l’ouvrage cantalou,
La « trame paysagère » qui brille,
Par excès de présence, devant nous.
Il y a, d’abord, ce serpentin d’eau claire
Qui incise la moelleuse prairie.
Au bas du coteau, ce chemin de terre, qui, de même, sinue et lui répond.
Puis, les replis du terrain et les rides,
Tout ce qui continue et ce qui rompt »
(p. 49)
2e extrait :
Après un ‘tunnel voûté’ de feuillus
- Brusque trouée – regarder vers le ciel -
Sur le massif trapu, les aperçus !
Le sifflement par la vitre entr’ouverte
- Cumulus en dérade, azur en toile
De fond – L’air frais – Les bruits de la forêt
Perçus à petite allure – L’enchaî-
Nement des virages, tel un dédale !
Tous ces sapins pités dans le couvert
De la hêtraie – Troncs dressés - « C’est ciel ! »
(p. 194)


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