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Paris 1897— Le Bazar de la Charité et Sophie-Charlotte en Bavière, duchesse d'Alençon, un article de René d'Anjou

Publié le 20 janvier 2024 par Luc-Henri Roger @munichandco

Paris 1897— Bazar Charité Sophie-Charlotte Bavière, duchesse d'Alençon, article René d'Anjou

Carton d'invitation de la part de Madame la Duchesse d'Alençon

Les belles oeuvres féminines sociales — Le Bazar de la Charité

Un texte signé René d'Anjou (1) dansL'Écho de la mode du 28 avril 

    Rue Pierre-Charron, dans les galeries de pierres, froides et mélancoliques, qui ont remplacé les barraques en planches au toit de goudron, si tristement écroulé le 4 mai 1897, la foule se presse pour donner... Malgré les temps si durs, les choses si chères, les obligations de la vie sans cesse accrues, on trouve toujours la part du pauvre. Et il n’est pas une Parisienne ou étrangère de passage en notre capitale qui n’ait l’idée d’aller visiter un comptoir, au moins, pour y prendre un bibelot sans valeur royalement payé. Toutes les œuvres, ou presque toutes, sont groupées là. Toutes les femmes du monde, ou presque toutes, sont, ou ont été, ou seront vendeuses à leur tour. Et cette obligation qu’on critique parfois, qu’on redoute surtout, est infiniment jolie parce qu’elle place le... snobisme, l’orgueil, le désir de paraître, au service de la charité.     Elle fait servir les défauts humains au bien, elle transforme l’inaction mondaine en activité utile, et elle fait jaillir de la bourse l’or destiné au plaisir, en faveur des déshérités.     Une visite à ce bazar nous remet en mémoire ce qui se passa il y a quinze ans. Beaucoup de nos lectrices doivent se souvenir... C’était le printemps comme aujourd’hui. Paris était en fête sous le clair soleil. Aux Champs-Elysées, une foule heureuse se pressait autour des arbres couverts de jeune verdure.     Quelques pas plus loin, rue Jean-Goujon, une longue file de voilures s’alignent, pas encore d’autos, des chevaux qui dressent leur tête fière sous le harnais frappé de couronne.     Au long des trottoirs des groupes gais passent, élégants, rieurset tous s’engouffrent, par les portes ornées de drapeaux, dans la maison de bois appelée : Bazar de la Charité    Cetle année-là, on avait en l’idée, pour donner plus de relief à la fête, pour amener plus de monde et grossir davantage les recettes, de reconstituer une rue du vieux Paris et de reproduire l’aspect des antiques hostelleries avec leurs pittoresques enseignes : À l’Etoile de mer, au Chat botté, au Pélican blanc, à la Belle Ferronnière, à la Tête noire, à l’Éperon d’or, au Soleil levant, au Cadran bleu, au Grand Cerf, à la Truie qui file.     Derrière chaque comptoir, souriantes, un groupe de femmes et de jeunes filles, des religieuses aussi dont la cornetle blanche éclairait le fond, un peu sombre, des boutiques, L’une d’elles, la sœur Saint-Joseph, a dit en quittant le couvent à la sœur tourière : « Adieu, je crois bien que je ne rentrerai pas. » Mme de Saint-X..., assise dans un fauteuil devant l’entrée, ne peut bouger, on l’a apportée là, et elle est tout heureuse de revoir ses amies, de tendre son aumônière à la pluie d'or.     Un peu de vent vient de la porte ouverte et elle prie qu’on la ferme à clef, afin d’éviter le courant d’air. On obéit en riant, sa nièce lui apporte la clef qu’elle place sur la table. Des jeunes filles avec des roses au corsage passent, l’une d’elles Mlle M.-A. de Chevilly s'amuse, c’est juste le jour de son anniversaire de naissance, elle a dix-neuf ans ! Le soir elle les fêtera dans le ciel !     Mme la duchesse d’Alençon cause avec le Nonce. Elle parle de ses chers noviciats dominicains; Mme Jauffray, sa trésorière, compte gaiement la recette, Mlle Yvonne de Riançay remet de l’ordre dans lo comptoir. Mme la duchesse d’Uzès se demande pourquoi une petite porte de côté est close et veut la rouvrir. Ou l’en empêche, tout à l’heure cependant, elle se sauvera par là malgré la défense de passer.     Il est cinq heures, les comptoirs sont achalandés plus qu’avant, c’est le moment de la foule, au buffet les vendeuses lasses se restaurent, elles ont fait beaucoup « d'affaires », elles sont enchantées.     Soudain un cri : le feu! Et en même temps une guirlande de flammes court le long du toit, crépite dans le goudron, gagne les tentures, les fragiles objets suspendus. On devient fou de peur, l’idée de se sauver détruit toute aménité, on se bouscule, les hommes — pas tous cependant — poussent sans souci des femmes et passent. La pauvre Mme de Saint-X... toujours clouée à son fauteuil hurle et sous l’action de la chaleur, son pauvre corps éclate ! Seule, très calme, l’âme sereine, la duchesse d’Alençon prie : « Faisons ensemble notre prière, » dit-elle, et comme Mlle Y. de Riançay veut l’entraîner, s’accroche à elle : «Venez, Madame,je vous en supplie. —Non, non, laissez passer les autres, que les visiteurs fuient, nous les dernières. »
 
