C'est comme un coming out en plus drôle
Elle était de ces femmes qui tiennent fermement la barre de leur vie déçues sentimentalement comme on l’est forcément à la cinquantaine, elles ne pèchent pas vraiment en eaux troubles mais laissent un fil à la traîne où parfois un poisson mord à l’hameçon
Au masculin c’est un opportuniste avec un compte oublié — on ne sait jamais — sur un site de rencontres — club de sudoku ou adhérent à la CGT — qui matche un soir de défaite
Mutation & Analyse au féminin pluriel
Le Moi de 2023 est-il l’identique de celui de 2016? Pire ou meilleur? Selon la loi immuable de l’évolution, il y a une exigence légitime d’excellence que la survie élémentaire parfois induit à changer de trajectoire, faire demi tour sans régresser, page banche, balles neuves? En tout cas, il faut bouger
A l’évidence, le temps altère le corps, diminue les capacités. Le mental s’adapte-t-il à ces nouvelles dispositions? La vue d’un escalier à gravir peut susciter de l’inquiétude, en tous cas l’environnement est riche d’enseignement au delà de la symbolique métaphorique des obstacles à franchir. Si un mental fragile déni la faiblesse du vieillissement, c’est du temps perdu. Libido en berne, performance à la baisse, la négation de l’inconfort qui nous fait préférer un canapé du dedans au grand air du dehors peut être fallacieuse selon la saison. Sortir en hiver ou attendre le printemps est le premier dilemme car avec l’âge, demain suppose un an de plus, rarement un an de mieux, surtout quand la maladie s’invite dans l’équation
J’ai survécu à 2016 certainement au prix de quelques séquelles car, au delà du très nietzschéen « ce qui ne tue pas rend plus fort » cette déroute pitoyable m’a laissé du « sang sur les mains » et les remords qui vont avec
A l’heure du dépôt de bilan maintes fois retardée, je déclame mezzo voce:
J’ai pardonné à des impardonnables comme il se doit car je l’étais aussi et oublié des inoubliables. Mes déceptions furent à la hauteur de mes espérances mais je suis contraint à l’indulgence puisque je suis décevant. J’ai agi spontanément sans trop réfléchir et réfléchi souvent sans agir. J’ai ri trop fort pour faire plaisir, pleuré parfois pour faire pitié, souri bien blanc pour faire envie, couru pour rattraper, payé pour avoir, simuler pour être, prêté pour un rendu, donné ce que je n’avais plus à qui ne demandait rien, emprunté peu, rendu au centuple, j’ai promis et j’ai tenu, j’ai juré et j’ai failli. J’ai cru mourir par un souvenir, pour une lettre d’amour, après une lettre d’adieu, j’ai appelé des répondeurs pour entendre des voix. J’ai eu peur de perdre autant que j’ai eu peur de gagner. J’ai déchiré des photos, effacé des empreintes, oublié de vivre trop occupé à survivre. J’ai sauté des repas et des barrières, élevé sans éduquer, nourri sans enseigner, appris sans comprendre, transmis sans savoir. J’ai douté de mes certitudes et commis des erreurs jusqu’à l’entêtement puis la faute. J’ai serré dans mes bras sans jamais dominer, prêté mon épaule à des accablements et tendu l’oreille à des confidences parfois écoutées sans les entendre. J'ai fréquenté des sceptiques assis et côtoyé des naïfs debout. J'ai connu des jours pluvieux et des nuits moins jeunes, des temps humides et des toilettes sèches. Bref, j’ai survécu à tout cela disais-je, toilettes sèches incluses, opportuniste comme tous les survivants, misérable ainsi que les lâches d’avoir trop aimé trop d’elles et trop peu celle qui les valait toutes. Et je suis bien parti pour recommencer
État des lieux
L’environnement me semble moins hostile. M. a remplacé A., Paris remplacé Chartres après Bordeaux. La cage est plus grande, la porte est entr’ouverte, je peux toujours déménager en 5 minutes. Y a du jus à la banque, mes avoirs tiennent dans un break récent avec remorque pour la moto et galerie pour le kayak, piano et tapis de course dans le coffre, je suis paré. A la précédente débâcle, le dressing tenait dans le coffre, les archives dans la boîte à gants, la fortune contenue dans le réservoir d’une bagnole à bout de souffle avec un solde à deux chiffres à la banque. C’est pas du progrès ça?
