L’inversion Eve-Adam

Publié le 25 février 2024 par Albrecht

Adam, l’arbre au serpent et Eve : cet ordre qui semble naturel a-t-il à voir avec le statut du couple ? Cet article passe en revue les exceptions, selon les époques, et s’interroge sur leur cause.


Aperçu historique

Aux hautes époques

Les toutes premières représentations de la Chute sont des carreaux de parement en terre cuite.

Fin 6ème siècle, église Saint-Martin de Vertou, musée Dobrée, Nantes 6ème-7ème siècle, Tunisie, collection privée

Si l’exemple français respecte l’ordre « naturel », tous les exemples tunisiens (musées du Bardo ou de Sousse) placent Eve à gauche. En revanche apparaît dès ces autres époques une règle intangible : la tête du serpent pointe côté Eve, puisque c’est elle qu’il a tentée.


A l’époque romane

Beatus de L’Escorial-San Millan, MS II.5-fol 18 Codex Aemilianensis, vers 950, MS d I. I. , fol 17

Dans les Beatus, on trouve encore les deux formules.


San Pedro in Loarre, 1100-30 Cloître de la Cathédrale de Monreale, 1170-1180

Dans la sculpture monumentale, on rencontre de nombreuses manières de représenter le Péché originel. Dans la forme symétrique, de part et d’autre de l’arbre, l’ordre « naturel » devient prédominant mais les exceptions sont nombreuses.

« D’une part, en plaçant Adam et Ève à égale distance de l’arbre, l’iconographie faisait ainsi référence à un certain égalitarisme social et à un certain nivellement moral entre l’homme et la femme, même si le serpent est presque toujours tourné vers la femme. Le côté où chaque personnage était placé variait. On a déjà considéré comme une « tradition iconographique » la position d’Ève à droite de l’arbre, schéma qui aurait à peine trois exceptions, à Saint-Antonin, à Bruniquel et à Lescure. En fait, la femme apparaît à gauche dans plusieurs autres cas, à titre d’exemple sur les sculptures d’Anzy-le-Duc, Airvault, Butrera, Cergy, Cervatos, Covet, Embrun, Gémil, Gérone, Lavaudieu, Lescar, Loarre, Luc-de-Béarn, Mahamud, Manresa, Moirax, Montcaret, Peralada, Saint-Étienne-de-Grès, Saint-Gaudens, Sangüesa, San Juan de la Peña, Toirac, Vérone et Vézelay. De même, sur les fresques d’Aimé, Fossa et San Justo de Ségovie, sur les enluminures de la Bible de Burgos, de l’Exultet 3 de Troia et de l’Hortus Deliciarum, sur un médaillon métallique de Saint-Jean-de-Latran, et sur les mosaïques de Monreale et de Trani. » [1]

Mais plutôt que de multiplier les exemples et les contre-exemples isolés, il est plus fructueux d’étudier les cas où le motif intervient au sein d’un contexte : le choix entre une forme et une autre est-il influencé par les symétries de l’ensemble ?

L’influence du contexte

Adam et Eve, Fresque de Tebtunis, 11ème siècle, Musée copte, Le Caire

Cette fresque de la paroi méridionale de l’église de lit de droite à gauche, en direction du choeur :

  • 1) le cheval est celui de Dieu, dont la silhouette (disparue) se penchait à droite pour extraire Eve du flanc d’Adam [2] ;
  • 2) Eve et Adam avant la Chute mangent les fruits défendus en toute innocence primitive, en l’absence des organes sexuels ;
  • 3) Eve et Adam après la Chute cachent leurs parties honteuses.

Dans ce cas précis, l’inversion entre Adam et Eve est donc liée au sens de lecture des fresques, de droite à gauche : de sorte que l’oeil, dans chaque scène, restaure l’ordre naturel, en rencontrant d’abord Adam , puis Eve.


1139, maître Nicolaus, Portail Ouest, San Zeno, Vérone

Ce portail présente les six scènes obligées de la Génèse :

  • 0) création du Monde (ici les animaux) ;
  • 1) création de l’Homme ;
  • 2) création d’Eve à partir de la côte d’Adam ;
  • 3) Adam et Eve autour de l’Arbre
  • 4) L’expulsion du Paradis
  • 5) Adam et Eve condamnés au travail.

