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(Anthologie permanente), Olivier Domerg, La Verte traVersée

Par Florence Trocmé


Olivier Domerg  la verte traverséeOlivier Domerg publie La Verte traVersée aux éditions l’Atelier contemporain. Une ode au vert, au Cantal, au paysage, à la traversée des sensations, des lieux et des temps.
Vert nuancé de jaune et de kaki,
Et dans le creux, ramassé, quoi ? ou qui ?
La maison aux pentes de toit plus claires,
Ou bien, disons, « brillant sous la lumière ».
« Rien ne fait obstacle à l'enfoncement
Du sujet, dans » l'herbe et « le sol spongieux ».
Arpentant, tu as changé de moment,
Comme les arbres, vus à contre-cieux,
Comme la prairie en contre-plongée,
Observée, présentement, sans bouger !

Ô ce fourmillement des herbes hautes
(Aigrettes sphériques et graminées),
Entremêlé des fleurs dont il se dote,
Impossible en nombre à déterminer.
Vieille apostrophe aux vertus confondantes,
Vers relancé par le plus petit mot,
Comme un dé exhibé aux yeux du sot !
Prairie de fauche ou pâture en attente :
« Multitude inconcevable du paître »,
Comment t'invoquer sans trahir ton être ?

La question ronfle sans te faire ciller,
Car seul le vent t'amène à osciller,
Et seuls, le berger ou le botaniste
Pourrait, de tes richesses, « tenir liste » ;
En établir la biodiversité !
Et, de ce « foisonnement manifeste »,
Faire que chaque plante soit citée ;
De ses qualités, n'être pas en reste ;
Et, par le nom, l'individuation,
Dans la foule, porter la distinction !

Tu t'amuses, devant cette prairie,
Telle une harpe ou telle une guimbarde,
À faire résonner la « vieillerie »,
Car l'ironie est un genre de barde
Dont tu uses, avec autodérision,
À des fins, coupables, de digression.
Te voilà, au pied de ce pré pentu
– Comme vous, à ce dizain, suspendus ! –
Échouant à exprimer le rendu,
Tout comme le pointillisme touffu.

Les arbres dont les houppiers se détourent
Au sommet du pré, comme d'un talus,
Ne sont, de leur feuillaison, qu'au début ;
Et n'ont pas « revêtu tous leurs atours »,
Disait-on, du temps de l'amour courtois !
Traversables, ils semblent « troués d'air »,
Leurs branches, en attente d'un surcroît
De verdure et de volume : essentiels !
Bien dessinés, pourtant, ils sont super-
Bes ; leurs faisceaux, ainsi, détachés sur

L'horizon, et comme tramés de ciel,
Forment on ne sait quelle ribambelle ?
Une frise pour le moins relâchée !
Tu reviens à la prairie naturelle
Que nourrit une densité d'espèces
À la vivacité fervente et – une –,
Et dont la cohabitation ne laisse
Aucun doute sur leur « cause commune ».
Comme pour un bain, on tendra les bras
Vers la myriade d'herbes qu'on prendra


En gros plan, pour en fixer le détail,
L'entièreté matérielle et la taille :
L'incroyable et verticale foison
De pointes et feuilles, fleurs et boutons,
Pointillisme des tiges et des tons !
Ce métissage vertical de l'herbe
– Très fines forêts et pluie de traits –
Tel un vertigineux crayonné
(Vert tressé de blancs, roux et marron) :
Trame drue et resserrée du dressé !
(...)
Olivier Domerg, La Verte traVersée, photographies de Brigitte Palaggi, L’Atelier contemporain, 2022, 312 p., 25€, pp., 77-80
Sur le site de l’éditeur :
Ce nouveau livre d’Olivier Domerg s’origine dans la vision et les sensations éprouvées lors d’une première traversée du Cantal, fin mars 2014, alors qu’il se rendait au Centre international d’art et de paysage de l’Île de Vassivière, sur le plateau de Millevaches. Il avait, pour y aller, délibérément choisi de « passer » par Le Cantal, qu’il désirait découvrir au printemps. Cette traversée s’effectua donc, une première fois, de Saint-Flour à Riom-ès-Montagnes, en passant par Murat. Il refit exactement le même trajet, le 7 mai 2014. Et, de même, quatre ans plus tard, le 31 mai 2018, pour se rendre, de nouveau, à Vassivière.
Écrivant sur le paysage, Olivier Domerg invite le lecteur, à une découverte des monts du Cantal qui redeviennent, au printemps, ce « jardin d’altitude », qu’exhaussent et, à la fois, adoucissent, le retour et le foisonnement du vert (herbage et feuillaison). C’est, d’abord, comme cela, qu’il faut entendre le titre du livre, cette « Verte traVersée » : littéralement, la traversée d’un département dédié en majeure partie à l’élevage, et, donc, essentiellement constitué de prairies, de pacages et de forêts, au moment où celui-ci est « le plus vert » ; où s’affirme sa plus grande « viridité », comme disait Rimbaud. Cette traversée se voudra, dès lors, un hommage à la couleur du règne Végétal (herbe, plantes et arbres) et, d’une certaine façon, un hymne au paysage et à tout ce qui le compose.
Il s’agit, par conséquent, de dire la nature, le visage et la dimension d’un département (Le Cantal) à l’acmé d’une saison (mai) en 455 dizains, regroupés en dix-neuf chapitres, eux-mêmes correspondants à différents segments de la route des monts du Cantal parcourue. Ou, pour le dire autrement, de donner à voir, entendre et sentir, l’espace d’un livre, comment la poésie, dans son déploiement, sa justesse et sa précision, et en recourant à ses seules potentialités, peut rendre compte de la pluralité des paysages traversés, du « sentiment géographique » comme du « renouveau du vert » qui s’en dégagent.
Au vu de la forme empruntée ou choisie – le dizain (blocs composés de dix vers de dix syllabes chacun) – cette « traversée du vert » se double d’une « traversée du vers », puisque ces dizains ont été écrits à partir des notes prises in situ, au cours des divers trajets susmentionnés. L’ambition du livre étant, dès lors, de réactiver, joyeusement, une forme et une prosodie traditionnelle (le dizain), constamment mise à mal par « le surgissement du réel et l’effort pour l’exprimer ». Et, sans arrêt gauchie par l’irruption du vert dans le vers ; et par la nécessité d’être, à la fois, extrêmement fidèle (dans la restitution des sensations) et extrêmement inventif (dans la langue poétique qui s’en saisit).
Ainsi, ce livre sur les paysages des monts du Cantal et sur leur reverdissement se complète, dans le même temps, d’un travail poétique sur le vers. La perspective, toute personnelle, de l’auteur, est de réinvestir celui-ci à la faveur de ce vert profus, inspirant et printanier, visant, à travers cette homophonie, le sens et l’ambivalence même de toute écriture poétique : la sensibilité au monde se doublant d’une sensibilité à la langue. Et, la tentative de saisie de ces monts et de ce qui les caractérise (leur reverdissement manifeste) se redoublant d’une ressaisie de sa langue et par la langue (sa « vervev » et sa « verdeur »). Le vert renouveau (de la saison), dont il est question, s’accompagnant itou du renouveau d’une forme poétique. Car, tout nouveau livre sur le paysage est aussi, pour lui, quelle que soit la forme qu’il prend, un livre de poésie, ainsi qu’un livre sur la poésie.
 


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