Métiers, revenu, logement, les enfants, la fratrie et la parentèle encore vivante sont à l’abri. Je n’y suis pas pour grand chose, le temps en a fait son affaire
J’ai déçu G., lassé A., irrité M. Pour confortable qu’il soit mon statut est précaire. Je jouis d’une liberté de mouvement et d’une relative aisance financière dans une cohabitation pédagogique. J’apprends beaucoup de la vie à deux sur la patience et l’écoute. Je subis des conversations sur la vie quotidienne que je juge insipides conscient que les miennes le sont tout autant. Bien sûr, mes centres d’interêts sont multiples mais après avoir tenté de les partager avec M. jusqu’au harcèlement — mettre un strapontin sur la Triumph jamais utilisé — j’ai renoncé.
La relation avec M. était platonique pratiquement depuis le début. Après quelques figures consenties, elle jouissait de sa tranquillité chat/télé/canapé/ tricot. Je crois que ma présence l’apaisait, que mes silences lui laissait l’espace pour discourir, mes acquiescements ponctuaient ses souvenirs, il me fallait retenir quelques prénoms ou une date pour relancer une nostalgie bégayante qui s’estompait de trop d'itérations
Clairement, M. est peu intéressée par le grand air, les randos, la moto, le vélo, le ciné, le théâtre des Grands Boulevards et les manifs à Bastille. Je me suis sédentarisé. Grasses mat’ et bouffe industrielle, sodas, pâtisseries, j’ai pris dix huit kilos. Par mimétisme, acceptation et autres renoncements.
Le hasard m’a remis sur la trajectoire de G.
Deux mois plus tard, j’avais perdu le supplément de bagage et gagné une hernie linguale pour amaigrissement trop rapide. La mémoire orale de M. s’est tarie pendant que je courais dans Paris derrière ma taille de jeune fille. Après le mur du son c’était la murette du mutisme. Un espace silencieux s’était entr’ouvert. Je m’y glissais comme un coin dans une bûche.
Théâtres, cinés, longue promenade dans Paris, un autre espace s’ouvrait, lentement mais pas trop, tendrement, improbable comme une résurrection. En compagnie de G. la moto était un plus. Grâce à l'intercom dans nos casques j'amorçais "Sous le pont Mirabeau coule la Seine..."et elle était capable de me réciter la suite par cœur comme ça, au débotté. Entre Auvers/Oise et Paris Apollinaire avait tout donné et nous avions épuisé Brassens. « Tu vas pas être facile à oublier. Je n’ai pas envie que tu m’oublies »
Retour dans le 15ème coté chambre, Annecy, le grand Bo, concert sans que M. ne réagisse.
Entrant/sortant entre chien et loup je ménageais ma colocataire avec un stress inutile pour donner le change affranchis des réponses à des questions que M. ne posaient pas. Accord tacite? Indifférence? Cécité volontaire? L’omission évitait l’humiliation à l’une, le mensonge à l’autre. Rien ni personne ne l’empêchait de me virer pourtant, depuis quelle m’avait persuadé de libérer mon pied à terre chartrain, je dépendais d’elle pour le logement. Jamais la question n’avait été posée de mes absences puisqu’elles étaient tacitement admises et justifiées par des randos et des sorties qui ne l’intéressaient pas. J’étais passé d’une cohabitation sédentaire à une cohabitation domestique. Elle s’était installée dans une vie de femme de marin ravie par mes départs autant que par mes retours à terre, le danger en moins.
G. avait peu d’exigence en terme de temps de présence, elle même occupée par une activité professionnelle qui la voyait courir de réunions en quais de gare et de piscine en salle de gym. Bi localisée à Paris et en Savoie, elle soldait le week-end ses obligations monoparentales auprès d’un Tanguy violent, chômeur, alcoolo, toxico à Annecy. Elle se confiait peu sur cette culpabilité de divorcée qui lui faisait acheter deux I Phone au lieu d’un. Cette malédiction émerge sous les plus épaisses strates de vernis. Cautère sur jambe de bois, on la soigne avec des cadeaux, des « ce n’était pas ma faute » et des « j’ai fait ce que j’ai pu ». J’étais pour elle un trait d’union entre deux sessions amoureuses et un divertissement supportable quand elle était à Paris. Mon comportement piteux sous la couette, dont elle s’accommodait, ne dérangeait que mon orgueil. Sans oublier de balayer devant ma porte, je ne pense pas qu’elle jouait sur deux tableaux. Après mes sautes d’humeur, elle reprenait le contrôle semblant tenir à ma compagnie. C’était pour moi une énigme
Un jour j’ai perçu un coup de moins bien. Ma parano comme une mèche lente allumée deux mois plus tôt par une info dont je me serais bien passé — une notification dans un coin d'écran d’un site de rencontre pile poil pendant qu’elle me montrait des photos sur son smartphone — me fit suspecter qu’un profil avait matché récemment et j’explosais comme un pétard mouillé. Choc thermique augmenté du fait qu’elle me recevait ce soir-là en bas de l’immeuble. Le monologue à deux qui s’ensuivit ressemblait à un insecte s’empêtrant dans la toile d'un malentendu où nous nous étions fourvoyés. Piètre amant (quand tu commences à bander de travers, c’est le final count down) piètre ami, piètre skieur ( elle m’avait testé sur les rouges du Grand Bo ) en toute logique, il était probable que je ne verrai pas le printemps.