Notons que toutes ces scènes sont inversibles, sauf une : dans la scène 4, l’Ange est toujours à gauche, de manière à ce que le sens de l’Expulsion corresponde avec le sens de la lecture. Et Adam s’interpose toujours entre Eve et l’Ange, afin de la protéger.

Moyennant cette contrainte, on voit que maître Nicolaus a choisi d’organiser ses scènes selon une symétrie d’ensemble rigoureuse :

  • la figure d’autorité, Dieu ou l’Ange (en jaune) est toujours à l’extérieur ;
  • l’ordre masculin-féminin s’inverse de part et d’autre de l’axe vertical.

Psautier de Cantorbery, 1185 -1195, BnF, Mss., Latin 8846

Ici la lecture s’effectue de haut en bas, et une scène supplémentaire a été introduite :

  • 2a) Dieu interdit à toucher à l’arbre.

Dans cette scène comme dans l’Expulsion, c’est toujours le Chef de famille qui s’interpose entre l’Autorité et la Femme.

Ici l’enlumineur a choisi pour cette scène de placer Dieu à gauche, ce qui crée un effet d‘opposition (flèche rouge) entre l’Interdiction et l’Expulsion.

De même, la forme inversée choisie pour la scène de la Chute introduit un parallélisme entre l’Avant (3) et l‘Après (5) (flèche verte), qui fait bien comprendre que la Punition est la conséquence du Péché universel.

Dans cette composition séquentielle (à la manière d’une BD), il est logique que les scènes ne soient pas organisées en fonction d’une symétrie d’ensemble, mais qu’elles se répondent localement.


A l’époque gothique

1200-50, trumeau du portail de la Mère Dieu, Cathédrale d’Amiens

Les scènes de lisent toujours de haut en bas, mais de droite à gauche : c’est la raison pour laquelle, de manière exceptionnelle, la scène de l’Expulsion (4) est ici inversée. La solution retenue a pour but de faire apparaître la même relation  de parallélisme (flèche verte) et d’opposition (flèche rouge)entre les scènes-clés.


1250-1330, attribué à Gaddo Gaddi, baptistère de Florence

Ici a été rajoutée une autre scène

  • 4a) Dieu maudit Adam et Eve

De ce fait, deux scènes consécutives 4a et 4 ont la même composition. L’inversion de la scène 3 rompt l’uniformité, et permet de mettre en valeur le parallélisme habituel entre les scènes 3 et 5.


Lorenzo Maitani, 1310-20, Duomo d’Orvieto

Nouvelle case supplémentaire :

  • 1a) la Création d’Eve : Dieu extrait une côte à Adam.

La scène 3 habituelle s’enrichit, à droite, d’une scène subsidiaire : Adam et Eve se cachant sous un buisson car ils ont honte de leur nudité.

Malgré la complexité de l’ensemble, la composition respecte encore les deux grandes règles que nous avons dégagées : opposition entre 2a et 4, parallélisme entre 3 et 5.

Sur la pose très particulière d’Adam, voir Adam et Eve vus de dos.


A la Renaissance

1425, Jacopo della Quercia, portail majeur de San Petronio, Bologne

La même règle de parallélisme entre 3 et 5 se maintient encore ici, au sein d’une idée très originale : entrecroiser systématiquement les sexes d’une scène à la suivante.

De ces exemples très différents se dégage une conclusion assez simple : l’ordre dans la scène de la Chute n’est pas lié à une tradition locale ou à une mode ; il résulte directement des symétries choisies pour l’ensemble, et de la contrainte liée à la composition intangible de la scène de l‘Expulsion.


Bible d’Utrecht
Vers 1430, La Haye, Meermanno Koninklijke Bibliotheek, 78 D 38 I, fol. 8v

Le geste très particulier d’Adam portant la main à la gorge fait allusion à la légende selon laquelle un morceau de pomme était resté coincé dans son gosier.

L’image est donc à lire comme deux cases consécutives séparées par le tronc de l’arbre : d’abord Eve se laisse tenter, puis Adam en subit les conséquences.

Nous sommes ici devant un nouveau type d’inversion, non pas lié aux images environnantes, mais à l’enrichissement narratif d’une image unique.

fol. 46v fol. 48v

Heures d’Anne de France, Jean Colombe et atelier, vers 1473, Morgan Library MS M.677

Dans ces deux scènes consécutives, avec le même décor, l’inversion dans la première sert à préparer la seconde, où Eve à gauche remplace Dieu , en position de prescription.


