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La loose 5 - Les Stravisky

Publié le 15 juin 2008 par Castor
Ci-joint quelques lignes pour la suite de La Loose:
Episodes précédents:
La lettre
La grange
Vacances de Pâques 1987
Should I stay or should I go?
Jean.jpg
Donna, la femelle labrador que chacun avait connu est enterrée au fond du jardin depuis plus de quinze ans. Pourtant, les tissus du salon sont encore empreints de son odeur. Pascal est troublé par ce décor familier dont les principaux acteurs, à l‘exception de Jean, ont disparu . La grandeur passée des Stravisky s’y exposait sous la forme de bibelots de valeur. Sous un cadre, une photo les représente. Ils observent l‘objectif. Tous les deux se tiennent bien droits, la tête haute. Sans doute étaient-il les derniers héritiers de la longue lignée des notables de la famille : l’arrière grand-père haut-fonctionnaire dans l’URSS communiste, le grand-père, chercheur à l’université d’Edinburgh, son père directeur de l’hôpital de Saint-Malo.
Malgré sa profession d’artiste que l’on associait souvent à une vie de bohème un peu patachon, Jean avait conservé une autorité naturelle envers ses semblables. Pascal avait toujours était impressionné par son père, M. Stravisky. Il n’avait jamais connu son prénom. Il l’appelait ainsi, Monsieur Stravisky et lorsqu’il parlait de lui, Jean disait « mon père ». A chaque week-end passé ici, l’accueil constituait un rite protocolaire immuable. On venait saluer les parents de notre hôte en leur montrant toute la déférence qu’exigeait leur ego. Ces convenances strictes contrastaient avec le véritable objet de ces rencontres : jouer du rock et bousculer l’ordre établi en clamant des paroles subversives. Avec le temps, ce respect était devenu naturel et le cérémonial vécu comme quelque chose allant de soi. Ce n’était plus une comédie mais le témoignage de tout le respect que l’on pouvait avoir pour ce couple atypique.
Les parents de Jean avait connu Pascal dès la maternelle. Il était d’abord venu ici pour fêter des anniversaires un peu solennels. Les enfants étaient habillés comme des petits princes, les cheveux bien peignés, les mocassins brillants. Puis, il avait partagé certains dimanches après-midi, l’intimité familiale dans leur propriété de Dinard. Lorsqu’il faisait beau, Mme Stravisky sortait la nappe pour déjeuner dans le jardin. Puis, on disputait une partie de croquet à l’ombre du grand pin, sur la pelouse tondue de frais par un jardinier consciencieux. Plus tard dans la saison, on les croisait lorsqu’ils allaient prendre leur bain. Ils foulaient le sable avec leurs chaussures de ville, slalomant entre les corps dénudés étendus sur la plage. Ils se changeaient discrètement dans une petite cabine de plage pliante puis ils rentraient dans l’eau froide avec la détermination de généraux fendant les troupes de territoires ennemis. Sans prendre le temps de s’acclimater à la fraîcheur de l’eau, ils s’éloignaient de la masse bruyante des estivants qui stagnaient près du bord, l’eau à mi-cuisse. Il longeaient l’anse d’un bord à l’autre d’une brasse appliquée. La tête sèche et le maillot mouillé, ils reprenaient le chemin de leur cabine pliante, d’un pas toujours aussi décidé. Il ne me semblent pas les avoir vu batifoler un seul instant, discuter avec des amis ou voisins. Il fallait bien les connaître pour deviner que cette austérité de façade cachait une plus grande originalité de mœurs.

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