Je ne croyais pas si bien dire: deux jours après la rupture je "faisais" un infarctus
Post mortel
« Les meilleurs plans passent à la trappe quand tu prends une droite » disait Mike Tyson
On l’a vu plus haut, la stratégie est souvent absente de mes gesticulations et je n’avais pas vu venir cette droite. Comme tout le monde j’avais un plan A : pas de cigarettes, ni d’alcool — je devais en être à moins de dix cuites pour une vie —, la drogue ne me tentait pas, aucune idée de beuverie, de banquet, de bombances et d’orgies — sauf peut-être de fraises Tagada —, pas de partouze — j’avais du mal à boire dans le verre d’un autre — peu de viande rouge, pas de Doliprane à la moindre douleur, fièvre et maux de tête disparaissaient après une bonne nuit de sommeil. A part un contrôle technique de prostate, les labos et les médecins n’étaient pas dans mon agenda. Côté cardio, un chagrin d’amour, je marchais dans la forêt, une rupture et je courais dans les bois. Mon activité physique était donc intense.
Rien non plus côté ancêtres, l’infarctus devait être le plan B, cette droite que je n’avais pas anticipée
On voit sa vie défiler paraît-il quand le palpitant fait des siennes.
Pas du tout!
Enfin si!
La tranche 2019/2023 Inutile de sortir le carbone 14 pour dater la genèse de cette histoire. Une histoire de quoi?
Souvenirs moisis versus compte de faits avec princesse charmée et crapaud en mutation?
Pourquoi pas. La compilation des coups de bol, était plus crédible que la réalité. C’est foutu comment un conte de fée? Un scénario basé sur la concomitance/causalité! Les besogneux de Netflix doivent tout à Charles Perrault et aux frères Grimm
Script: un crapaud dépressif rate son suicide sous les pas d’un randonneur sur un GR en Lozère. Le crapaud n’est pas très futé. Ou maladroit. Ou pas très motivé. Un peu des trois. Casting de rêve, le randonneur est une fille d’une beauté démocratique — pas le genre de princesse à honnir le populo — elle « embrasse » le crapaud et, comme disent les gourous du développement personnel, « La beauté est dans les yeux de celle qui regarde » ou « C’est dans les yeux d’une femme qu’un homme sait qui il est » j’me souviens plus trop. « Embrasse » c’est plutôt par respect des codes du genre dans le monde des princesses et des crapauds. Dans la vraie vie, c’est une succession de bribes de conversations ébauchées aux étapes du chemin que des miracles quotidiens faisaient se retrouver deux individus dans des villages bondés de 400 âmes, randonneurs compris.
