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Comment perdre vos clients grâce à un nouveau design : la parabole de la ligne 13

Publié le 25 août 2008 par Daxlebo

Permettez-moi une embardée dans la vraie vie pour étudier un cas d'école qui pourrait aussi bien s'appliquer à un site Web : la remise à neuf des rames de métro de la ligne 13 à Paris. Un exemple typique de downgrade du produit. Je voudrais juste comprendre comment on en arrive là. Pourquoi avoir dégradé ce qui fonctionnait ? Pourquoi pourrir la vie des usagers ?

Permettez-moi une petite embardée dans la vraie vie pour étudier un cas d'école qui pourrait aussi bien s'appliquer à un site Web : la remise à neuf des rames de métro de la ligne 13 à Paris. Tout usager de cette ligne saturée aura accueilli avec excitation l'idée d'une évolution quelle qu'elle soit, tant elle cumule les désagréments : retards, surpopulation, mauvaises odeurs, etc.

Aussi lorsque la nouvelle rame entre en gare, on apprécie son nouveau design élégant, les stations qui clignotent sur l'afficheur. Il y a la voix de femme pré-enregistrée qui coupe la moitié des mots, c'est rigolo (elle dit "Elisez Clémenceau"). La grosse nouveauté : la triple barre centrale en alu brossé qui a un toucher moins "motte de beurre fondue" à la fin de la journée. On sent que l'ergonomie a fait l'objet de recherches. Mais après l'engouement initial, c'est la catastrophe.

  • La lumière est insuffisante : difficile de lire sans s'user les yeux. Merci pour les mal-voyants...
  • Les poignées de porte ont disparu : enfin, pas complètement. Il reste un moignon de poignée (un poignon ?) qu'aucune forme de main humaine ou animale ne peut saisir pour se retenir en cas de brusque freinage. Question, ça sert à quoi ?
  • C'est quoi ces sièges ???? Déjà, y'en a 25% en moins. C'est censé laisser de la place debout, mais ces fauteuils ont été élargis à un point excessif et du coup on ne gagne quasiment rien. En plus, l'assise élargie n'est pas plus confortable, parce que la mousse bleue mollassonne a cédé sa place à un petite moquette bien fine. Résultat, on a mal au postérieur en un rien de temps.
  • Vilains strapontins : dans les métros de jadis, on pouvait s'adosser contre le strapontin redressé et ainsi 1/ occuper le moins d'espace possible 2/ être bien calé pour recevoir les autres passagers en cas de freinage brutal évoqué plus haut. Oui mais là non. Les strapontins de l'an 2008 vous cassent en deux au niveau de la taille. Impossible de s'y coller, et impossible de se caler le dos.
  • L'affichage extérieur de la destination a disparu : comme l'affichage sur le quai est assez peu fiable, surtout en cas de grève, il faut maintenant rentrer dans la rame pour savoir s'il faut la prendre (ou ressortir en bravant le flot des passagers énervés). Du coup les gens se plantent de rame et arrivent en retard au boulot (ou alors c'est une fausse excuse de mon collègue).

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquooooooiiiii ?

Je ne suis pas énervé ou rancunier. Je voudrais juste comprendre comment on en arrive là. Pourquoi avoir dégradé ce qui fonctionnait ? Pourquoi pourrir la vie des usagers ? Peut-être qu'il s'agit d'une expérience de "deceptive marketing", que seule une société en situation de monopole peut se permettre. Et je ne crois pas à un complot de Decaux pour nous faire préférer le Vélib', donc il y a des raisons qui ont conduit à ce désastre d'usabilité. J'imagine qu'elles sont de deux natures : les raisons externes, pas forcément évitables... et les autres :

Raisons pas complètement dépendantes de leur volonté

  • Les normes : les sièges ultra-larges, c'est peut-être une obligation pour s'adapter au grossissement de la population (oui mais pour prendre la ligne 13 aux heures de pointe mieux vaut ne pas dépasser 30 cm de profondeur). L'absence de poignée, je sais pas, pour éviter que les enfants se coincent le nez dedans ? Il y a des gens à Bruxelles qui légifèrent sur la taille des trous dans le gruyère, alors pourquoi pas ? Moralité : respectez les lois. Mais pour les autres "standards", ne les appliquez pas bêtement quand ils nuisent au confort de 80% des clients (tout lien avec le design Web serait purement fortuit).
  • Des économies de bouts de chandelle (ou pas) : pour l'éclairage, on voit au premier coup d'oeil que la priorité a porté sur la diminution des coûts en énergie. Le confort est passé au second rang. C'est compréhensible, mais c'est dommage. On se rassurera en pensant à l'impact environnemental réduit, mais on donne déjà pas mal de sa personne en laissant la voiture au garage pour s'entasser dans un wagon à bestiaux, non ? Moralité : designers, c'est à vous de défendre les usagers face aux restrictions budgétaires. Faites comprendre au PDG que les clients méritent un peu mieux !

Problèmes de conception

  • Aucun contact avec le terrain : les usages réels d'une technologie ne sont pas toujours prévisibles dans les bureaux d'études. Il faut observer les utilisateurs s'approprier l'outil, éventuellement leur demander leur avis, et surtout faire tester le projet en conditions réelles par de vrais utilisateurs avant de le mettre en service. Lorsque vous avez le monopole du transport, c'est pas grave, mais en situation de concurrence, les clients sanctionnent ce genre de comportement en allant chez le commerçant d'en face. Moralité : observez, écoutez, modifiez, corrigez.
  • En améliorant, on a oublié la fonction de base : quand on élargit un strapontin, on veut le rapprocher d'un siège ordinaire. C'est louable, mais ce faisant, on oublie l'essence même du strapontin, qui est un siège de secours. L'usager est prêt à admettre qu'un strapontin soit moins confortable qu'un siège, puisque la plupart du temps il est relevé, mais à condition que ce strapontin se rabatte correctement lorsqu'on ne l'utilise pas. Moralité : le mieux est l'ennemi du bien. Tout ne doit pas toujours être plus confortable, plus gros, plus puissant : il suffit à un design de bien faire ce qu'il est censé faire.
  • La concurrence des fonctionnalités : dans tout projet d'ampleur, limité en temps et en budget, les fonctionnalités sont en lutte pour la survie. Si on a explosé le budget ou les délais pour la voix de la dame et l'assise prodigieuse des strapontins, il ne reste plus rien pour les petits détails. Mais l'ergonomie, comme le diable, est dans les détails. Moralité : il ne suffit pas de se tenir au cahier des charges minimal pour satisfaire les clients.

D'autres exemples ?

Je ne sais pas si les ingénieurs d'Alsthom liront ce billet, mais j'espère que quelque chose sera fait pour améliorer cette version bêta du nouveau métro. Ce sera sans doute moins facile que s'il s'était agi d'un site Web... Raison de plus pour faire des efforts dans notre métier : pour nous, c'est facile.

Et vous, avez-vous assisté à d'autres régressions similaires, sur le Web ou dans la vraie vie ? A la disparition de fonctionnalités utiles sous couvert d'améliorations ? Dites-nous tout.


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