C'était un temps où l'on prenait beaucoup moins de photos qu'aujourd'hui.
Et pourtant certains détails demeurent assez présents. Il faudrait en faire une liste. Mais il serait très difficile de suivre l'ordre chronologique.
Le temps dont parle le narrateur remonte à plus de cinquante ans. Et il ne suit effectivement pas d'ordre chronologique pour le ressusciter.
Tous les personnages qu'il décrit n'ont pas tous un nom, à commencer par lui-même et La danseuse qui donne son titre à ce roman mémoriel.
Car c'est bien de mémoire dont il s'agit avec ses trous et ses détails, qui ne les comblent certes pas tous, loin de là, et entretiennent le mystère.
Si la danseuse n'a qu'un surnom, elle a un fils prénommé Pierre, dont le narrateur avec Hovine, un ami d'enfance à elle, s'occupe à sa place.
Hovine fait les courses. Lui va chercher Pierre au cours Dieterlen, une école du quartier du dix-septième arrondissement de Paris où elle habite.
Avant de loger à la Porte Champerret, la danseuse a vécu depuis l'enfance à Saint-Leu-la-Forêt et avait confié Pierre à des parents, en province.
Par hasard il a été mis en contact par une agence avec un dénommé Serge Verzini, qui lui a loué une chambre et qui avait en fait aidé la danseuse.
Verzini l'avait connue à Saint-Leu-la-Forêt ainsi que le père de Pierre, du temps où lui comme ce dernier n'étaient guère recommandables.
Le narrateur vient souvent au studio Wacker chercher la danseuse, rencontrée un soir dans un restaurant et laissée seule avec lui en en sortant.
Depuis ils se promènent dans le quartier à partir du cours de danse ou encore d'un autre lieu plus ou moins éloigné de la Porte Champerret:
Au début, j'avais du mal à la suivre, mais je finissais par m'habituer à son rythme. [...] C'était comme si elle m'entraînait et m'aidait à remonter à la surface.
Selon Kniaseff, le professeur de la danseuse, il faut que le corps s'épuise pour atteindre à la légèreté et à la fluidité des jambes et des bras:
Un jour qu'il se trouvait seul avec elle, il lui en avait expliqué le sens: oui, il s'agissait à force d'exercices de "dénouer les noeuds", et c'était douloureux, mais, une fois qu'ils étaient "dénoués", alors on éprouvait un soulagement, celui d'être libéré de la pesanteur, comme dans les rêves où votre corps flotte dans l'air ou dans le vide.
Les souvenirs ne lui viennent que par bribes: au lecteur de reconstituer le puzzle; et quand il y parvient, le narrateur lui dit ce qui importe:
Ni la danseuse ni Pierre n'appartenaient à un passé mais à un présent éternel.
Ce présent-là n'a assurément rien à voir avec le présent temporel où le narrateur déambulant dans le Paris d'aujourd'hui ne le reconnaît plus...
Francis Richard
La danseuse, Patrick Modiano, 112 pages, Gallimard
Article précédent sur l'auteur:
Patrick Modiano à Stockholm (8 décembre 2014)
Livres précédents:
L'herbe des nuits, 192 pages (2012)
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 160 pages (2014)
Souvenirs dormants, 112 pages (2017)
Encre sympathique, 144 pages (2019)
Chevreuse , 176 pages (2021)