Bref, je — le crapaud qui a retrouvé le langage articulé — l’invite à dîner à Saint Jean du Gard au terme du GR, lui propose —avec quelques tournures langagières — un one shoot sur la banquette arrière de la vieille Volvo, elle décline et je m’arrache. Des étoiles plein les yeux, je verbalise tous les cent mètres comme un mantra de désenvoutement, que « je m’en tamponne » en mâchant son prénom. La Lozère a succédé au Gard et le petit matin à la nuit. J’avais dormi sur la banquette arrière de nos ébats virtuels et au sommet du Mont Aigoual en terre protestante, lieu du partage des eaux. J’dis ça pour le contexte, histoire que le cadre soit raccord avec le merveilleux. Un SMS est mystérieusement tombé — je démarre fort avec la magie — « mystérieusement » pas vraiment! J’avais griffonné mon numéro de téléphone sur le manuscrit bourré de talent d’un Moi futur Goncourt émergeant. A part son prénom j’ignorais tout d’elle puisque je ne sais parler que de moi, et m’intéresse peu à mes interlocuteurs. Avait-elle un patronyme, un métier une voiture, un animal de compagnie, une envie — de moi de préférence? Par cet effet que l’on appelle de halo, on imagine partager un package commun parce qu’une passion identique nous a réuni. Aimer la rando, choisir les Cévennes, dîner d’une salade César, une mise élégante, sobre et sportive suggérait- elle qu’elle votait à gauche, aimait Brassens, Apollinaire, Aragon ou Mozart? Le ski, la moto et le vélo? Elle arrivait avant moi aux étapes et marchait avec des bâtons, deux divergences, déjà! Je fais quoi moi, si elle est de droite et aime Jul? Je ne savais rien de la culture et des goûts de la femme qui venait de bousculer ma trajectoire « à l’insu de mon plein gré » sans doute parce qu’il se faisait tard et la femme de ma vie était déjà passé plusieurs fois sans que je la fisse. Été 2019, j'étais encore et toujours un vieux con. Je déclinai son invitation dans les Alpes mais acceptai celle à Paris. Nos échanges nous avaient appris à elle, notre différence d’âge et à moi que je « ne faisais pas le mien ». Elle me précisa qu’elle attendait sa sœur la semaine prochaine. J’en déduisis que notre histoire n’irait pas au delà du week-end — nonobstant les effets secondaires que pouvaient produire un crapaud sur, ou sous, une princesse quatre nuits durant — . Fin de l’histoire
Instant mytho
On peut toujours s'inventer une autre vie, y croire puis elle devient vraie... un pseudo pour commencer
Thomas Benjamin Dunid referme sa parenthèse parisienne. Le baluchon à roulettes qu’il promène vers Breteuil, comme d’autres sortent leur cabot entre les Invalides et Saint François Xavier, contient quelques chemises, jeans et sous vêtements des quatre jours passés à Paris. La flânerie, avec cette valise provinciale qui le trahit, stimule son imaginaire, il se voit dans une vie de résident de la prestigieuse avenue. Il revient vers Cambronne, traîne en terrasse pour un dernier café, puis finit à Montparnasse. G. s’est engouffrée dans les entrailles du métro sans se retourner. Elle « n’aime pas les adieux »Tom aurait supporté l’idée d’un petit signe complice et d’un regard humide, ça se fait pour des adieux, non?
Ils n’avaient rien évoqué de l’après lors de cette dernière nuit. Tom n’avait recueilli aucun indice dans l’attitude de G. hier soir non plus, trop occupé à jouir de la douceur de l’instant. Personne ne l’attendait à Chartres ou ailleurs même pas un train à Montparnasse puisque 4 jours plus tôt il n’avait pris qu’un aller simple. Sans l’amertume des déçus qui attendent du hasard une bonne surprise, son été l’avait comblé. G. était un bonus « féerique » pour un crapaud dépressif tombé du nid, il n’avait aucune perception du maintenant ni du tout à l’heure. La valoche de l’oubli et du linge sale au bout de son bras échappait à la pesanteur de la réalité — les roulettes, sans doute — . Chômeur fauché il était de ces traîne savates en fin de droit attendant la retraite. Ensemble de raisons amplement suffisantes pour partir sans se retourner ni donner de nouvelles. Il ne lui restait plus qu’à inventer la suite. Romanesque de préférence.
Quand le hasard corrige après soixante ans de distraction l’absence des fées autour du berceau et de la cuillère d’argent dans la bouche il faut assurer soi même le service après vente
G. ne s’était pas retournée mais elle avait écrit ce que Tom à cru lire
«Je me suis enfoncée dans les entrailles du métro, sans me retourner, (…)
… je me demandai si je te reverrais un jour. Je me demandai si je devais te revoir. (…) pas fiable, pas confiance, pas pareil, pas d’avenir, pas facile, pas trop vite, pas besoin, pas d’mon’monde, pas pratique, pas envie et, de pas en pas, je faillis me convaincre qu’y avait pas d’raison d’ s’en faire puisque le pas était aussi infranchissable que la mer rouge et qu’il suffisait d’attendre sans bouger qu’il ne se passe… rien… et que ça ne se passe… pas…
(…) je bénéficiai d’un wind setdown qui vint faire émerger une étroite et toute petite bande de pourquoi pas au milieu de l’abîme des pas sans pourquoi.
