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Quelle stratégie en Afghanistan ?

Publié le 26 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Mardi, 26 Août 2008 21:52

La paix à Kaboul passe par Islamabad

Par William PETITJEAN
Bernard Kouchner et Hervé Morin se sont expliqués aujourd'hui devant les commissions de la défense et des affaires étrangères de l'Assemblée nationale sur les circonstances de l'embuscade qui a coûté la vie à dix soldats français le 18 août en Afghanistan. C'est la moindre des choses. Un débat parlementaire se déroulera le 22 septembre et se terminera par un vote. Tant mieux. C'est l'un des rares « bénéfices » que procure la dernière réforme constitutionnelle. Espérons que d'ici là, de vraies réflexions seront menées sur le maintien ou non de la participation française à la coalition de 39 pays et, surtout, sur l'adoption d'une nouvelle stratégie, d'une nouvelle tactique, se nouvelles méthodes. Cela s'impose.Quelle stratégie en Afghanistan ?Tombes de civils tués par des  bombardements en Afghanistan...

Décidée au lendemain du 11 septembre 2001 par Jacques Chirac et Lionel Jospin, l'intervention avait été à l'époque bien acceptée par les Français. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Selon un sondage du CSA réalisé pour Le Parisien au lendemain de l'embuscade, 55 % des Français seraient favorables à un retrait des troupes d'Afghanistan et contestent la légitimité de la participation française aux opérations internationales dans ce pays. Influences des émotions ? Peut-être. Découverte surtout d'un: fait  :contrairement à ce que disait récemment Fillon, nous ne sommes pas dans une mission de maintien de la paix, mais nous sommes engagés dans une guerre. Une vraie.
Le chef de l'État a exclu de retirer les troupes d'un pays où la France «défend la liberté du monde». Il a raison. Ce n'est pas le moment. Et ce serait servir les objectifs des talibans et autres « terroristes » (ou « combattants », selon l'angle de vue) Mais à trop suivre les consignes de l'armée américaine (quoi qu'en disent nos officiels), nous nous plantons. Et c'est grave. Oui, il faut revoir en priorité nos « renseignements ». Morin l'admet. Il aurait du s'en rendre compte plutôt. Oui il faut certainement faire appel à des « forces spéciales »
Le général Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées, vient de le dire sur Europe I. Nos forces devraient être spécialement entraînées depuis longtemps. L'Afghanistan n'est ni une terre parmi d'autres, ni une guerre comme les autres, ni une guérilla (même) comme il en existe d'autres. Le pays des « Cavaliers » et de la « Kyber Pass », entouré de terres qui sont autant de « réservoirs » d'hommes en armes, mérite sa réputation de pays-forteresse depuis Alexandre le Grand. Cela n'a rien de mythique... Là-bas plus que partout ailleurs il n'y a pas de « gestion mathématique de la guerre » et les technologies les plus sophistiquées n'y empêcheront jamais les embuscades, cette « hantise du soldat », les attentats, les « tireurs invisibles »...Les surprises tragiques.
Mais cette révision des méthodes (et de quelques objectifs, aussi, peut-être) ne concerne pas que les troupes françaises...C'est la stratégie et les tactiques américaines qu'il faut revoir. A commencer par le concept de Bush de « guerre globale » qui met en difficultés les meilleurs des soldats de 39 pays, américains compris
Non seulement, les soldats de la coalition se font tuer, mais ils sont contestés par le gouvernement qu'ils soutiennent dans cet Afghanistan où ils sont de plus en plus détestés par une population lasse de tant d'années de guerres. Telle est, en effet, la situation des troupes de l'Otan sensés « combattre le terrorisme » et « défendre la liberté et les droits de l'Homme » contre « la barbarie » dans cette terre d'Asie où se joue (c'est vrai) une partie de la sécurité du monde. Mais une sécurité que l'on assure visiblement mal sur le terrain, là-bas, à 6000 kilomètres de l'Elysée .Quelle stratégie en Afghanistan ?..
Cette fois c'est le président afghan qui veut renégocier les termes de la présence des forces internationales en Afghanistan, après une série de frappes aériennes meurtrières de la coalition sous commandement américain. Il sait ce qu'il veut, cet ancien étudiant en journalisme de Lille : « Renégocier les termes de la présence de la communauté internationale en Afghanistan, sur la base d'un accord mutuel, établir les limites et les responsabilités des forces internationales, et mettre un terme aux frappes aériennes visant des cibles civiles, aux perquisitions et aux détentions illégales de citoyens afghans ».
Mais il ne sait pas comment il peut obtenir ses trois exigences de ses « protecteurs ». Ce « caméléon afghan » tient sa légitimité  (ou sa légalité) des urnes (il est candidat à sa propre succession lors des élections de l'an prochain) mais aussi du soutien de Washington...qui lui fait confiance, en dépit de sa façon de gouverner le pays, avec des méthodes clientèlistes qui ne favorisent pas la lutte contre les corruptions
Ce n'est pas la première fois que Hamid Karzaï élève le ton :«On ne peut justifier aucune victime civile (...) Les Afghans ont fait d'énormes sacrifices dans la guerre contre le terrorisme. Sept ans après, ils meurent encore dans leurs villages», expliquait Karzaï dans une interview au magazine américain Time, mardi dernier en précisant que ce sont en fait les officiers occidentaux reconnus coupables de «bavures» qu'il aimerait voir comparaître devant la justice afghane.
Or nouvelle « bavure », il y a eu, semble-t-il. Et lourde. Même si les responsables américains s'en défendent...jusqu'à ce que l'enquête par eux menée aboutisse. Même si les militaires ont des excuses : Comment distingue-t-on un taliban d'un paysan, depuis un avion? C'est impossible (ou aléatoire) en situation de guérilla. Comment attaquer des « terroristes » qui utilisent souvent des « civils » comme bouclier humain ? Mais toutes ces tragédies renforcent l'insurrection. Pour un civil tué, ce sont trois ou quatre combattants qui se lèvent...
Cette « bavure » de vendredi (ou cette « frappe légitime », comme l'a réaffirmé le Pentagone hier soir), aurait un bilan plus lourd que ce qui a été annoncé dans un premier temps : « 30 talibans tues », avaient dit les Américains ? « 70 à 76 civils tués », avaient déploré le gouvernement afghan : « Quatre-vingt-quinze civils, dont une cinquantaine d'enfants et une vingtaine de femmes, ont été tués lors d'un bombardement américain près du village d'Azizabad, dans la province d'Hérat, à l'ouest de l'Afghanistan » précise, après enquête sur place, le gouvernement de Kaboul.
« Trop, c'est trop »...se dit aussi en pashtou et en dari (farsi)... « Inadmissible », lance le président afghan. « Un acte cruel et barbare...criminel et honteux », scandent des députés. «Ils n'ont vraiment rien compris, ils ont tué des ennemis des talibans.», s'écrie un autre devant des journalistes occidentaux.
La colère est d'autant plus grande que cette « bavure » s'ajoute à d'autres. Le mois dernier, les forces internationales avaient tué 64 personnes lors de deux incidents séparés. Sur les quelque 700 civils afghans qui ont trouvé la mort au cours des six derniers mois dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler les «dommages collatéraux», 255 auraient été tués par l'armée afghane et les troupes de la coalition.
D'après la Commission afghane indépendante des droits de l'homme, plus de neuf cents civils ont été tués depuis le début de l'année dans des violences, du fait des insurgés ou des forces de sécurité afghanes et internationales.Quelle stratégie en Afghanistan ?
Au-delà des controverses sur les circonstances et les bilans effectifs de ces « bavures », il est certain que l'armée américaine joue trop sur les frappes aériennes qui font des « dégâts collatéraux » qui choquent même nombre de leurs frères d'armes de la coalition.
C'est d'ailleurs aussi le cas en Irak, où (coïncidence?) l'annonce par Bagdad d'un accord sur le retrait des troupes pour 2011 (avec comparution des auteurs d'éventuelles bavures devant la justice irakienne dès 2009) a été démenti par Washington.

