Magazine Europe

La nostalgie de Prague

Publié le 27 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Mercredi, 27 Août 2008 13:20 La nostalgie de PraguePar Jacques PILET

Quiconque a humé l'air de Prague ce printemps-là en garde une nostalgie.

Certes, aujourd'hui la République tchèque comme la Slovaquie sont des démocraties. Mais le deuil commencé le 21 août 1968 avec l'arrivée des tanks soviétiques, suivie d'une sinistre répression, n'est pas dépassé. Car à peu près toutes les valeurs qui avaient émergé dans la lutte de ce pays pour une autre vie sont maintenant oubliées.

Le bouillonnement avait commencé dès le début des années soixante. Dans un mouvement de toute la société qui ne se reconnaissait plus dans le discours d'un Etat, accaparé par des bureaucrates devenus insupportables.

Ce fut soudain l'éveil à un esprit critique nouveau.

Grâce au cinéma et à la littérature. Kundera enseignait à l'école du film. Forman racontait "Les Amours d'une blonde" ou le destin de "L'As de pique", Vera Chitilova faisait rire -jaune - avec ses "Petites marguerites". Jiri Menzel troublait le public avec ses "Trains étroitement surveillés". Bohumil Hrabal et d'autres publiaient des livres qui balayaient la littérature officielle. Une floraison de revues littéraires secouait les idées reçues. A partir du congrès des écrivains de 1967 les apparatchiks comprirent que l'élan vers la liberté ne s'arrêterait pas. Et les plus lucides d'entre eux se mirent à parler d'un "socialisme à visage humain".

Ce sont bien les intellectuels et les artistes qui ont mis l'histoire en marche. Avec l'adhésion de toute la société, y compris de ces "travailleurs" trompés par leurs prétendus défenseurs.

J'eus la chance de me trouver place Venceslas ce jour de juin où parut le manifeste des "Deux mille mots", rédigé par le romancier Ludvik Vaculik, signé par des centaines de personnalités. Le journal s'arrachait. Tous lisaient, debout dans la rue, le visage grave.

Ce texte parlait peu d'économie, sinon pour appeler à une libéralisation, mais on y appelait à combattre le mensonge du pouvoir, la déformation de l'histoire, la déperdition de la langue castrée par la propagande. Ces rebelles n'importaient pas des catéchismes comme le font aujourd'hui les Géorgiens et les Ukrainiens formatés aux Etats-Unis. Ils réfléchissaient au sens de la liberté sans penser un instant qu'il suffirait pour la gagner de passer du communisme au capitalisme. Les Tchèques cherchaient dans cette lutte à se retrouver eux-mêmes. Comme l'écrit l'historien français Bernard Michel (1), "rares sont les moments de l'histoire tchèque et slovaque où régna à ce degré un sentiment de consensus national, de solidarité entre les groupes sociaux et les courants spirituels".

Tout se brisa avec l'intervention soviétique. Les porte-parole du mouvement furent peu à peu chassés du pays, emprisonnés ou isolés dans des emplois solitaires. Plusieurs devinrent chauffagistes. Renvoyés dans les sous-sols. Beaucoup tentèrent de résister moralement. Mais les opportunistes triomphèrent. Le mensonge communiste revenait au pouvoir.

Lorsque tomba le mur de Berlin, lorsque Tchèques et Slovaques retrouvèrent la démocratie, commença alors la construction d'un pays normalisé cette fois dans le cadre de l'Europe occidentale. Dans un processus admirable.

Mais dans quel état se trouvent-ils aujourd'hui ? Au plan matériel, cent fois mieux qu'hier. La vie intellectuelle et artistique en revanche est moins brillante. Plus personne ne s'enflamme pour les mots et les images. La production mondialisée envahit les écrans. Les films tchèques sont le plus souvent médiocres. Le tirage des livres s'est effondré. Le débat sur l'histoire, sur l'identité nationale et l'Europe n'intéresse plus grand monde. Prague est devenu une vitrine pour touristes.

Quant aux hommes politiques, ils offrent un spectacle pitoyable. Tout à leurs intrigues, tout à leurs alliances bizarres, comme celle du président de droite Vaclav Klaus avec un parti de communistes peu repentis.

Mais dans l'ombre, toujours plus de jeunes gens refusent la banalisation, se mobilisent contre l'implantation de radars américains, se réclament à nouveau de la meilleure tradition tchèque. On les entendra un jour. Et leurs voix nous feront du bien. Comme en 1968.

Jacques PILET

(1) "La mémoire de Prague", Ed. Perrin, 1986, 220 pages

RELIRE SUR RELATIO-EUROP: DES CHARS CONTRE L'ESPRIT D'EUROPE


Commentaires (0)
Add Comment

Retour à La Une de Logo Paperblog