Je n’ai que ça à t’offrir, ce tout petit pourquoi pas, fragile et précieux. Mais je te l'offre de tout mon cœur.
G.» (Texte et typo d’origine)
Vachement plus efficace qu’une émoji d’adieu dans un SMS
À Chartres, Tom dépliait son clic clac pour la nuit quand le pigeon voyageur Gmail délivra son message. Autant dire que ses ruminations mentales furent moins maussades cette nuit là et suivantes.
A Paris, le protocole de communication s’était à peine ébauché entre ces deux chats échaudés cependant l’info contenue dans ce message donnait du grain à moudre à ce meunier-tu-dors de Tom!
« pas d’mon’monde… » Bien vu Lulu mais là je peux faire quelques chose pour toi quant à ce « pas pratique… » nous verrons plus tard. Tu ne m’as pas vu sauter dans mon short en trois enjambées au saut du lit et partir courir 5 km avant que ton café refroidisse songea Tom à voix haute.
En compilant cette séquence de hasards Tom parvient avec conviction que cette rencontre était une conspiration de l’univers tout employé à cette organisation omettant quelques peu ce décalage horaire de onze ans. En temps cosmique l’apparition de la vie sur terre était intervenue une seconde avant minuit, l’ainée de ce fantasme remplaça le cadet de ses soucis dans l’infini de son ennui
L’urgence commandait donc à Tom d’améliorer ses compétences. Il semblerait qu’elle ait vu, dans le monde de Tom, un potentiel inexistant ou indisponible dans son « pas d’mon’monde ». Paris, un carrosse, des godasses qui tiennent le coup au delà de minuit. Marre des six trouilles de fin des six dernier mois, Tom sentit un souffle « Alors les dieux, les rois, la chance et la victoire … » en direct de l’ami Kipling qui lui redonna un coup de frais. Il lui sembla entendre le cri du cormoran le soir au-dessus des jonques. Ce qui n’est pas un mince exploit quand on dort sur ses deux oreilles.
Tout cela était peu compatible avec sa quête de sagesse
La semaine suivante G. se déplaça apportant deux infos importantes sur le « pas d’mon’monde… ». Elle roulait dans une bagnole de fonction qui devait coûter le prix d’un studio en province et zappait une réunion familiale pour visiter un quasi inconnu distant de 700 bornes fois 2 en comptant le retour — Tom, même en pleine mythomanie, imaginait difficilement qu’elle vienne s’établir à Chartres y compris avec un « tout petit pourquoi pas » —. Le qui suis-je? était à la hausse et le qui est-elle? plein de mystères.
G. avait dompté un vieux lion nourrit à la salade depuis trop longtemps sur le point de devenir végan qui ne demandait que ça. C’est elle qui avait la main durant ses week-end disponibles. Bordeaux, Annecy, Paris, Tom augmenta dangereusement son empreinte carbone et son découvert bancaire.
A cause ou grâce à ce « pas pratique… » et tant de « pas envie, pas besoin » G. disparue lors d’un trek à l’autre bout du monde. Perplexe Tom n’avait aucune légitimité, ni moyen pour investiguer sur ce mystère —qui n'en était un que pour lui —. Le cerveau aux abonnés absent, le cœur est bien incapable de traiter toutes ces informations contradictoires. Restent les hypothèses sur les codes de communication de l’étage supérieur. Dans le monde de G. sans doute considère-t-on que l’alter aura la faculté de piger par défaut qu’une fonction a changé dans une équation où il a perdu la sienne.
Peu importe, après ce concerto il convenait d’applaudir debout, abasourdi, le silence d’après, c’est encore du Mozart dit-on. Avec un statut d’ex aussi vertueux, Tom était désormais satellisé sur une orbite stratosphérique. Disparition, rupture du signal se traitent en quatre étapes: déni/rébellion/acceptation/émancipation. Deux pas dans l’absurde, deux autres dans la résilience, le compte est bon. Pour un Tom perplexe le regain coûta le temps d’un hiver rigoureux prés d’un lac avec un aigle noir dans un ciel en province. Emancipé et libre, les moyens se connectent aux ambitions quand un fée un jour d’été embrasse un crapaud. Cette rencontre tardive, inespérée, pas vraiment inattendue — si on fouille un peu — avait sonné comme une alarme incendie dans un Ehpad. Vite Paris, Choisy-le-Roi, Bourre-la-Reine, Jouy-en-Josiane! Au cas où…
Avec une baguette magique, c’est facile! Tom eut ses entrées par la porte de service de la chambre d’une rédactrice d’un éditeur parisien. Chaque être humain dispose à minima, d’un pouvoir concentré sous la ceinture lui permettant d’entrer en contact plus ou moins rapproché avec ses congénères selon la règle assez bien foutue de l’offre et de la demande.
