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(Anthologie permanente), Julia Lepère, Par elle se blesse

Par Florence Trocmé


Julia LepèreJulia Lepère publie Par elle se blesse aux éditions Flammarion.
Ici l'eau s'évapore il ne reste que sel, luxure
Et visages mués en
Cascades, un temps. S'effritent
Nous regardons la rivière me regarde j'essaie de faire tenir
mon corps à être nymphe, un temps
Dans le remous tout se durcit
Mère
Faites que les nuages éclatent dans le rayon d'une île que le
bâton dérive jusqu'aux terres immobiles
Mots blancs que j'efface aussitôt rive souffle et aube son brame
écrire je suis déjà trop fort à L.
Je sors
/
Dans la ville grise
Aux supermarchés cafés cinémas on montre nos papiers nos corps sains nos âmes sont en sourdine, sous nos dents craquent des os et l'imagination dénude les jambes des filles rieuses devant les lampadaires j'en suis une que la poudre éclaire, il vient je le laisse faire, un verre se casse des perles tombent dans les égouts c'était
Une faim de loup
Je pense
À T. Tzara les cloches sonnent sans raison et nous aussi
D'autres s'affairent
Plus haut on devine les villas avec vue sur la mer
Plus bas, un chalet veille. Nous sommes entre les deux, on
ne voit pas
Se refléter notre image enfantine, aux couleurs gonflées.
Et puis nos yeux font mal à cause de la lumière mais de
nouveau le soir tombe et nous aussi, de nouveau des cheveux
coulent, des châteaux noirs enferment des étoiles
Et nous aussi
Ne sommes qu'en-dedans éclairés
Comme l'une file elle traverse un instant
Ce noyé
/
Au retour
Arbres coupés
Quelqu'un me dit qu'ils empêchaient le soleil d'aller
Derrière la terre depuis nos yeux
J'acquiesce
Ainsi le parquet de chêne
Peut rougeoyer dans des appartements au haut plafond, j'ai
toujours
Cette douleur au poumon c'est quand je me rappelle
Ceux restants ne trouent pas les trottoirs, ils ont des feuilles
Rares
J'ai oublié son visage
Il était je crois gris
/
Je tisse ma peau j’écarte
L’image amaigrie
Je fais la mise au point et puis le flou
Comme ce matin sur la plage
Je laissais passer tous les rayons
Et si je me couchais en attendant ton corps
/
En cette saison je me confonds
Avec le granit noir
Je suis un volet entrouvert, une rayure de bête où tu t'engouffres
Je te prends sans attendre. Nous roulons dans ce paysage
interminable je me fais lisse tu me dis sage j'essaie d'être
sauvage violente comme elle que j'imagine sèche et sexuelle
je me transforme encore à l'aide du vent dans mes cheveux
de lunettes de soleil d'un grand chapeau sous et sur mes
paupières des barbelés du noir cendré je pourrais me percer
nous fuyons à présent
Ta voix me pèse, te perds à l'intérieur d'un lieu sans air et
nous descendons encore, plus bas tes battements lents mon
amour, ta tête tombée mon ange, derviche tourneur mon cœur
que faut-il faire tu récites des prières me rendant
Archaïque au bord de cette route
Broyeuse de coquelicots forçant ta bouche à boire à même
mes veines
Le poison lent, alors
Tous les arbres du jardin épouseront ta forme, dans le parc
les statues pleureront de ta mort imminente les allées feront
pour toi renaître les lucioles infantes
Du temps d'avant l'avidité
J'ai brûlé les montagnes qui m'ont pris mon amour
Mis à feu et à sang les routes par lesquelles il a fui j'ai tué
le désir dans sa montée
Je me suis rendue à la mer
Dans un palais de filaments, de tentacules de nerveux
coquillages
De toutes formes indociles
A peindre des cils que j’ai cru voir au fond du sable
Ils creusent le monde en terrier mon cœur
S’éteint lentement c’est ainsi que je veux mourir, toi
en moi
Dans l’illusion de ton regard.
Julia Lepère, par elle se blesse, Flammarion, 2022, 138 p., 17€, pp. 36 à 41


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