En flânant dans Salerne, je me suis laissé tenter par une visite au Musée archéologique provincial, qui n'attire que peu de touristes. Et ce me fut une découverte bien agréable, J'étais le seul visiteur à être venu tutoyer les vases antiques. Par ce jour pluvieux, c'est sans nul doute le dieu du soleil et de la poésie qui m'y avait attiré. Il se fit discret jusqu'au terme de ma visite. J'étais sur le point de quitter le musée, croyant avoir rassasié ma curiosité, quand le nom du dieu m'apparut en grands caractères au-dessus du linteau d'une porte que je passai aussitôt. Apollon m'attendait, ou du moins sa tête de bronze, de plus grande dimension qu'une tête humaine.
Crédit photographique © Luc-Henri Roger
Le musée a pris soin de laisser présenter la découverte de la tête d'Apollon par l'un des meilleurs écrivains italiens, Giuseppe Ungaretti (1888-1970) qui en a donné le récit en prose poétique dans "La pêche miraculeuse", un texte daté de mai 1932. Le voici en version originale, suivi de sa traduction :
" È già quasi notte, e in fila tornano in porto i pescatori di alici. Raccogliendo le reti, una sera, a una maglia restò presa non la gola di un pesciolino, ma a un cernecchio, una testa d'Apollo.Fu allora alzata in palmo d'una mano rugosa e, tornata a dare vita alla luce, sanguinando per le vampe del tramonto al punto del collo dove la recisero - a quel pescatore parve il Battista.L'ho veduta al Museo di Salerno. e sarà prassitelica o ellenistica, poco importa; ma questo volto, che per più di duemila anni fu lavorato dal mare nel suo fondo, ha nella sua patina tutti i colori che oggi abbiamo visto, ha conchigliette negli orecchi e nelle narici: ha nel suo sorriso indulgente e fremente, non so quale canto di giovinezza risuscitata!Oh! tu sei la forza serena e la bellezza. Quale augurio non ci reca quest'immagine che, fra gli ulivi, è finalmente tornata fra noi. "
GIUSEPPE UNGARETTILa pesca miracolosa, 5 maggio 1932Da "Mezzogiorno" in: Il deserto e dopo: 1931-1946, Milano, 1961
" Il fait déjà presque nuit, et les pêcheurs d'anchois regagnent le port en file indienne. Un soir, alors qu'ils ramassaient leurs filets, une maille s'est prise non pas dans la gorge d'un petit poisson, mais dans une mèche de cheveux, qui orne la tête d'Apollon.Elle fut alors soulevée dans la paume d'une main ridée et, revenant donner vie à la lumière, saignant des flammes du coucher du soleil à la pointe du cou où on l'avait coupée — pour ce pêcheur, il ressemblait à Saint Jean Baptiste.Je l'ai vue au musée de Salerne. et qu'elle soit praxitélienne ou hellénistique, peu importe ; mais ce visage, dont la surface a été travaillée depuis plus de deux mille ans par la mer, a dans sa patine toutes les couleurs qu'on a vues aujourd'hui, elle a des petits coquillages dans les oreilles et dans les narines : elle a dans son sourire indulgent et frémissant je ne sais quelle chanson de la jeunesse ressuscitée !Oh! tu es la force et la beauté sereines. Quel espoir nous apporte cette image qui, parmi les oliviers, nous est enfin revenue. "
Voici enfin la description de la tête par les curateurs du musée, qui datent le bronze de l'époque hellénistique :
" Pêchée au large de la côte nord du golfe de Salerne en décembre 1930, on pensait alors que la tête supposée d'Apollon faisait partie de la cargaison d'un navire coulé accidentellement, alors qu'aujourd'hui on suppose qu'elle pourrait provenir de l'effondrement d'un bâtiment non identifié proche de la ligne côtière. Réalisée selon la technique de la cire perdue, elle a été fondue et assemblée en soudant le bonnet, placé au-dessus du bandeau, et les boucles au reste de la tête et du visage. Le visage est ovale, avec des traits doux, des yeux sans cils et une petite bouche fermée. Les cheveux, soigneusement rendus, sont longs et ondulés et sont maintenus ensemble par un bandeau qui les laisse tomber autour des épaules en petites mèches. Le cou et le reste du torse présentent une légère inclinaison vers la gauche, ce qui suggère que le corps aurait pu avoir du mouvement et du rythme. La coupe non symétrique des épaules suggère l'idée que la tête pourrait appartenir à une statue, hypothèse également renforcée par le manque de précision de la partie arrière, où se trouve une grosse bosse, probablement ce qui reste de l'attache d'un manteau. L'œuvre peut être attribuée aux ateliers du début de l'époque impériale, qui s'inspiraient de modèles de la statuaire grecque de l'époque hellénistique."
Chemin vers le site du musée : http://www.museoarcheologicosalerno.it/