Cas particuliers

Le Mariage d’Adam et Eve

1420, Rhin moyen, Spencer 15, fol. 2v
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)

Dans le Speculum Humanae Salvationis, la scène comporte une certaine ambiguïté : elle illustre un texte sur le mariage, et comporte souvent la légende « Accouplement (copulatio) d’Adam et Eve« . Mais souvent, comme ici, la légende fait allusion à l’interdiction par Dieu, sous peine de mort, de manger le fruit de l’arbre du Bien et du Mal : épisode qui manifestement ne correspond pas à l’image, car elle n’est faite qu’à Adam seul (Genèse 2,16).

Ce glissement sémantique est lié à l’image en pendant, qui présente la présente la scène opposée à l’Interdiction   : le Serpent autorisant Eve à manger ce fruit. D’où la logique de la position d’Eve, à droite dans les deux cas.

France vers 1450 BNF Fr 188 fol 6r
Speculum Humanae Salvationis (warburg iconographic database)

Sporadiquement, on trouve quelques cas où Eve est représentée à gauche dans la scène du mariage, que l’on croirait pourtant très codifiée. Le même flottement se rencontre dans toutes les enluminures représentant un mariage : lorsque les mariés s’avancent vers l’autel, l’homme (vu de dos) est à droite, de manière à se présenter au regard de Dieu dans l’ordre héraldique ; mais lorsque les mariés se retournent, c’est à la foule qu’ils se présentent dans l’ordre héraldique (le mari à gauche). Les deux situations sont donc possibles, selon qu’on se situe avant ou après le mariage.

Speculum Humanae Salvationis, édition imprimée, vers 1468

La version imprimée restaure le parallélisme entre les deux scènes, en plaçant Eve à gauche dans les deux cas.

Livre des Propriétés De Choses,
Maître de la Mazarine, vers 1415, Fizwilliam museum, Ms 251 fol 16r Antiquités judaïques
1475-1500, BNF Ms 11 fol 3v

Le Mariage d’Adam et Eve

Dans d’autres livres, le mariage est représenté au sein du Paradis. Le couple humain est toujours dans l’ordre héraldique, tout comme le couple soleil/lune au dessus (sur les inversions des luminaires, voir Les inversions Lune / Soleil) .

Une inversion cosmique (SCOOP !)

Antiquités judaïques
Maître du Hannibal de Harvard, 1420, BNF Ms Fr 247 fol 3r

Fait exception cette image complexe, qui cumule la scène du mariage, en bas, et la Création du Monde, en haut : Dieu est entouré de ses instruments d’architecte (le niveau, le compas et l’équerre) et de ses outils d’artisan (la tarière et le marteau).

Le couple des luminaires est remplacé par un demi zodiaque, sur lequel se répartissent les sept planètes. Le Soleil, au centre, représenté deux fois (dans le zodiaque et en dessous), ce qui l’assimile à Dieu, lui aussi représenté deux fois. Comme le montrent les signes, le Soleil est entre Gémeaux et Scorpion, au Solstice d’Eté.

Il est possible que l’inversion soit motivée par la symbolique des saisons, chaque sexe se plaçant du côté où il culmine : la femme du côté de la Jeunesse (le Printemps) et l’homme du côté de la  Maturité (l’Eté).

Un couple d’amoureux

L’inversion de l’ordre héraldique sous-entend parfois qu’il s’agit d‘amants, et non d’un couple marital voir 1-3a Couples germaniques atypiques).

Les amoureux vénitiens, 1515-30, Brera, Milan Couple d’amoureux, 1555-60, National Gallery, Londres

Pâris Bordone

Bordone est très fidèle à cette convention. Le premier tableau représente soit un accord en vue d’un mariage (un témoin, la future épouse et le prétendant qui lui offre une ceinture nuptiale), soit plus probablement la scène de genre classique du souteneur, de la courtisane vénitienne, et du client qui lui offre en paiement une ceinture de plus [3].

Quarante ans plus tard, les deux amoureux en voie de déshabillage mutuel, couronnés par Cupidon, représentent là encore un couple non marital.


Adam et Eve debout
Pâris Bordone, Louvre

C’est la même idée de libre sensualité qui s’applique ici à Eve et Adam.


