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Paul et vanessa. Chapitre 4. La fuite .

Publié le 07 avril 2024 par Guy Marion

 Nina ne s'est jamais remise de l'humour du prof de physique.

Elle s'était pourtant totalement confiée, confessée à lui . Elle attendait de lui qu'il la prenne dans ses bras, qu'il la comprenne, qu'il l'absolve. La déception fut totale. Une profonde tristesse l'envahit, la chute, la déchéance, furent sévères. Elle arpenta la salle des profs avec une tête de pédophile repentie jusqu'à la fin de l'année scolaire. Et quand elle croisait Paul, elle détournait le regard. Non seulement elle ne se parfumait plus mais elle ne se maquillait plus, pire elle ne se lavait plus.

Pour les « grandes vacances », qui approchaient, Paul qui se sentait un peu coupable de la descente aux enfers de Nina, avait décidé de faire un gros effort pour faire oublier ses traits d’humour inappropriés et pathétiques. Il lui proposa de lui offrir une semaine à l’île de La Digue, aux Seychelles ; plages entourées de rochers granitiques, collines recouvertes de cocotiers, de lataniers et de takamakas, petites routes fréquentées par les vélos ou les chars à bœufs, Nina adorerait, Paul en était convaincu.

« Polo, tu connais l’emblème des Seychelles ? Tu crois vraiment que c’est aux Seychelles et son odieux symbole que j’oublierai mes crimes ?

Paul, qui ignorait tout du cocofesse, comprit qu’il avait encore gaffé, il crut se racheter en proposant cette fois un mois complet en Autriche.

« Mon pauvre Polo, sais-tu quel animal représente l’Autriche ?

Un aigle noir avec une langue rouge, Polo, un aigle noir, Polo !

L’aigle noir, métaphore d’un inceste, tu n’as pas autre chose dans tes cartons ?

Paul, un peu découragé, fit une ultime tentative en proposant à Nina un séjour dans les Vosges de son enfance. La réponse fut immédiate et assez déconcertante:

« Polo, je n’ai pas envie de sentir le sapin. »

Cette fois, Paul a enfin compris que Nina le rejette.

Pour éviter de paraître accuser le coup, il répliqua avec un trait d’humour encore plus percutant que le précédent :

« Je comprends Nina, mais je n’avais pas l’intention non plus de te faire sombrer dans la dendrophilie  » …

Ce deuxième essai d’humour spécial de Paul, Nina ne l’accepta pas. Cette fois, elle n’éclata pas en sanglots mais se mit à hurler et à insulter Paul avec une rare violence.

Paul prit la porte immédiatement et rentra chez lui sans répliquer .

Et après une nuit de sommeil plus ou moins réparateur, il reprit la lecture des ouvrages qu’il avait classés au premier rang de sa bibliothèque

Et d’abord « Éloge de la fuite » du médecin Henri Laborit .

Et cette fois, il surligne et mémorise ce cours extrait:

 "Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté… Il ne reste plus que la fuite."

Ce qui est vrai dans un groupe l’est probablement aussi dans une relation de couple, se dit Paul.

Je vais fuir, définitivement fuir.

Les vacances se passeront donc en solo dans les sentiers de randonnées des Vosges.

Paul choisit des sentiers peu fréquentés :

 « Le saut de la Bourrique » d’abord.

La légende liée au nom de cette cascade viendrait d’une bourrique qui appartenait à un seigneur. Rentrant de croisades, celui-ci se fit attaquer par des bandits; pour le protéger, l’animal se jeta sur eux au pied de la cascade où il périt avec les mécréants. Cette histoire de bourrique qui se sacrifie pour son maître avait plu à Paul.

 « Hélas, hélas, malgré son choix de sentiers, Paul ne marche pas seul.

Il eût fallu pour cela partir en plein hiver .

Paul se résout donc à faire des rencontres.

Fatalitas ! Une jeune randonneuse qui s'attache obstinément à ses pas depuis plusieurs heures, lui apprend qu'elle est professeur !

