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Amnésie antérograde.

Publié le 29 août 2008 par Doma

̶ ̶ ̶  Maintenant, dit-elle, il faut en finir.

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̶̶  Les couvertures m’étranglaient, je pouvais à peine la fixer, tant son visage s’en allait, se perdait. Elle donna un brusque coup de pied contre le lit.

̶  ̶  Est-ce que vous m’entendez? Est-ce que je parle à une pierre? Peut-être allez-vous me duper jusqu’à la fin?

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   Je me mis à trembler, je ne pouvais bouger, tout bougeait. Elle se rapprocha beaucoup et dit d’une voix basse et rapide:

   ̶̶  Mais je vous vois. Vous n’êtes pas seulement quelque chose qu’on rêve, je vous ai reconnu.

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A présent je puis dire: il est venu, il a existé devant moi, il est là, c’est de la folie, il est là. Elle regarda le paquet. Je suis obligée de la faire, dit-elle doucement. Je ne puis vous garder vivant.

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   Je me sentais trembler au point de perdre le souffle, quelque chose d’insensé me traversait le corps. Il faut que je parle, pensai-je.

    ̶̶  Vivant, vous n’avez été vivant pour personne que pour moi: personne au monde, personne, personne. N’est-ce pas à en mourir?

   Je me préparai à parler, il me fallait maîtriser mon tremblement, mais le tremblement m’avait pris tout entier, et si j’ouvrais la bouche, un terrible hoquet en sortait.

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   ̶̶̶  Maintenant, voici l’heure. Vous n’avez eu d’existence que pour moi, c’est donc moi qui doit vous la prendre.

   Je sentais ce hoquet venir des profondeurs, il me secouait, me soulevait, m’étouffait.

    ̶̶  Personne ne sait qui vous êtes, mais moi qui le sait, je vais vous perdre.

   Je poussai un cri, mais ce n’était pas un mot comme je l’avais espéré: seulement un grondement rauque, grave, qui la fit tressaillir et l’immobilisa, à travers lequel,  cependant,elle sembla à la longue apercevoir quelque chose, car ses yeux parurent m’interroger, attendre, hésiter, attendre encore, mais je tremblais toujours davantage et quand elle ne parlait pas, je ne pouvais plus espérer lui parler.

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Alors elle s’agenouilla et tira le revolver. Je fixai la rainure sur laquelle glissait le jour. Elle aussi regardait l’arme, et je savais que tant que je ne lèverais pas les yeux, j’aurais encore un peu de temps. Je cessai de respirer.

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Je tenais les yeux baissés, je n’entendais rien. Lentement, l’arme se redressa. Elle me regarda et sourit. « Eh bien, dit-elle, adieu. » J’essayais de sourire, moi aussi. Mais brusquement son visage se figea, et son bras se détendit avec une telle violence que je sautai contre la cloison en criant:

   ̶̶  Maintenant, c’est maintenant que je parle.

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Extrait: Maurice Blanchot, Le Très-Haut, Gallimard, 1948.

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