Josiane prenait sa pose clope rue Huyghens, Tom venait d’acheter le dernier — espérons — Amélie Nothomb pour se faire bien voir en déposant le manuscrit de Saint Jean du Gard. Josiane remarqua la mention « emplacement disponible » en lieu et place du nom de l’auteur et, comme elle n’avait à rien à se mettre sous la couette ce soir, elle accepta le café que lui proposait Tom. Thomas B. Dunid avait une confiance absolue depuis la parenthèse G. Dans l’espace propice à la confidence, grâce à la compatibilité des épidermes de Josiane et Tom, ce dernier écouta attentivement post câlin, la description de sa fonction chez Alb’mich’
— J’ai lu ton manuscrit c’est pas mal, prétentieux mais pas mal
Faste soirée. Je suis vidé de la cave au grenier et je vais être édité pense Tom — plus que jamais — tombé du nid
— Bon, tu ne seras pas publié mais …
— Comment ça?
— Redescend! Sais-tu ce qu’est un bouquin?
— Chais pas, un truc avec des mots qui font des phrases qui racontent une histoire, une fabrique d’image, une usine à rêves
— Mouais je vois pourquoi tu baises avec des pincettes. T’es un romantique
Tom capta rétrospectivement une raison possible de la coupure du signal avec G. — « quand tu commences à bander de travers, c’est le final count down » —.
— C’est ça! Bon, je vais y aller moi, j’ai mon canasson garé en double file
— Et caractériel en plus! Montre moi ce que tu sais faire avec ta langue puisque t’es tout mou et j’t’explique
……………………………………………………………………………..
— T’écris correctement sans plus mais t’es personne. « J’ai lu le dernier de PPDA, j’ai adorééééé!» Tu piges? T’es pas bankébeul! Imagine un dîner en ville où l’on s’exclamerait: « J’ai lu le dernier Tom B. Dunid, j’ai adoréééé! » Ce n’est pas un talent que l’on publie, c’est une marque. T’as vu qui on a dans le box?
Le catalogue a de la gueule en effet! Pendant qu’elle nettoyait les écuries d’Augias dans sa tête Tom a trouvé la machine expresso
— Café?
— Oui! Quand j’ai vu ton « emplacement disponible » j’ai cru que tu savais…
— Que je savais quoi?
— T’es juste con en fait. Tu crois qu’il a le temps d’écrire Machin? Nan, y a des rédacteurs. Bien sûr, il y a des auteurs mais ça coûte une blinde en pub. Je dis pas qu’il n’y a pas de coup de temps en temps…
Elle buta sur le mot « coup »
— Dis donc, tu sais pas faire le café, non plus!
Pourtant Josiane redemanda du rab de plume à Tom. La solitude de la quinquagénaire parisienne qui n’a pas accès à la chirurgie esthétique est dramatique.
Tom s'est entiché de son langage cash, cynique — un poil vulgaire — beaucoup plus riche d’enseignement que la flagornerie des simulatrices. Elle posait des mots sans fioritures sur ceux qu’il écrivait avec des enluminures. Commerce équitable, elle modérait ses hyperboles, il lui fit un meilleur café. A double titre, la plume payait et Tom sorti du confinement mieux nanti qu’il y était entré
Pour Tom il n’est que temps de rattraper le temps perdu. Breteuil hors de prix — à quoi bon, sans chien à promener — tant pis pour le 15 ème, le 14 ème fera l’affaire, quelques jouets, bagnole, moto, fringues, des achats antalgiques, une vie sociale, des potes, des sorties.
Restait plus qu’à croiser G. par hasard. Restait plus qu’ à inventer une fin, surtout!