"Enfer et damnation, serais-je condamné à vivre dans un cercle fermé ?"

Certes Jocelyne était moins sexy que Nina mais elle avait un avantage énorme, elle n'était pas prof de lettres. 

Paul n'avait connu que des profs de langues ou de lettres .

Jocelyne - oui le prénom n'est pas très séduisant non plus, est professeur de sciences naturelles.

Les scientifiques mentent moins que les littéraires et en outre, ils reconnaissent beaucoup plus facilement leurs erreurs, Paul se laissa donc faire une fois de plus et la randonnée se termina au "Ptit Hôtel du Lac" à Gérardmer.

Le lendemain de cette nuit d'amour, Paul osa une question farfelue :

" Jocelyne, quand je te pénètre, est-ce magique ?"

"Pas du tout, c'est biologique ! " répondit-elle.

Paul fut pleinement satisfait et même rassuré par l'honnêteté de la réponse.

Après " Le saut de la Bourrique " où il avait involontairement séduit Jocelyne et "La cascade de la pissoire", balade au col du Donon. Avec Jocelyne, Paul pouvait exploiter ses connaissances et impressionner sa compagne.

En raison de l'élévation du Donon, les géomètres l'ont toujours utilisé comme point de triangulation, pour la mesure « de la perpendiculaire à la méridienne de l'observatoire de Paris », explique Paul. Jocelyne acquiesce en faisant semblant de s'intéresser aux mathématiques et à la physique, Paul sait bien que les profs de biologie ne comprennent rien aux mathématiques et il en abuse. Lors des conversations littéraires qu'il eût avec Nina, il était toujours mal à l'aise et parfois même humilié, cette fois, c'est lui qui domine.

Bref, cette semaine de randonnées pédestres, une balade et un coït biologique par jour avec sa nouvelle compagne conquise et dominée physiquement mais aussi intellectuellement, fut non seulement un régal mais une régénération, une renaissance .

Paul passe toutes ses vacances en compagnie de Jocelyne. Avec elle, il respire enfin, il peut se libérer, parler franc, ouvertement, sans filtre, laisser libre cours à son humour de prof de physique mal dégrossi, Jocelyne accepte tout.

Il récite les quelques extraits qu’il avait retenus de ses lectures sans même citer les auteurs, comme s’ils étaient de lui:

« Je veux tracer ma route, pour la détruire, ainsi, sans repos. je veux rompre ce que j’ai créé, pour créer d’autres choses, pour les rompre encore. C’est ce mouvement qui est le vrai mouvement de ma vie. »

La prof de sciences naturelles est admirative, mais Paul n’abuse pas de sa soumission, son joug est doux.

Paul est heureux.

Retour à Curepipe pour une nouvelle année scolaire.

Paul pense déjà aux prochaines vacances. Les sapins des Vosges ont des vertus médicinales et d'autres bienfaits indiscutables tout comme, par exemple, les professeurs de sciences naturelles rencontrés dans les sentiers, mais Paul n’est pas malade physiquement .

En revanche, pour assumer l’impuissance qu’il ne peut que ressentir face à sa médiocre vie de professeur de physique, Paul a besoin de mythe.

C’est décidé, ce sera la Corse et son fabuleux GR 20.

Seul bien sûr, Paul n’a besoin de personne.

La rentrée a lieu en août au lycée La Bourdonnais. En plein hiver austral, il fait presque froid ; certes ce n’est pas le climat des Vosges mais l’altitude à Curepipe est de 560 mètres tout de même.

Ce climat lui convient, Paul est prêt pour faire la connaissance de nouveaux élèves et pour affronter son ancienne collègue au prénom de chienne.

Et il est bien décidé à l’ignorer royalement, si par malheur, il était amené à la côtoyer en salle des professeurs ; les violentes insultes qu’elle a proférées à son égard avant les vacances ont laissé des traces indélébiles.

Cela ne se produisit pas. Nina avait à nouveau déserté la salle des professeurs .Paul retrouve donc sa sérénité en ce début d'année scolaire.

