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"Une guerre entre la Russie et l'Ukraine est impossible"

Publié le 27 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Mercredi, 27 Août 2008 10:23
(Sélection Relatio-Europe sur Courrier International)
A Kiev, la guerre en Géorgie a ravivé les peurs vis à vis de la Russie et profondément divisé la classe politique. Anatoly Gritsenko, président de la Commission sur la sécurité nationale et la Défense du Parlement, livre son analyse de la crise et des dangers qu'elle représente pour l'Ukraine.
Pendant des jours, nous avons assisté avec horreur aux événements en Géorgie. L'Occident a timidement déclaré que la Russie avait dépassé les limites d'une mission de maintien de la paix, et la Russie a accusé la Géorgie d'agression contre l'Ossétie du Sud et de nettoyage ethnique. Qu'en pensez-vous ?  

Nous devons analyser ce qui s'est passé afin que le conflit reste localisé. Il est essentiel de s'abstenir de tout jugement tranché, car la situation est extrêmement complexe et les termes d'agression et de victimes ne s'appliquent pas. Il était clair qu'avec le précédent du Kosovo, les conflits gelés en Ossétie du Sud et en Abkhazie allaient tôt ou tard exploser. Nous devons reconnaître qu'en Ossétie du Sud, le conflit est entré en "phase chaude" quand le président Saakachvili a eu recours à la force. Selon moi, il a commis une erreur fatale. Je tiens à exprimer ma solidarité avec le peuple géorgien, qui fait l'objet d'une agression militaire, mais je désapprouve la décision du président géorgien. Quant aux conséquences du conflit militaire, le recours à la force a eu un résultat totalement différent de ce qu'escomptait Saakachvili. Je pense qu'aujourd'hui, en dépit de tous les efforts entrepris pour garantir son intégrité territoriale, la Géorgie a de facto perdu ses deux républiques, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.

Par ailleurs, je condamne l'utilisation de lance-roquettes multiples Grad par l'armée géorgienne. Ils ont tiré sur leur propre territoire, leurs propres citoyens. Le lance-roquettes multiples Grad n'est pas l'arme qu'il faut pour combattre les terroristes et la guérilla. Au lieu de cela, ils auraient dû déployer des unités mobiles, procéder à des frappes aériennes de précision. Les tirs de roquettes détruisent tout et ne laissent pas de survivants dans la zone visée. Une telle façon de restaurer l'ordre constitutionnel est inacceptable. C'est pourquoi je considère que les responsables qui ont ordonné ces tirs de roquettes doivent être poursuivis.

Et les responsabilités russes ?

Les autorités russes devraient être les dernières à parler de moralité et à se lamenter sur des victimes civiles, le génocide et le nettoyage ethnique. Nous n'avons pas oublié comment elles ont tiré sur leur propre Parlement, comment elles ont pour ainsi dire rasé la capitale tchétchène, Grozny... Là aussi la réaction russe a été totalement inadéquate. On ne peut pas parler de maintien de la paix. C'est une guerre. Des combats ont eu lieu partout, sur terre, sur mer, dans les airs. Il y a eu des tirs d'artillerie et des frappes aériennes sur l'ensemble du territoire géorgien, et un blocus naval russe, sans parler de guerre de l'information et de cyberguerre. Mais la Russie aurait-elle pu agir autrement ? Aurait-elle pu l'emporter tactiquement en consolidant ses positions dans le Caucase sans perdre stratégiquement en compromettant son image ? Je dois admettre que les troupes russes ont agi, elles, avec un grand professionnalisme. Elles s'en sont pris au deuxième échelon, les communications, la logistique, les infrastructures, pour neutraliser les frappes géorgiennes. Toutefois, si l'on fait abstraction de la logique militaire, il y a des règles, en termes de droit international. Des frappes sur les installations civiles d'un Etat souverain sont inadmissibles quoi qu'il advienne. C'est là que la Russie a dépassé les bornes, et toute nouvelle action de sa part est une agression, un recours disproportionné à la force.

La Russie est-elle donc dorénavant libre de faire comme bon lui semble ?

Absolument pas. L'ordre mondial est imparfait et injuste, et les Etats puissants peuvent s'offrir le luxe de se montrer agressifs. Les plus forts ont toujours dominé, mais même eux peuvent subir des revers si leurs agressions vont trop loin. Les nations sont aujourd'hui plus interdépendantes que jamais. Même les Etats les plus puissants ne peuvent plus vivre seuls, sans échanges économiques actifs. Par exemple, dans ce cas précis, la Russie aurait pu s'emparer de Tbilissi et renverser Saakachvili du jour au lendemain, et personne n'aurait pu l'arrêter. [Si elle ne l'a pas fait, c'est qu'il y a une bonne raison].

Plusieurs journalistes et analystes occidentaux sont persuadés que la Russie, en menant une guerre contre la Géorgie, pensait à l'Ukraine...

Manifestement, un conflit entre la Russie et l'Ukraine, les deux plus grands pays d'Europe, serait une catastrophe pour l'ensemble du continent, dans tous les domaines : politique, économique, écologique et énergétique. Nous devons partir de ce principe essentiel : un conflit entre l'Ukraine et la Russie est impossible. Nous devrions poursuivre le dialogue avec la Russie de manière calme, professionnelle et responsable.

A la lueur des événements en Géorgie, l'Ukraine devrait-elle accélérer le processus pour entrer dans l'OTAN ?

Peu importe que l'on nous accorde ou non officiellement un statut de partenaire de l'Alliance en décembre. De toute façon, il nous faut une armée puissante aujourd'hui. Par ailleurs, je pense qu'il faut se concentrer sur le développement d'un système efficace de gouvernement afin de parvenir à des résultats concrets. Nous ne devrions pas nous défausser de nos problèmes sur l'Europe. Il y a des Etats européens qui ne sont pas membres de l'OTAN, ni même partenaires. Mais, compte tenu de leur politique efficace, tant sur le plan national qu'international, ils pourraient être acceptés dans l'Alliance dès qu'ils en feraient la demande. Si nous voulons être un Etat souverain, nous devons être plus forts. Alors, un partenariat avec l'OTAN ne nous paraîtra plus si important.
Propos recueillis par Tatiana Silina


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