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La petite fille au rouleau de bonbons

Publié le 26 février 2024 par Nicolas Esse @nicolasesse

Dans la banlieue animée de Kahn Yunis, lovée au cœur de Gaza, naquit une petite fille. Elle grandit entourée de l’amour de son père (son baba) des soins de sa mère et de ses frères et sœurs – son univers, résumé à la simplicité de leur modeste logement. Chaque semaine, après la prière du vendredi, ils marchaient en famille vers la mer de Gaza, chaque pas un rituel précieux. Leur foi et leur amour réciproque résonnant à chaque écho de l’appel à la prière.

La jeune fille avait un lien fort et affectueux avec son baba. Par jeu, elle s’amusait souvent à faire semblant de se noyer pour l’attirer dans l’eau et la sauver en faisant appel à son désir instinctif de la protéger. Ensuite ses petites mains serraient bien fort les solides bras de son baba pendant qu’il la soulevait très haut dans le bleu infini du ciel de Gaza. Elle adorait le contact des grains de sable sous ses pieds et le pétillement frais de la mer sur sa peau alors qu’elle dansait et que les ondulations de l’eau reflétaient son bonheur.

Elle ne savait pas du tout que sa bien-aimée Gaza était une prison à ciel ouvert, isolée et confinée depuis plus de dix ans. Au-delà des hauts murs qui marquaient ses frontières existait un monde invisible et inconnu d’elle – un monde interdit qu’elle ne pourrait jamais découvrir.

En semaine, elle portait fièrement son sac d’école rose et marchait avec ses frères et sœurs dans les rues étroites de Khan Yunis. Elle aimait aller à l’école et rêvait de devenir institutrice. Elle restait des heures devant le tableau noir en dessinant de grandes lettres de l’alphabet, des fleurs et des cœurs esquissées avec soin dans ses tons favoris de rose pastel et de bleu.
Sur le chemin du retour, elle s’arrêtait souvent chez son marchand de bonbons préféré. Elle était fascinée par l’étalage de friandises multicolores, mais elle revenait toujours vers les rouleaux de bonbons aux tons pastel. Ils lui rappelaient ses rêves, ses rêves couleurs pastel. Avec la pièce d’un shekel que son papa lui avait donnée ce matin-là, elle voulut acheter deux rouleaux de bonbons, alors qu’elle ne pouvait en acheter qu’un seul.
Tout en admirant ses magnifiques tresses et les barrettes roses et bleues qui ornaient ses boucles, le propriétaire de la boutique lui offrit deux rouleaux de bonbons. Le premier qu’elle pourrait savourer ce jour-là et l’autre, dit-il, elle pourrait le garder pour le jour où elle aurait faim et qu’il n’y aurait plus rien à manger. La petite fille le regarda, surprise, mais trop contente de serrer deux rouleaux de bonbons dans ses petites mains.

Elle rentra bien vite chez elle en dansant de bonheur. Impatiente de montrer le cadeau du magasin de bonbons à son baba. Elle défit lentement l’emballage, savourant chaque bonbon rose vert et bleu, admirant leurs couleurs avant de les goûter. Cette nuit-là elle s’endormit en rêvant d’un magnifique ciel bleu et d’un arc-en-ciel aux couleurs pastel et rempli de papillons. Mais quand vint le matin elle fut réveillée par de lourds bruits de tonnerre qui remplissaient l’air. Elle courut vers son baba pour aller se réconforter dans ses bras. Son père la rassura et lui promit que tout allait bien se passer. 
Le bruit des sons lourds se prolongea pendant des jours et les couleurs vives du monde extérieur furent peu à peu remplacées par une palette de gris. Disparu le ciel bleu de Gaza, remplacé par une atmosphère morne et sombre. Les fenêtres de leur petite maison étaient brisées et elle ne pouvait plus voir les belles couleurs du monde extérieur.

Vendredi à nouveau ; elle pouvait entendre l’appel à la prière de midi. Elle courut vers son baba et le supplia de l’emmener à la mer encore une fois. Sa maman lui avait donné un peu de pain et deux olives mais elle avait encore faim. Son baba lui dit : “Tu te souviens de ton rouleau de bonbons ? Va le chercher. On pourrait peut-être aller à la mer cet après-midi si tous ces gros bruits veulent bien s’arrêter ?” Son baba savait bien que les bruits n’allaient pas s’arrêter. Il savait qu’il ne pourrait plus emmener sa petite fille à la mer de Gaza.
La petite fille revint en courant vers son père, le rouleau de bonbons encore intact dans sa main. Son baba la regarda : “Mange les bonbons maintenant, avant d’aller à la mer ?” Mais la petite fille refusa. Elle voulait ouvrir l’emballage quand ils seraient arrivés à la mer de Gaza. Son père acquiesça et promit de l’emmener bientôt. Ainsi, elle serra bien fort le rouleau de bonbons et se blottit dans les bras de son père. Pendant un court instant, tout devint calme.

Elle finit par s’endormir, serrant toujours dans sa main le rouleau de bonbons et rêvant du jour où ils retourneraient à la mer.

En mémoire de la fille palestinienne morte avec un rouleau de bonbons dans sa main, tuée par un raid israélien, le 20 décembre 2023 à Khan Younis.
Traduit de l’article
https://certioraris.com/2023/12/23/in-memory-of-the-girl-with-the-candy-roll-in-her-hand/

https://certioraris.com/


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