Anonyme, 1550-1600, Rijksmuseum

Cette composition établit un parallèle entre le bras du serpent, tâtant la pomme, et celui d’Adam, tâtant le sein. Le couple de lapins et le bouc, dissimulé dans les hachures, assimilent la Chute à la découverte de la sexualité.

L’inversion des rôles

Adam et Eve devant l’Arbre de la connaissance
Gravé par Jan (Pietersz.) Saenredam, dessin Abraham Bloemaert, 1604, NGA

Dans cette série de gravures, une seconde scène figure en miniature, à l’arrière-plan (voir aussi 8 Le nu de dos dans les Pays du Nord). Ici, il s’agit d’Eve, debout à côté d’Adam couché, dans un rayon de lumière divine. Le couple se retrouve au premier plan dans le même ordre, Eve tirant derrière elle un Adam interrogatif.

L’inversion des positions traduit l’inversion des rôles, Eve prenant le dessus sur Adam :

Il avait ordonné que tout bois porte un fruit aux cheveux d’or,

Le créateur des choses, que l’homme vive dans les forêts heureuses,

Qu’il adore et observe la loi du pays, étant donné qu’il pouvait en jouir ;

sa volonté, inclinant aux écarts,  lui a été ravie.

Jusserat auricomo nemus omne gravescere foetu

Rerum opifex, hominem silvas habitare beatas,

Et colere, et legem ruris servare fruendi

Posse datum ; rapta est per devia prona voluntas.


Variations et filiations

L’influence de Dürer

La Chute de l’Homme (Petite Passion)
Dürer, 1509-10

En décalant le tronc à l’extérieur du couple, cette gravure invente une nouvelle symétrie : Eve enlaçant Adam fait pendant au serpent enlaçant l’arbre.

Triptyque Malvagna (fermé)
Gossaert, 1513-15, Palazzo Abatellis, Palerme

C’est cette symétrie qui a intéressé Gossaert pour les deux volets de ce triptyque :

  • derrière le couple fautif se profile déjà la porte de l’Expulsion ;
  • le second volet montre le Paradis après la Chute, purgé de toute présence humaine.


Entre les deux, la couronne de fruits, autour du blason des Lanza, restaure l’opulence de ce Paradis perdu. L’inversion d’Eve et d’Adam résulte mécaniquement de ce parti-pris narratif.

Adam et Eve
Heinrich Aldegrever, 1540

Aldegrever plagie, jusqu’au lion, la gravure de Dürer. La seule différence est le geste d’Adam, qui reçoit sa pomme du serpent, et non plus d’Eve. L’inversion est ici seulement due à la mécanique de la copie.

Les variations de Baldung Grien

Les trois Ages de la femme et la Mort, 1509-10, Kunsthistorisches Museum, Vienne La Chute du genre humain, 1511

Hans Baldung Grien

Baldung Grien a inventé vers 1509 le thème à la fois émoustillant et moral de la jeune fille nue que surprend, par derrière, la Mort ou le Temps (sur ce thème voir 3 Fatalités dans le miroir). Dès 1511, il applique la même composition à Eve, déjà pourvue de sa pomme, et qui attire dans son dos Adam en train de cueillir la sienne.

La jeune Fille et la Mort, 1517 Adam et Eve, 1519

Hans Baldung Grien, Kunstmuseum Basel

Quelques années plus tard, le principe menaçant passe à gauche : Eve se trouve ici comme violée par Adam, qui absorbe toute la négativité du serpent.

La Mort et Eve, 1525, National Gallery of Canada, Ottawa Adam et Eve, 1531, MuséeThyssen-Bornemisza, Madrid

Plus tard encore, le composition s’inverse à nouveau. La Mort, brandissant une pomme et liée par l’anneau du Serpent à l’éternel féminin, s’assimile complètement à Adam (une assimilation facilitée par la langue, puisque Tod est du genre masculin).

Les variations de Lucas de Leyde

Lucas de Leyde a tant de fois représenté le couple originel qu’il était inévitable de voir apparaître des inversions Eve Adam, sans signification particulière. Je les présente pour mémoire, afin de permettre d’apprécier l’évolution du style, entre la jeunesse et la maturité.

vers 1506 vers 1514

Ces deux variantes montrent, dans le sens de la lecture, Eve passant à Adam une seconde pomme.