Instant lucide
« Le hasard est un sourire, qui promet mais ne tient pas » disent ceux qui entrent dans la parano en sortant de la déception. À quel instant un jeu de séduction devient un jeu de dupe? Un sourire, la tête qui s’incline, une chevelure qui vole, une femme peut donner peu en suggérant beau cou et tant pis pour les rêveurs. « Je boirais bien un cou » fantasmait Dracula
Le hasard est une vue de l’esprit et non pas une création divine. Une croyance, pas encore une science. Celle des algorithmes s’en occupe. Dans cette attente on s’occupe à démasquer les tours de magie des corrélations illusoires.
G. conviait Tom à la rejoindre. Ses invitations ressemblait à des convocations. Reçu par un sourire en tenue de mummy porn ou en bas de l’immeuble. Cause interne: t’as pris dix kilos entre deux rendez-vous. Cause externe: un profil a matché entre deux entrevues. Hypothèse: elle avait envie d’être entendue et tu ne parles que de toi. Quelle perception as-tu de ton environnement? Est-ce une relation équilibrée ou asymétrique. Nous ne sommes pas en situation de fonder une famille mais toute relation repose sur un équilibre. Commerce ou sentiment, il faut une valeur ajoutée dans toute relation humaine. Confort affectif ou bénéfice secondaire amical, y compris chez ceux qui n’ont besoin de personne, surtout chez celle qui n’a besoin de personne.
Saison 1 VS saison 2, Tom sortait de chaque entrevue perplexe. Elle ne prévoyait jamais une prochaine fois. Un rite s’installait, s’espaçait puis cessait. Tom ne relançait pas ou peu
Elle jugeait peu fiable un homme capable de traverser la France à genoux pour quelques heures ensemble dans la même pièce. Après un dernière goujaterie où Tom lui avait laissé l’addition G. avait souscrit à la proposition du serveur témoin de la scène de la raccompagner chez elle et à monter prendre un dernier verre. Les hommes sont des pions, la plupart s’adaptaient à son anatomie. Être associée à un projet la faisait fuir mais peut-on vivre sans projet? Tout autre que Tom aurait pigé qu’elle avait les mêmes désirs que tout un chacune mais pas avec lui
Instant Karma
Avec « d’autres » Tom pratiquait le Ghosting sans le savoir et avant que le concept soit identifié.
Séduction debout, séduction assise, séduction couchée et après on fait le mort, on réponds tardivement ou pas du tout. Un smiley suffit. Ambiguë. Encourageant, en cours rageant. Cruel! L’autre se perd en conjectures. Selon son degré de maturation — c’est comme une vinification mais cela donne rarement un grand cru — et son taux d’indifférence, à lui de faire des allers/retours de la culpabilité au doute avec étape à la responsabilité. Mais comme on peut se foutre de la peine des autres dans la nôtre douleur teintée de narcissisme!
Où finit la politesse où commence la manipulation?
Les choses se terminent, il y a une fin à toutes choses. La fin de l’histoire à peine ébauchée peut susciter quelques incompréhensions. Quand une rencontre ne résulte d’aucune stratégie consciente, c’est à n’en pas douter la résultante de l’action des forces obscures, « une conspiration de l’univers tout entier occupé à cette tâche ». Au bout du compte, des oublis, des faux départs, des mensonges et des omissions et des impondérables, bingo, c’est l’intersection! Improbable, têtue, répétitive, allez ça se tente, tout’ façon j’ai rien prévu entre une crise cardiaque et les fuites urinaires.
Calme-toi! Il faut remonter plus loin dans le temps: quelque chose se termine qui n’avait pas commencé, serre le frein à main, la reine est redevenue un pion, le fou se déplace en diagonale. Pourtant certaines choses, à peine entrevue sont inarrêtables.
Conditionnement. L’évaluation donne un coup d’avance, issue de l’observation, l’analyse des critères physique est riche en info. Il ne faut pas se fier aux apparences? Je crois bien que si! Ton miroir te trompe.« je sais mieux que toi qui tu es » ta démarche, tes attitudes montrent a ton insu ton humeur du moment autant que celle de ton passé. Comme un bois brulé laisse des cendres le temps signe et pas seulement à coup de ride. Chaque épreuve griffe, laisse son paraphe en pied de page
La chance est un don non - génétique. A ce titre il n’y a pas de hasards, il y a la conscience des faits, la perception de l’environnement, l’analyse des tenants et des aboutissants
Tom, peu sûr de lui, attribuait toutes les bonnes fortunes au hasard et se mortifiait dans la responsabilité des loupés.
Changerait-il ce biais cognitif qu’il crèverait ce plafond de verre!