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Pakistan : Renaissance du régime taliban au Waziristan

Publié le 24 août 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Des extrémistes pakistanais, s’inspirant des talibans afghans, font régner la terreur depuis plusieurs mois dans les zones tribales du nord-ouest du pays. Et cela en toute impunité.

C’est un spectacle sorti tout droit de l’enfer. Une rangée de corps, criblés de balles, attachés à des poteaux électriques. Une tête coupée roulant par terre, des billets de banque fourrés dans la bouche. Un cadavre de chien jeté sur des carcasses mutilées entassées dans un bazar. “Voilà ce qui arrive aux criminels et à ceux qui désobéissent à Dieu”, tonne un mollah à longue barbe en frappant l’un des cadavres avec la crosse de son fusil.

Ces scènes horribles figurent sur une cassette vidéo qui montre les exécutions publiques effectuées au début de cette année à Miranshah, ville principale du Waziristan-Nord [dans la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest], par des talibans pakistanais. Ces fanatiques ont tué une vingtaine de prétendus criminels et laissé leurs corps pendant plusieurs jours dans le centre de la ville avant de les attacher à des voitures et de les traîner dans les rues, spectacle d’une barbarie moyenâgeuse. Ceux que l’on appelle des “militants” ont filmé d’autres exactions pour faire connaître leur “cause”, et la vidéo circule désormais dans le cadre de leur campagne de propagande.

Miranshah est virtuellement sous le contrôle de talibans qui ont imposé un système judiciaire sévère, fondé sur leur interprétation de la charia. Mené par deux religieux, Abdul Khaliq et le volcanique Saliq Noor, ce mouvement comprend en majorité des étudiants de la madrasa locale et s’inspire de l’ancien régime islamiste de l’Afghanistan. Aujourd’hui, les zones tribales pakistanaises ressemblent au sud de ce pays voisin dans les années 1996-2001. Mais, bien que le Waziristan-Nord soit depuis longtemps un bastion d’extrémistes religieux et la base principale des militants soutenus par Al-Qaida, ce n’est qu’en décembre dernier que l’on a vu apparaître les premiers signes d’un régime proche du modèle taliban.

Les autorités ont détourné le regard

Les fanatiques se sont rendus populaires en affirmant vouloir combattre la criminalité. Ils ont exécuté de prétendus “bandits” et laissé leurs corps à la vue de tous, semant ainsi la peur dans toute la région. “La terreur régnait partout”, raconte Rahim Gul, qui, à l’instar d’un grand nombre d’habitants de Miranshah, a trouvé refuge à Bannu, à 45 km de là. “Personne n’ose s’opposer à eux”, ajoute-t-il. Les autorités militaires et civiles ont fermé les yeux et n’ont rien fait. “Ils étaient soutenus par la population”, explique Syed Zaheer-ul-Islam, administrateur de l’Etat dans la région, lorsqu’on lui demande pourquoi le gouvernement a fait l’autruche devant leurs exactions. Les pouvoirs publics ont en fait reçu l’ordre explicite [d’Islamabad] de ne pas entraver l’action des talibans locaux. Cette politique d’apaisement à court terme les a encouragés à étendre leur influence sur une grande partie de la zone tribale.

Après avoir ignoré ces agissements pendant des mois, les troupes pakistanaises ont finalement réagi quand, dans la première semaine du mois de mars, les fondamentalistes ont lancé une offensive à Miranshah. Armés de mitrailleuses et de lance-roquettes, ces derniers se sont emparés de bâtiments administratifs importants, comme le central téléphonique, ont attaqué les postes paramilitaires et tué plusieurs soldats. L’incident a déclenché le plus violent des affrontements qui aient opposé jusqu’alors les talibans et l’armée. Ces opérations militaires n’ont cependant pas affaibli l’influence des fanatiques, qui ont effectué un repli tactique. Et, pour la population, le pire reste à venir, car les deux chefs du mouvement courent toujours.

Les zones tribales du Pakistan, qui bordent la frontière afghane, ont tout au long de l’Histoire joui d’une certaine autonomie. Cet état de fait a pris fin en 2003, quand le Pakistan y a envoyé des milliers d’hommes afin d’en chasser Al-Qaida et ses partisans. Mais les lois du pays n’étant pas applicables dans cette région sous administration spéciale, ce sont les militants islamistes bien organisés, qui ont comblé le vide. Non seulement les trois années d’opérations militaires n’ont pas réussi à éliminer les terroristes étrangers, mais elles n’ont fait que renforcer les talibans locaux. Les forces pakistanaises doivent donc maintenant faire face à la fois aux combattants étrangers et aux fondamentalistes locaux. Le lieu stratégique que constituent les zones tribales est ainsi devenu un foyer de terrorisme. Les autorités pakistanaises, qui faisaient jadis une distinction entre militants islamistes locaux et étrangers, admettent désormais qu’il existe un lien étroit entre les deux.

La contagion à d’autres régions est possible

A Wana, principale ville du Waziristan-Sud, les talibans ont construit des bureaux où ils font du recrutement et rendent la justice. Ils diffusent leurs ordres dans les haut-parleurs des mosquées, et toute contestation est interdite. Ils ont fermé de force magasins de vidéo et de disques et cybercafés, au motif qu’ils étaient anti-islamiques. Le 26 mars dernier, ils ont exécuté Hayat Gul. Cet homme de 25 ans, qui aurait été impliqué dans plusieurs crimes, a été jugé coupable du meurtre d’un chauffeur de taxi par une cour islamique. La famille du défunt a refusé de lui pardonner et il a été fusillé. A présent, l’inquiétude monte, car l’influence de ces fondamentalistes s’étend aux autres parties du pays. L’extrémisme islamique sera donc de plus en plus difficile à contenir si l’on ne freine pas la montée des talibans dans les zones tribales et dans la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest. Les affrontements en Afghanistan n’arrangent rien. Et, si les zones tribales passent sous le contrôle des talibans, cela aura des conséquences directes de part et d’autre de la frontière.

Zahid Hussein


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