Adam et Eve, Lucas de Leyde, vers 1530 La Création d’Adam (inversée), Michel-Ange

Dans la variante la plus moderne, Lucas préfère l’esthétisme au réalisme : l’arbre est décentré, Eve tend la pomme de la main gauche, et la pose d’Adam est une citation de la célèbre fresque de Michel-Ange.


De Raphaël à Jordaens

Raphaël, 1509, Salle de la Signature, Vatican Atelier de Raphaël, 1519, Loges du Vatican

Adam et Eve

En 1509, Raphaël inaugure une composition où Adam, assis, se trouve dominé par Eve, debout de l’autre côté de l’arbre. En 1519, il inverse la composition et exagère certains traits (les spires du serpent, la chute en arrière d’Adam, Eve vue de dos), probablement dans une sorte de surenchère par rapport à Michel-Ange (voir Adam et Eve vus de dos)


Titien, 1550, Prado

Titien reprend la première composition de Raphaël. Il édulcore le serpent en une sorte de Cupidon, dont la nature diabolique est trahie par les petites cornes et la queue bifide. Le renard derrière Eve rajoute une notion de ruse. Le geste d’Adam est savamment ambigu, entre tentative de dissuasion et prémisses du désir.

Le jardin d’Eden, Brueghel le Vieux et Rubens, 1616, Mauritshuis, La Haye Adam et Eve, Rubens, 1628-29, Prado

Rubens s’inspire à deux reprises de la composition de Titien. Profitant sans doute d’un voyage en Espagne vers 1628, il la recopie même fidèlement : il supprime seulement le cache-sexe démodé d’Adam et rajoute la tâche rouge du perroquet, symbole polyvalent de la Luxure (du couple) et de l’Eloquence (du serpent)  (voir Le symbolisme du perroquet).

1640, Musée national, Budapest 1642, Toledo Museum of Art

La Chute de l’Homme, Jordaens

Dix ans plus tard, Jordaens se place en concurrence avec Rubens. Le format paysage oblige à asseoir Adam à terre et Eve sur le talus. La chaîne des responsabilités est clairement rétablie : le serpent donne la pomme à Eve, qui va la transmettre à Adam.

La seconde variation reprend fidèlement le bestiaire de Rubens, en coinçant Eve entre les deux mêmes attributs animaux du Serpent, l’Eloquence et la Ruse. L’inversion d’Eve et Adam permet, à peu de frais, de se différencier du modèle.


Un triptyque à transformation (SCOOP !)

Triptyque de Modène
Le Greco (attr) 1568, Galleria Estense, Modène

Ce triptyque portatif, attribué au Greco, propose lorsqu’il est ouvert une iconographie déconcertante :

  • à gauche et à droite, deux scènes de la Vie du Christ, dans l’ordre chronologique : l’Adoration des Bergers et le Baptême ;
  • au centre une allégorie : le chevalier chrétien couronné par le Christ ressuscité, au dessus d’un paysage de Jugement dernier.

Le choix de ces scènes s’explique par les possibilités qu’offre la fermeture partielle du retable (sur un autre triptyque à transformation de Memling, voir 5 Le Polyptyque de Strasbourg).



En fermant le volet droit, l’Annonciation peinte au revers vient précéder l’Adoration des Bergers, dans une lecture de droite à gauche, où la Vierge conclut chaque scène.



En fermant le volet gauche, Dieu réprimandant Eve et Adam après la Faute précède, dans une lecture de gauche à droite, le début de la Rédemption, Jean Baptiste baptisant le Christ.

L’inversion Eve-Adam sert ici à avertir le spectateur qu’il ne s’agit pas d’une représentation classique de l’Interdiction, mais de la conséquence de la Faute, la Réprimande : comme le montre le visage d’Eve, qui se détourne de honte.


Références : [1] Hilário Franco Júnior « Entre la figue et la pomme : l’iconographie romane du fruit défendu » Revue de l’histoire des religions 1 | 2006 https://journals.openedition.org/rhr/4621#illustrations [2] Gilberto Bagnani, Gli scavi di Tebtunis, Bolletino d’Arte, 1933 p 131 fig 18 http://www.bollettinodarte.beniculturali.it/opencms/multimedia/BollettinoArteIt/documents/1437575350852_07_-_Bagnani_119.pdf [3] https://pinacotecabrera.org/en/collezione-online/opere/gli-amanti/