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Les compagnons du Tour de France

Publié le 24 août 2008 par Anonymeses
Des hommes de Devoir. Les compagnons du Tour de France (XVIIIe-XXe siècle). Un ouvrage de Nicolas Adell-Gombert (Editions de la Maison des sciences de l’homme, coll. "Ethnologie de la France", n° 30, 2008, 19€)
A paraître sur Liens Socio
 Les compagnons…l’expression imprécise dissimule une réalité mal connue, plurielle, elle laisse apparaître une histoire traditionnelle, des savoirs ancestraux. Etre compagnon aujourd’hui, ce n’est pas choisir une formation professionnelle comme un autre, c’est choisir l’union de savoirs traditionnels et de techniques modernes, l’engagement au sein d’une compagnie, le choix d’un enseignement pratique et philosophique. Le regard porté dans l’ouvrage de Nicolas Adell-Gombert sur le compagnonnage pose la question suivante : qu’est-ce qu’être compagnon ? Cela implique de se demander comment on le devient et comment on le reste. La question de l’identité de ce groupe se pose avec d’autant plus d’acuité, que les compagnons forment ce que Bourdieu appelait en 1979 dans La Distinction des « groupes frontières » . C’est pour apprendre un métier que l’on entre chez les compagnons aujourd’hui. La politique de recrutement mise en place à l’heure actuelle en témoigne. Une véritable campagne d’information est organisée, on peut à ce propos consulter par exemple le site Les Compagnons du tour de France http://www.compagnons.org/. L’appartenance à un métier spécifique se double pour les compagnons d’une identité comme compagnon, dimension qui modèle la relation de l’homme à son métier. Il s’agit alors de saisir en quoi la dimension compagnonnique intervient sur la définition du métier, sur la façon dont il est enseigné et incorporé.
Tout au long de l’ouvrage le regard de l’auteur est très attentif à la pluralité de son objet. Presque chaque corporation se particularise par une forme compagnonnique différente. Pour rendre compte des Compagnons, l’auteur a su mêler une vision globale permettant de saisir l’essence du compagnonnage, l’identité propre au groupe, mais il a su également proposer aux lecteurs des clés de lecture permettant de saisir les nuances majeures des différents groupes. Des hommes de Devoir est un ouvrage issu d’un mémoire de thèse effectué par Nicolas Adell-Gombret sous la direction d’Agnès Fine. C’est en ethnologue et historien que l’auteur observe ces façons anciennes de faire. Il a mené entre 2000 et 2005 des enquêtes auprès des compagnons. Le milieu spécifique de cette observation n’a pas permis une immersion totale dans le milieu, cette prise de vue interdite par l’objet même, n’empêche pas ici Nicolas Adell-Gombret de fournir de riches matériaux d’enquête. Pénétrer dans une communauté de compagnons pour permettre la production d’un savoir ethnologique pose des difficultés dans un groupe, dont la cohésion repose en grande partie sur sa fermeture. L’analyse a porté plus précisément sur les charpentiers de la Fédération de Toulouse. Plus d’une trentaine de compagnons, près de quarante apprentis et aspirants et des personnels d’encadrement ont été interrogés. L’auteur a participé à l’apprentissage du métier des personnes interrogées et a pu prendre part aux réjouissances de la vie compagnonnique. Nicolas Adell-Gombret ajoute à ce riche matériau ethnographique une documentation historique. Nicolas Adell-Gombret s’interroge sur ce qui dans le quotidien de la formation fait la spécificité des Compagnons. La première réponse tient en deux mots énigmatiques : le Trait et l’Orient. Formalisations particulières de savoirs techniques, on touche ici grâce à l’auteur à la part difficilement saisissable de ce qui fait l’essence identitaire du groupe.
Ce que nous apprend l’ouvrage de Nicolas Adell-Gombret, c’est que devenir compagnon, c’est s’initier non pas seulement à un métier mais apprendre aussi le respect des rituels, il faut savoir se laisser pénétrer d’un sens profond. Le Trait, science graphique particulière, et l’Orient fondent une identité. A l’évocation du mot « compagnonnage », l’imaginaire commun associe rapidement le Tour de France. C’est cette pratique qui confère à l’institution compagnonnique le plus gros de sa notoriété. Le Tour de France fait l’objet d’une identification forte de la part des compagnons, le Tour de France n’est pas seulement un voyage, c’est une institution sociale. La mobilité qu’il implique insère le compagnon dans un complexe de sociétés compagnonniques d’étendue nationale. Le Tour s’est affirmé comme une instance de formation, un passage obligé vers l’âge d’homme et de compagnon. Si le compagnonnage est une pratique éminemment masculine, virile par essence, la question de sa féminisation se pose. Des femmes pénètrent progressivement ce monde masculin et bousculent les ressorts traditionnels de l’institution. L’auteur n’omet pas de questionner la présence de la figure féminine dans le monde des compagnons, il s’interroge sur la présence traditionnelle des femmes autour du compagnonnage : la Mère est l’objet d’une attention et d’un respect profond de la part des compagnons, ce que l’auteur prend en compte de façon parfaite. Au total, Nicolas Adell-Gombret offre au lecteur profane une représentation très enrichissante des compagnons. On mesure grâce à l’ouvrage l’étendue d’une institution et la force de représentation qu’elle conserve à travers les âges. Ce qui apparaît de façon particulièrement nette, c’est le « mode de production » ancestral et rituel du compagnon. Cependant, l’ouvrage fait peut-être une trop grande place aux aspects symboliques de l’institution, à ses éléments les plus cachés, ce qui lui confère une tonalité bien particulière, moins sociologique qu’anthropologique.

par Frédérique

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