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(Note de lecture), Revue Alcheringa n° 3, par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé


Alcheringa n°3

 

« Chez les aborigènes australiens,
"Alcheringa" signifie : Le temps du rêve. »


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Contrairement à ce que pourraient croire certains, à cause du succès du mot qui le désigne, le mouvement surréaliste a toujours eu davantage le souci du débat significatif et de la créativité que celui de la médiatisation ou du spectaculaire. Si l’histoire littéraire a parfois tenté de lui rendre justice, il évolue discrètement et, aujourd’hui encore, ses émanations fleurissent çà et là pour qui veut bien s’y ouvrir, s’y retrouver. Outre des publications régulières comme Les hommes sans épaules, Le grand tamanoir, Des pays habitables, Infosurr, pour s’en tenir à la France, il faut compter avec Alcheringa, qui en est à son troisième numéro, sans doute le plus abouti et fertile, tout d’abord sur le plan visuel. Une revue en couleur mêlant le rêve à ses récits, l’image à son ressort, ce ressort à la pensée.
Alcheringa n’échappe pas à la règle du manifeste et le fait bellement par la voix de Sylwia Chrostowska qui souligne, pour ceux qui ne verraient ici qu’une esthétique cotonneuse, à quel point le surréalisme est à la fois « un agir et un sentir ».
Patrick Lepetit donne un exposé sur la tradition de la nuit, qui ressortit, on l’aura compris, de l’imagination, notamment valorisée en son temps par le romantisme, avec le sentiment. Une tradition qui s’oppose alors à celle du jour, que représenterait la raison et tout ce qui s’y rattache. D’une certaine manière, si le surréalisme ne peut mourir, c’est tout simplement que la nuit ne saurait disparaître, elle et son cortège de sensations, de rêves et d’utopies. S’il est heureux d’avoir le courage, comme l’indiquait Kant, de se servir de son propre entendement, il faut aussi se défier des dérives rationalistes, scientistes, technicistes, les philosophes de l’école de Francfort ont averti à ce propos il y a longtemps. Et Lepetit de rappeler en passant, outre la montée de la philosophie des lumières, le succès de l’illuminisme au XVIIIe siècle, auquel puisa un Charles Fourier lecteur de Louis-Claude de Saint Martin, qu’il fréquenta, avec certains francs-maçons et autres chrétiens hérétiques, avant que d’élaborer et proposer une « pensée de la dissidence économique, passionnelle, sociale ». On sait que Breton sera friand de Fourier, lui consacrant un de ces plus beaux poèmes.
Bel hommage à l’artiste tchèque Toyen, par Bertrand Schmitt, avec un poème collectif en épilogue (le lire ci-dessous). Récits de rêves, jeu d’écritures, ici un jeu du poème à l’envers, où la lecture se fera en remontant de la fin vers le début, lui assurant un suspens à rebours, « … ne sont-ce pas les fins premières qui engendrent les causes finales »
Mais c’est aussi un choix de poèmes automatiques, les écritures remarquables d’Alice Massénat, de Claude-Lucien Cauët ou Hervé Delabarre, Michel Zimbacca (disparu récemment), Michèle Bachelet, etc. Des études diverses de Michael Löwy, Bruno Montpied (animateur du site Le poignard subtil), Eugenio Castro, Régis Gayraud… Visuellement, ce numéro est une grande réussite de par les nombreuses œuvres, photographies, collages, peintures, dessins, gravures qu’il affiche, articulées judicieusement par le maquettiste-artiste, Yoan Armand Gil. Pour un numéro animé par le trio Sylwia Chrostowska, Joël Gayraud, Guy Girard.
Jean-Claude Leroy
Alcheringa n°3, 102 p. 20 €
Venus d’ailleurs éditeurs, 74, Grand Rue, 30730 Gajan.
Lien
Oeufs sauf un seul

à Toyen

Œuf de chêne et nids de licorne
Nageant dans un ciel pourpre
Quand soudain crie le maître des lombrics
Il manque une pièce du puzzle
Et je ne peux pas finir le lion
Qui reste sans griffes sans crocs
Le citoyen d’un minuit en fleur
Dur d’oreille aussi et fatigué tellement fatigué
L’épuisement n’épuise pas le puits dans la tour
Où les chambres dansaient la valse des scolopendres
Dans la grande salle des poissons lune et des tournesols fardés
Le carré d’or sommeil sur Vénus
Elle ne rêve pas sous la lumière du soleil
Mais seulement sous celle de la lune
Elle est une princesse entourée de démons
Une étoile qui brille si haut qu’elle laisse les autres dans l’ombre
Jour et nuit
Tous les lapins en bois sont endormis
Sauf un seul

17 mai 2022
Sywia Chrostowska, Kenneth Cox,
Sarah Froidurot, Joël Gayraud, Régis Gayraud,
Guy Girard, Sarah Metcalf
Virginia Tentindo, Frank Wright.


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