Il se hasarde même à dialoguer régulièrement avec la surveillante générale devenue de plus en plus sociable et aimable pour des raisons qui échappent à la logique du professeur de sciences physiques, lui qui, il y a à peine plus d'un an, la considérait comme une personne acariâtre et retors et qui l'avait affublée d'un horrible pseudonyme.

Elle lui faisait maintenant des confidences et Paul l'appelait par son prénom, Sandra. Ainsi, lors de leurs conversations, Sandra apprit incidemment à Paul que Nina n'était pas du tout agrégée comme elle le prétendait, mais une simple  contractuelle, une maîtresse auxiliaire, qui avait été recrutée à la faveur de l'intervention de son époux Jean-Jacques, très influent à l'île Maurice.

Nina était donc aussi une fieffée menteuse, une affabulatrice !

Sandra était une mine de renseignements, Paul la choya, la bichonna comme un enfant dans le seul but d'obtenir d'elle de plus en plus de confidences.

Elle lui confia que Jean-Jacques était très proche d'un ministre important du gouvernement mauricien- un de ses anciens étudiants, au point d'être dispensé des formalités de douane lorsqu'il arrivait à l'aéroport .

" Et qu'est-il devenu, le savez-vous ? " osa Paul.

-Oui, il a pris un congé de longue durée de l'Université de Maurice, à  mon avis, il ne reviendra pas et s'installera en Corse.

-Et sa dulcinée ? 

-Pff... Il s'en soucie comme de sa première chemise.

-Elle ne fait plus aucune apparition en salle des profs, je ne l'ai pas aperçu une seule fois depuis la rentrée, elle n'est pas malade, j'espère ?" 

Paul essaie de faire parler Sandra de Nina et il n'a pas besoin d'insister beaucoup.

-Comment, vous n'êtes pas au courant ? Elle a créé un club de théâtre qu'elle anime avec beaucoup d'énergie et en y consacrant tout son temps libre depuis la rentrée. Et ce club semble avoir beaucoup de succès, particulièrement chez les garçons du lycée.

-Ah bon, et pourquoi chez les garçons et pas chez les filles ?

-Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, je suis en train d'enquêter sur ce sujet  qui est un peu délicat.

Paul regrette maintenant d'avoir incité  Sandra à  parler de Nina. Cette histoire de club de théâtre le tracasse.

 "Mais pourquoi ne parviens-je pas à me débarrasser des souvenirs de cette aventure débile ? "Poussin bleu ! ", je ne pourrai donc jamais oublier cette appellation idiote ?

 "C'est magique, c'est magique! " quand vais-je chasser de ma mémoire ces mots absurdes prononcés  systématiquement lors de la pénétration ? 

 Et Paul récite encore une fois cet extrait de l'ouvrage " Le Livre des fuites " dont il a oublié le nom de l'auteur "Je veux tracer ma route, pour la détruire, ainsi, sans repos. je veux rompre ce que j'ai créé, pour créer d'autres choses, pour les rompre encore..."

 "Rompre, fuir, définitivement fuir. Il me faudra combien de temps encore ?"

Pendant quelques semaines, Paul évite tout contact avec ses collègues du lycée, Sandra ne comprend pas mais elle en prend son parti, elle sait que les professeurs ont parfois des périodes difficiles.

Paul se consacre entièrement à ses élèves, il n'a jamais eu aucun problème d'autorité  avec ses classes, c'est un professeur très respecté. 

Il est vrai qu'il n'oublie pas, à chaque nouvelle année scolaire, de bien définir le contrat. 

"Je suis le professeur, vous êtes les élèves, nous ne sommes pas du tout égaux,  je pose les questions, vous essayez d'y apporter des réponses" , etc.

Les élèves aiment que les règles soient claires.

Aucun élève ne lui a jamais manqué de respect .

Mais il sait bien que cet isolement de ses collègues n'est pas tenable à long terme. Sandra a été très correcte envers moi, je ne peux pas me comporter ainsi, pas avec elle, se dit-il.


# abcmaths @ 18:46

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