    Et c’était la vaillance à mourir toujours prête, 
    L’héroïsme du chef dans un panique effroi 
    Disant, lorsque chacun vers le salut se jette : 
    « Laissez, laissez passer les autres avant moi. » (2) 

  Le toit s’effondre; du dehors, on voit des bras et des têtes passer au-dessus, puis disparaître. Des maisons voisines des prêtres prononcent les paroles sacramentelles de l’absolution.     Paris est affolé, les pompes arrivent à une allure si folle que l’une verse au coin de la rue, une odeur affreuse s’épand... des cris d’horreur, d’agonie, de désespoir fusent. Des parents, des amis accourent éperdus et le brasier grésille toujours, une fumée épaisse monte dans le ciel radieux !    La soirée est horrible, chacun rentre chez soi tremblant qu’il ne manque un membre de la famille, le télégraphe est envahi. Les parents de province, affreusement inquiets, télégraphient le lendemain toute la journée. Les corps ou plutôt ce qui en reste sont portés au palais de l’Industrie. Là, des scènes déchirantes se succèdent dans l’amas de membres qui forment un tas à côté de cadavres mutilés : comment retrouver les chers restes?...    Qu’importe! on recueille les débris des martyrs, et c’est ensuite une série d’offices religieux, de deuils, tant de familles sont atteintes ! Les blessés nombreux ne peuvent retrouver leur sang-froid, beaucoup en restent déséquilibrés pour toujours.        Et maintenant sur la place rouge l’herbe pousse, une partie du terrain est occupée par la chapelle et le couvent des religieuses Auxiliatrices. Autour du cloître se dressent les quatorze stations du chemin de la Croix sculptées dans le marbre. Au-dessous de la VIIe « Jésus tombe pour la seconde fois », on voit le médaillon sculpté qui représente les traits calmes et doux de la princesse Sophie-Charlotte, duchesse d’Alençon. Tout autour les allégories des autres tombes et au fond, près de l’entrée de la chapelle, deux grandes plaques de marbre noir reproduisant en lettres dorées les noms de toutes les victimes. Sur la coupole une fresque représente l’apothéose de gloire et tous les jours on prie. Semblable malheur n’est plus possible rue Pierre-Charron. Les œuvres y sont à l’abri et l’on peut y aller de tout cœur porter la part des malheureux. René d’Anjou.
(1) René d'Anjou est un pseudonyme d'autrice Marie Renée Gouraud d'Ablancourt(2) Ces vers sont de Ch. de Pomairols dans la préface du livre : Madame la Duchesse d‘Alençon intime.Pour lire tout le poème, cliquez ici. 

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