La première fois que j’ai dit «Je t’aime»

Il y a bien longtemps, je n'arrivais pas à dire "je t'aime" à personne. Ces mots restaient coincés dans ma gorge alors que mon coeur avait envie de les exprimer. Mon premier amoureux m'avait d'ailleurs déjà fait la remarque alors que nous étions en Inde en 1982.

Ces mots coincés dans ma gorge faisaient mal chaque fois que j'avais envie de les dire à quelqu'un que j'aimais. De même, quand je voulais offrir des gestes de tendresse, mes bras restaient collés à mon corps. Je me sentais tellement impuissante et nulle...

Ces moments étaient souffrants.

C'est en thérapie, bien plus tard, que j'ai réalisé que je ne pouvais pas exprimer ces mots et ces gestes car je ne me sentais pas signifiante. Je me sentais plutôt insignifiante, transparente, pas à la hauteur, ne méritant pas l'amour de l'autre. Je n'avais aucune estime de moi-même et, si j'exprimais mes sentiments et offrais des gestes tendres, j'avais peur d'être mal reçue et de me ridiculiser. Aussi, dire "je t'aime" à quelqu'un pouvait être dangereux : je pouvais me faire rejeter et/ou pouvais le/la faire fuir. Telles étaient mes croyances alors.

Petit à petit, à travers la thérapie, j'ai compris qu'exprimer ses sentiments à un être cher n'était pas dangereux, pas envahissant, pas ridicule, pas engageant et n'allait pas faire fuir personne. C'était, au contraire, un cadeau de les partager car on crée un lien signifiant avec l'autre et on se les dit aussi à soi-même alors. Exprimer son amour à l'autre est aussi s'aimer soi-même.

C'est à cette époque que ma thérapeute m'a invitée à me dire "je t'aime" dans le miroir. Oufffff... En me regardant vraiment, et non juste en me lavant les dents ou en me coiffant, un phénomène nouveau s'est produit : je prenais vie, je sortais de la transparence et de l'insignifiance. Pour ce qui est de l'exercice, j'ai mis du temps à exprimer ne serait-ce qu'un son devant le miroir, la bouche restant bée durant de longues secondes, parfois minutes, jusqu'à ce que j'arrive à me dire "je t'aime". Que j'étais gênée, moi si timide alors.

Comme j'avais beaucoup de peine avec le miroir - cet exercice était assez violent pour moi à l'époque -, et que je venais d'accueillir un bébé chat, j'ai décidé que j'allais apprendre à dire "je t'aime" à Charlot, mon chat avec lequel j'avais une relation très particulière et très proche.

L'apprentissage prit quelques temps mais j'ai réussi de plus en plus facilement à lui dire ces tendres mots. Il me les rendait à sa façon par des câlins et des bisous doux en retour.

J'ai appris à lui dire "je t'aime" et à en être reçue positivement, sans avoir peur d'être ridicule ou/et rejetée. Les animaux nous aiment inconditionnellement et Charlot m'a été d'une grande aide dans ce processus.

Par la suite, j'ai appris à dire "je t'aime" à des ami.e.s. J'ai alors réalisé que j'étais bien accueillie, avec surprise parfois car eux ou elles non plus n'avaient pas l'habitude de recevoir ou exprimer ces mots. Nous avons appris ensemble.

L'année suivante, j'ai rencontré un monsieur à qui j'ai osé exprimer mes sentiments et offrir mes gestes avec tendresse et sans retenue. J'avais appris que je pouvais exprimer mes sentiments et ma tendresse. Pour y arriver, j'avais guéri bien des blessures d'enfance qui m'avaient gardée dans un espace de croyance d'insignifiance.

J'étais sortie de ma cachette, j'avais acquis de l'estime de moi-même à travers les guérisons et en me disant "je t'aime". J'étais devenue signifiante et avais laissé grandir la valeur et l'amour de moi-même. J'ai ensuite pu l'exprimer sans plus de peur à celui que j'aimais. La relation s'est développée avec de nouveaux cadeaux pour moi que j'espérais pouvoir vivre depuis bien longtemps.

Oser dire "je t'aime" est un des plus beaux cadeaux qui soit. Osons le dire plus souvent possible aux personnes qui nous sont chères, que ce soient des proches, des amis ou notre amoureux.se.

De tout coeur,

Dominique Jeanneret

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