Magazine

ALTHUSSER, Louis & SEVE, Lucien, Correspondance. 1949 1987, Paris, Editions Sociales, 2018. Compte-rendu.

Publié le 18 avril 2024 par Antropologia

ALTHUSSER, Louis SEVE, Lucien, Correspondance. 1949 1987, Paris, Editions Sociales, 2018. Compte-rendu. Même si je ne l’ai découvert que depuis peu, ce livre de 2018 réclame un compte-rendu en raison des questions de tout ordre qu’il pose et des innovations qu’il propose. Il publie les lettres envoyées ou pas, entre deux figures du communisme français du milieu du siècle précédent, un philosophe à succès, Louis Althusser, et Lucien Sève, professeur de Lycée (il a enseigné à Talence) devenu permanent et dirigeant national du Parti, tous deux étant normaliens. L’ouvrage est passionnant pour deux séries de raisons complètement différentes. Les premières nous montre le point de vue d’en bas, celui des acteurs des débats fussent-ils silencieux. Déjà, s’opposaient les « preuves historiques » – texte et contexte – aux « preuves narratives » – les concepts – qui s’articulent en une théorie, un système. A l’époque, le structuralisme autorisait une interdisciplinarité sauvage qui faisait passer sans peine les façons de faire de l’une à l’autre. Si nos deux larrons, ne sont pas d’accord entre eux, ils ont en commun, outre leur fidélité au Parti Communiste, deux « têtes de Turc », Godelier et surtout Garaudy. Mais derrière ces accords et les proclamations d’amitié, ces lettres révèlent de fortes oppositions, marques de la solidité de leurs convictions. Ensuite, cette correspondance montre le dessous des débats dont seule l’écume nous parvenait à l’époque. Nous en voyons ainsi les multiples enjeux, politiques, idéologiques, institutionnels, personnels… à condition de négliger les non-dits. Ainsi, alors que leurs relations personnelles, politiques et institutionnelles autorisaient des échanges sereins, ils dissimulent ou se taisent au lieu de jouer cartes sur table. Il est vrai que la maladie (mentale) d’Althusser nécessairement effacée par les deux protagonistes n’arrange pas les choses.

Mais la présentation des lettres envoyées ou pas, conservées ou pas, ajoute une dimension nouvelle au livre. A la correspondance sont joints les commentaires de Sève qui après coup et le décès de son correspondant, donne des informations supplémentaires mais aussi présente ses sentiments du moment même, écrits des décennies plus tard. L’autre face du miroir nous est ainsi proposé qui n’exclut ni critiques, ni rancœur. Aux interactions et aux conventions que réclament les échanges épistolaires s’oppose le témoignage à la fois ex-post et post-mortem qui se heurte à d’autres impératifs très différents. Voici une ligne de lecture nouvelle, les cadres imposés par le mode de communication utilisé. Apparaissent ainsi des non-dits, des silences, des aveuglements laissant de larges plages indécises. Naît ainsi un espace dans lequel le lecteur a la tâche d’imaginer les multiples chemins de la genèse de ces singuliers écrits.

Ce livre présente un palimpseste des années 60 sur le marxisme, la psychanalyse, les sciences sociales, la philosophie, l’épistémologie, la politique… entre lesquels peuvent se faufiler sans peine les réflexions du lecteur, ce qui lui permet d’édifier son propre traitement des informations proposées. Dès lors, le livre ne lui fournit plus que des matériaux hétéroclites. Il présente ainsi une poétique supplémentaire pour présenter nos enquêtes.

Bernard Traimond

17 avril 2024


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Antropologia 111 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte