Paris! La ville où tout le monde te dit bonjour. La ville réputée sale où les gens sont désagréables. Qui dit cela? Le provincial de passage qui ne rencontre que son semblable aussi perdu que lui et partageant les mêmes à priori dans le métro ou une gare! Celui qui pense que chaque passant est un employé de l’office du tourisme dédié à son service. Le touriste avec une vision idéalisée vendue par un voyagiste ou aperçu dans un film d’un Paris sans poubelles où le héros trouve un taxi dés qu’il lève le bras. « Le monde qui te dit bonjour » c’est plutôt celui qui a décidé de s’asseoir un jour par terre com’ ça. Il a le bonjour rhétorique qui précède la requête : une pièce pour manger s’ivouplé
J’avais pris langue après quelques oboles avec un locavore du trottoir sur un carton dans une vieille couverture. Probablement un bac L nantis d’un ex voto laconique « Gè fain » rue des Saint Pères. On s’est raconté nos vies — enfin surtout moi — Il a assez vite réglé son compte au récit de mes amours:
— Le hasard? Mouais juste pour ne pas crever, pas pour être heureux. T’es juste un paumé qui mythonne une love affair après un « pourquoi pas! ». Aimer c’est faire exister un être qui n’existe pas.
Avec lui je partais de loin. Notre premier échange fut rugueux: à mon sandwich offert il avait rétorqué « Va te faire EnQlé! » Traduction: « Je vous remercie chaleureusement, cher monsieur, mais je me vois obligé décliner » Sujet, verbe, complément, c’est concis: il préfère le cash. J’étais novice en charité. Après tout, cette aumône alimentaire avait quelques chose de supérieur. Elle suggérait que je le jugeais incapable de trader sur le Forex. Dispendieux au point de ne pas placer 1 € sur un PEL. Que je le suspectais de boire mon liquide. Je me suis assis par terre com’ça moi qui venais de brûler mes vaisseaux. En terme de revers de fortune nous n’étions pas très loin de l’ex hôtel particulier de feu Bernard Tapie. Malgré son écriteau autour du cou et les fautes d’orthographe j’étais tombé sur un Archimède le clochard dialogué par Audiard. Un SDF de l’époque anar. Un ancien libraire de la rue de l’Odéon tendance Diogène qui refusait le système. Un aristocrate de la cloche. Il m’avoua qu’il jouait les illettrés sous la pression de la concurrence d’Europe de l’Est.
— Tiens prends ce bouquin!
Il me tendis un Philip Roth, « La bête qui meurt »
J’ai lâché un billet sans demander un ticket de caisse, ni mon reste, terrorisé par cet incipit:
« Celui qui s’attache est perdu. Te voir là avec cette mine, c’est ridicule. Tu y as goûté, ça te suffit pas ? On ne fait jamais autre chose que goûter. C’est tout ce qui nous est donné dans la vie. Une bouchée, sans plus. »