La « bavure » américaine de vendredi dernier survenant après l'embuscade meurtrière qui a coûté la vie à dix soldats français complique encore les choix politiques qui de plus en plus complexes qui s'imposent aux Européens, aux Américains et à tous les gouvernements engagés depuis 2001 dans cette guerre que les meilleurs experts qualifient « ingagnable militairement »
Tous ceux qui connaissent un peu le pays (que nous avions personnellement découvert au moment de l'invasion soviétique) ont été dès le lancement de cette intervention, sous le coup de l'émotion du 11 septembre, très sceptiques sur les chances d'atteindre les buts fixés : attaquer Al Qaïda dans son QG (présupposé) , éliminer les « fous de Dieu » qui veulent s'emparer du pays et imposer leur loi, établir la sécurité, installer la démocratie et sortir le pays de sa pauvreté qui reste chronique
Les sept ans de guerre n'ont rien de « globalement positif », en effet. Pas même au niveau de cette « démocratie » que l'on met en avant...comme si des élections étaient un critère suffisant pour définir une démocratie. Comme si ce « pire des régimes à l'exception de tous les autres » n'était qu'un moyen de désigner des « élites » dirigeantes. Corruption, clanisme, autoritarisme, économie souterraine et criminelle, trafics en tous genre, approvisionnement de la planète en drogues... Respectons les mots, au moins ceux pour lesquels on peut mourir, non en se donnant en sacrifice mais en s'exposant en résistant, en combattant de la liberté. « Démocratie » n'est pas encore le mot qui convient en Afghanistan !
En termes de rapport de force, les constats de sept années d'engagements « au nom de la lutte anti-terroriste » sont encore plus affligeants. Non seulement Al Qaïda est toujours là, mais ses réseaux se renforcent, s'étendent et se marient à d'autres. Des « fous de dieu » de ce pays où les paysages, comme au Proche-Orient, comme au Caucase, inspirent les mysticismes les plus profonds. D'anciens alliés des Américains du temps de la « résistance » contre l'Armé Rouge. Des déçus du régime. Des écoeurés des « forces de paix » qui n'épargnent guère les populations. Et, de plus en plus, d'ailleurs. Du Pakistan, d'Iran, du Turkestan.
Claude Guéant, sur ce point, n'a pas tort :La «majorité des assaillants» qui ont mené l'embuscade contre les troupes françaises en Afghanistan, «n'étaient pas afghans», dit dans un entretien dans le Journal du Dimanche, le secrétaire général de l'Elysée. «Il y a une sorte d'Internationale du terrorisme islamiste. Ses combattants se déplacent d'un pays à l'autre et, maintenant que la situation change en Irak, ils repartent sur un front nouveau qui est celui de l'Afghanistan».
Ahmed Rashid, expert, auteur de livres traduits dans plusieurs langues (L'Ombre des talibans Autrement, 2001 et Descent into Chaos ,Viking, 2008), confirme : « Des centaines de combattants sont en train d'arriver d'Irak, des Arabes. Arrivent aussi beaucoup de Pakistanais, et d'islamistes du Cachemire et d'Asie centrale. Tous ces gens sont bien entraînés et mieux armés qu'auparavant. »
« Prétendre que la guerre afghane peut être contenue à l'intérieur des frontières de l'Afghanistan a toujours été une erreur majeure. Cette guerre concerne aussi le Pakistan, l'Asie centrale, l'Iran.(...) Il va y avoir de plus en plus de combats jusqu'à l'entrée en fonctions du nouveau président américain. Puis, un jour, Washington et l'OTAN seront forcés de négocier avec les talibans. », déclare  Eric Margolis, chroniqueur du Toronto Sun, l'un des meilleurs connaisseurs de l'Afghanistan (entre autres) Et le sort de Kaboul et du pays se joue en grande partie à Islamabad où la démission du Président Pervez Musharraf ne règle rien et se traduit dans l'immédiat par une recrudescence du terrorisme et un imbroglio politique qui n'inspire aucun optimisme.
Les combattants sont surtout recrutés de l'autre côté de la frontière, au Pakistan, en effet : il y a autant de pachtounes pakistanais qu'afghans. Les talibans n'ont pas de problème pour trouver des combattants. D'où, sans doute, une aggravation des pertes de l'OTAN et la multiplication des provinces qui tombent entre les mains des « terroristes » ou des « combattants » (tout dépend quel langage on utilise...) : plus de 800 soldats de la coalition tués dont 187 depuis le début de cette année.
Eric Margolis est formel : les pays occidentaux et leurs 68 ou 70 000 hommes ne pourront pas davantage que les Soviétiques (et leurs 170 000 hommes) gagner la guerre actuelle. « Il ne peut y avoir de solution militaire La poursuite de cette guerre est une terrible erreur. La clef est en Europe, et plus précisément en France, la mieux placée pour engager le processus diplomatique » dit-il à l'afp. Gérard Chaliand disait cela dès 2001...
C'est dix fois plus d'hommes qu'il faudrait sur le terrain et encore...Ne rêvons pas. Et voyons comment on peut à la fois sauver ce qui peut l'être sur le terrain tout en tentant de nouer ce dialogue que les Anglais commencent à souhaiter ouvertement. Ce dialogue avec les talibans aurait été plus facile voilà trois ans encore quand ces guerriers étaient encore en lutte contre Al Qaïda...alors qu'ils ont lié alliance aujourd'hui. Vains regrets.La ministre suisse des affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, va jusqu'à prôner l' ouverture d'un dialogue avec Ben Laden...Je termine cette réflexion avec pour détendre un peu l'atmosphère. C'est beau la neutralité poussée à ce point. Encore faut-il trouver la boite postale de Ben Laden. La poste suisse serait-elle mieux renseignée que la CIA ? Il est vrai que la même Micheline Calmy-Rey avait déjà brillé lors d'un voyage officiel en Iran. La Tribune de Genève rappelle que « non contente de superviser la signature d'un gros contrat entre deux sociétés gazières suisse et iranienne, la ministre, la tête voilée, a été photographiée, souriante, aux côtés du président Mahmoud Ahmadinejad, sous un portrait monumental de l'ayatollah Khomeiny ».
Alors ? « Ne nous laissons pas duper : le dialogue ne conduit pas inexorablement à accepter l'inacceptable ; comprendre ne veut pas dire excuser et ne signifie pas complicité" », a-t-elle précisé dans son discours aux ambassadeurs helvètes. Cela ne nous permet en rien de sortir du guêpier afghan...
William PETITJEAN

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