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(Anthologie permanente), Inger Christensen, La Vallée des papillons et Alphabet

Par Florence Trocmé


Inger Christensen  la vallée des papillonsParution récente en collection Poésie / Gallimard d’un ensemble consacré à la poète danoise Inger Christensen. Il comporte La Vallée des papillons, Alphabet et d’autres poèmes, traduction du danois de Janine et Karl Poulsen.
Je m’appuie tendrement contre la nuit
sur la rampe rouillée
je trouve ma joue, mon épaule,
je trouve ma tendresse :
fer et chair.
   Le reste ondoie, s’effrange
en silence, interroge dedans, dehors
dans l’espace de la nuit, dans l’espace de l’âme :
   est-ce la mort ?
je pose ma main sur le visage
tremblant de la nuit,
enlève un peu de rouille sur ma joue
(p. 28)
L'HIVER
L'hiver s'attend à bien des choses cette année
la plage est déjà raide
tout fera un fera un cette année
ailes et glace feront un dans le monde
tout changera dans le monde :
le bateau entendra ses pas sur la glace
la guerre entendra sa guerre sur la glace
la femme entendra son heure sur la glace
l'heure de la vie dans la glace de la mort
l'hiver s'attend à bien des choses.
S'attend aux maisons, aux villes
s'attend aux forêts, aux nuages
aux montagnes, aux ravins, à l'angoisse
au cœur, aux enfants, à la paix.
L'hiver s'attend à bien des choses cette année
la main est déjà raide
un enfant pleure dans la maison
nous serons un, une vie :
j'entends ma maison glisser avec le monde
elle crie tout ce qui fut crié
le cœur cogne sa coque contre la glace
les gardons bruissent au fond du bateau
l'hiver attend bien des choses.
Si je suis gelé dans la glace
si tu es gelé mon enfant
ma grande forêt qui l’été prochain
ma grande angoisse de venir
si tu es gelée ma vie :
je suis un vautour d’ailes et de glace
déchire mon foie, ma vie vivante
pour l’éveil de l’éternité.
Cet hiver peut s’attendre à bien des choses.
(p. 32)
SOUS UNE VILLE
Sous une ville
le grand parcours
qui n’est pas le nôtre
Sous une pierre
les racines blanches
qui nous portent
A regarder l’herbe
je vois l’incertain
Une mort dénuée de sens
Une vie dénuée de sens
Dans l’herbe des enfants des oiseaux
(p. 87)
4
les pigeons existent ; les rêveurs, les poupées
les tueurs existent ; les pigeons, les pigeons ;
la brume, la dioxine et les jours ; les jours
existent : les jours la mort ; et les poèmes
existent ; les poèmes, les jours, la mort
5
l’automne existe ; l’arrière-goût et la réflexion
existent ; et le seul à seul existe ; les anges
existent, la mémoire, la lumière de la mémoire ;
et la lumière rémanente existe, le chêne et l’orme
existent, et le genièvre, la similitude, la solitude
existent, et l’eider et l’araignée existent,
et le vinaitre existe, et la postérité, la postérité
(p. 184 et 185)
Inger Christensen, La Vallée des papillons, Alphabet et autres poèmes, traduit du danois par Janine et Karl Poulsen, préface de Janine Poulsen, Poésie / Gallimard (n°571), 2022, 304 p., 10,80€
Sur le site de l’éditeur
Danoise née en 1935 et décédée en 2009 à Copenhague, Inger Christensen a produit une œuvre puissante. Cet ouvrage permet de mesurer l’ampleur de son inspiration et l’originalité très forte de sa manière. La poésie de Christensen adonnée à la scrutation du monde dans ses éléments les plus naturels entre le sentiment d’émerveillement constant et la conscience exacerbée de la perte et de la disparition imminente de toute chose, allie étonnamment l’obsession d’une structure précise et rigoureuse. Janine Poulsen, la traductrice, dont elle fut l’amie proche, propose en introduction une étude très informée et enthousiaste de cette œuvre étrange et magnifique où chaque mot est tenu pour « une cellule vivante ».


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