Le tunnel avec la lumière blanche au fond
1976-Toulouse. J'étais dans un cycle travailler/dormir et rien ne pouvait m'en distraire
Même pas les énormes mouches qui tapissaient les murs cette nuit là
L'odeur inconnue et écœurante non plus.
Je n'avais que quelques heures de sommeil à prendre dans ce gourbi de la rue du Taur dans le vieux Toulouse avant de reprendre la route de Bordeaux comme toutes les nuits
J'arrivais dans cette piaule épuisé, je tombais sur le plumard, m'endormais instanément et pionçais profondément la plupart du temps tout habillé
Ce sont des hurlements derrière le mur qui m'ont réveillé pourtant il m'était impossible de bouger.
La sensation de présence dans la pièce en entrant cette nuit là devint réelle. Le poids d'un corps allongé sur le mien m'empêchait tout mouvement
Apparemment il faisait jour dehors alors qu'il me semblait n'avoir dormi que quelques minutes
Il y avait un rai de lumière dans mon champ de vision. Seules mes paupières avaient le privilège de bouger, il m'était impossible de tourner la tête, lever un bras, détendre une jambe.
Mon corps désobéissait mais j'avais le temps de réfléchir
Mon voisin était en train de clamser!
C'était évident.
A voir les mouches sur les murs et le plafond il ne devait déjà plus être très frais
Je n'avais pas tenu compte les jours précédents de ce mot punaisé sur sa porte me disant que les habitants réguliers de ce bouge répondraient à cet appel au secours
La culpabilité de ma non-assistance ne me vint que par la peur de ce corps immobile et muet allongé sur le mien dont je sentais l'haleine dégueulasse que je situais entre le yorkshire pourissant de l'intérieur et les chiottes sur le palier bouchées mais toujours utilisées depuis une semaine
Dans l'impossibilité de parler, je négociais mentalement avec Satan, priais Dieu, implorais Thanatos afin que l'un ou l'autre me lâche la grappe.
Bingo! 21 grammes de mon âme obtinrent une permission de sortie. Hors de moi je vis allongé un homme qui semblait être moi, en tout cas il était dans mes fringues et il faisait le mort
Thanatose! Phénomène bien connu dans le monde animal quand une proie veut échapper à un prédateur
Ou ghosting quand une frangine t'a rayé de sa playlist
De ma vue imprenable je constatai que j'étais bien seul dans la pièce, si je ne comptais pas les mouches et, puisque j'avais le pouvoir de passe-muraille, j'en profitais pour aller visiter le voisin
En effet, il était raide, son corps grouillait de vermine, des vers sortaient des orbites dont il terminaient de boulotter les globes oculaires, d'autres sortaient par les narines et ça schinguait puissant. Une main sans bras avançait sur le sol comme un claquos se déplace grâce aux vers qui le squatte
Pour les hurlements qui m'avait réveillé je n'avais pas d'explication car il semblait que mon mort avait perdu l'usage de la parole depuis un moment
Je suis repassé entre le mur et la tapisserie, j'ai repris possession de mon enveloppe charnelle redevenue opérationnelle et je me suis cassé
Le reste, je l'ai appris par les journaux. Un pauvre diable abandonné de tous dont personne ne se souvenait qui ne payait plus son loyer
Et pour cause
Je n'ai jamais parlé de cette histoire mais j'ai eu une explication scientifique à mon looked in syndrom. Il arrive que le cerveau se réveille avant le corps. Les perceptions vue et odeurs sont activées mais le corps reste inerte quelques secondes. La notion de temps est abolie, les secondes peuvent sembler très longues.
Le reste est affaire d'imagination en compagnie d'Edgar Allan Poe et de Marcel Aymé