Un article signé Blaise Thiberte, pseudonyme utilisé par Georges Boyer (1850-1931), qui était devenu en 1887 rédacteur en chef du Supplément littéraire du Petit Journal, dont il écrivit la causerie de tête.
Chance imperturbable. Un lugubre mystère.La chance de M. de Bismarck continue; la liste de ceux qui le gênaient, de ceux qui l'heure sonnée pouvaient menacer son œuvre et qui ne sont plus, cette liste funèbre vient de s'augmenter encore d'un nom. Le prince Rodolphe, l'héritier de la couronne d'Autriche, celui qui affichait ses sympathies pour la France, celui qui souffrait de voir perdue la prépondérance de son pays en Allemagne et parlait de la reconquérir, celui qui détestait l'élève docile du chancelier, Guillaume II, et quittait Vienne lors de sa visite, ce prince, jeune, courageux et intelligent, bon et fort, ce prince est mort frappé mystérieusement comme le furent Gambetta, Chanzy, Skobeleff, Louis II de Bavière et Frédéric III.
La coïncidence est cruellement étrange. Depuis peu de temps, on parlait de l'archiduc Rodolphe comme d'un espoir possible, et voici qu'il repose déjà dans le cercueil.
Certes on a le droit d'être heureux, mais au jeu lorsqu'un personnage louche gagne avec trop de persistance, involontairement on regarde ses mains.
Celles de M. de Bismarck ne se voient pas clairement dans les faits du drame récent. Le motif du meurtre est connu, il peut paraître suffisant ; on explique la vengeance de celui qui a tué, mais qui nous dira jamais si l'assassin n'a pas été conseillé, et s'il est vrai qu'il n'obéissait qu'à sa colère lorsqu'il a accompli froidement l'acte sanglant ?
Car il n'a pas cédé à un mouvement irréfléchi, à la seconde où il apprenait ou constatait ce qui lui fit prendre son arme; il a prémédité et si fort outragé qu'il fût, il n'a point été arrêté par la pensée de tuer un prince comme l'archiduc Rodolphe.
Pour le juger, il faudrait connaître mieux les circonstances, et l'honneur outragé a souvent droit à la vengeance ; je constate seulement et je raconte.
C'est un devoir aussi pour nous de nous associer à la douleur universelle et profonde des Autrichiens, car celui que la tombe a saisi aimait qui nous aimons, détestait qui nous détestons.
Donc, sans décider entre son meurtrier et lui, regrettons-le comme un ami qui n'est plus. [...]
Rodolphe. Les textes de MayerlingPour découvrir les différentes versions du drame de Mayerling, dont la version de l'assassinat commandité par Bismarck, je vous invite à lire le recueil de textes que j'ai présentés dans Rodolphe. Les textes de Mayerling (BoD, 2020) .
Quatrième de couvertureCommande en ligne chez l'éditeur, sur des sites comme la Fnac, le Furet du nord, Decitre, Amazon, etc. ou via votre libraire (ISBN 978-2-322-24137-8)
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