Silence, hôpital !
L'hôpital est-il malade ou sont-ce les règles qu'on lui impose qui sont un non sens ?
On assiste actuellement à un échange de points de vue dans les colonnes du on ne peut plus sérieux journal Le Figaro sur le thème de la réforme hospitalière annoncée pour cet automne. D'un côté, on trouve Frédéric Bizard, maître de conférences à Sciences Politiques, président fondateur de Kiria, et le Pr. Émile Papiernik[1], professeur émérite de l'université Paris V René Descartes, ancien chef de service de gynécologie obstétrique à l'hôpital Cochin Port-Royal, AP-HP, auteurs d'une tribune sans équivoque dans son titre « Loi Bachelot : le risque d'achever l'hôpital public ». De l'autre, Guy Vallancien, médecin, professeur à l'université Paris Descartes, l'ancien chargé de mission au ministère de la Santé, pour le plan Hôpital 2007, auteur notamment du rapport portant sur le devenir des services de chirurgie, lequel répond à ses contradicteurs dans une autre tribune au titre non moins plein de sens et de sous-entendus « Silence hôpital ! Pourquoi cacher les problèmes ? »
L'objet de la discussion porte sur la réforme hospitalière annoncée désormais pour l'automne quelque peu pompeusement mais intelligemment nommée loi « patients, santé et territoires » dont une version en date du mois de juin circule ici et là.
La discussion à distance entre spécialistes de la santé, dont deux médecins, a de quoi surprendre. D'un côté, on nous laisse supposer sur le ton de l'humour noir que la ministre de la santé, Madame Roselyne Bachelot, conduit l'hôpital public à une mort certaine. Et de l'autre, reprenant ces deux mots « Silence hôpital ! » que l'on aperçoit à l'approche de nos hôpitaux et qui n'ont guère plus aujourd'hui de sens dans nos cités urbaines polluées par les nuisances sonores, on nous laisse à penser qu'il pèse sur l'institution hospitalière une chape de plomb digne des réseaux mafieux.
Les premiers avancent que le secteur hospitalier est en crise et qu'une application rigoriste du rapport Larcher dont la réforme hospitalière est inspirée conduirait à achever le secteur public hospitalier. La crise de l'hôpital public serait ainsi multiforme. Crise économique, crise sociologique, crise qualitative.
Alors que l'opinion des français à l'égard de cette noble institution est des plus favorables (voir articles : « les français et leur hôpital - 1 », « les français et leur hôpital - 2 » et qu'une étude de l'organisation non gouvernementale américaine The Commenwealth Fund compare le système de santé des Etats-Unis avec celui des autres pays développés et révèle que le système de santé français occupe une place de tout premier plan en termes de qualité, il est pertinent d'analyser les discours et de contribuer au débat qui semble échapper aux citoyens. Ceux-ci seront appelés à se prononcer mais seulement au travers de leurs parlementaires au moment du vote de la loi. Voilà une démocratie bien peu participative et craignant la pédagogie auprès du grand public. De manière volontaire, je n'aborderai pas ici la question de la qualité et pour cause au vu de l'étude que je viens de citer. Non pas qu'il n'y ait rien à dire, au contraire il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, ne serait-ce que sur le thème basique mais fondamental du simple respect de l'hygiène des mains à l'hôpital !
Une crise économique ? Avec une situation déficitaire désormais récurrente - 2/3 des hôpitaux publics seraient dans le rouge - on ne peut que confirmer ce diagnostic.
Frédéric Bizard et le Pr. Émile Papiernik estiment que, si le remède comptable et financier qui a déjà été prescrit à l'hôpital avec la tarification à l'activité continue à l'être et est généralisé comme le préconise le rapport Larcher[2], le résultat serait de « déshumaniser les hôpitaux et d'en faire des usines à soins ».
De son côté, Guy Vallancien affirme haut et fort que « contrairement à leur affirmation, la loi "patient, santé, territoire" en préparation ne doit en rien revenir sur la tarification en fonction du volume d'actes et de leur qualité » donnant en contrepoint l'exemple de « régions et pays voisins qui ont su rénover leurs hôpitaux (Catalogne, Lombardie, Belgique, Grande-Bretagne...) ont utilisé à marche forcée le financement à l'activité et à la qualité. » A croire qu'il doute de la réelle volonté réformatrice de son ancien employeur ...
D'un côté, l'hôpital souffrirait d'un sous financement chronique menaçant son fonctionnement et de l'autre, il serait un « sanctuaire dispendieux à l'efficacité douteuse. » Où est donc la vérité dans ce débat dont on se demande s'il ne relève pas du dogme ?
Il est vrai que les gestionnaires[3] - dont je suis - à quelque niveau qu'ils se situent - local, régional ou national - ne savent pas comment sortir sans heurts de cette situation déficitaire. En effet, pour éponger ce déficit, deux solutions existent.
Soit accepter de doter les budgets hospitaliers à hauteur de ce qu'il est nécessaire[4], seulement la réforme du financement dite tarification à l'activité a stoppé le financement sous dotation globale, et les hôpitaux sont donc inscrits dans une logique infernale : évacuer hors de leurs murs les activités « non rentables » en limitant les coûts de fonctionnement en faisant la chasse à la gabegie. Je n'exclue pas de mon discours que le système de la dotation globale avait des effets pervers, mais celui de la tarification à l'activité en a tout autant sinon plus, et non des moindres puisque la priorité n'est plus tant la qualité du soin que la rentabilité du soin. Tout gestionnaire qui se respecte comprend cela, surtout s'il se veut ou prétend manager.
Soit dépenser moins en prônant comme le fait Guy Vallancien « une restructuration interne forte sous-tendue par une offre de soins rénovée » perspective dont on s'échine à dire, de l'échelon le plus haut au plus bas[5], qu'elle ne se traduira par aucune fermeture. Mais on comprend mal, dans un contexte où le discours politique fustige les déficits publics comme la cause de tous les maux et notamment de manière opportuniste du marasme économique[6], on comprend donc mal comment il en serait autrement. Ne serait-ce qu'une évidence, pour restructurer sérieusement, il faut investir !
Voilà où les contradicteurs, de mon point de vue modeste bien sûr, ne traitent pas le sujet complètement au fond. Car s'il est vrai que la situation actuelle est loin d'être idéale (inégalités régionales dans les moyens notamment dans la répartition des médecins, manque de coordination entre hôpital public et clinique, entre hôpital public et médecine de ville, entre hôpitaux publics eux-mêmes, etc.), on voit difficilement à la lecture de l'article de Guy Vallancien comment la nouvelle loi va permettre de changer cela.
Disons le aux lecteurs, le parti pris de la réforme hospitalière est d'axer la priorité sur la restructuration des hôpitaux dans leurs activités médicales, notamment avec le recentrage du fonctionnement de l'hôpital sur une structure nouvelle la communauté hospitalière de territoire. Pourquoi avoir honte de cela ? Car s'il est vrai que l'hôpital public souffre d'un manque de direction (donner un sens aux choses) la question de fond est savoir s'il est encore possible aujourd'hui de disposer de structures hospitalières polyvalentes. Le coût des techniques, la rareté des compétences médicales[7], l'évolution même trop lente et timorée, mais inéluctable du droit des patients[8] sont autant de facteurs avec d'autres qui font dire que ces contraintes deviennent trop lourdes pour des structures trop petites. Mais qui osera le dire ?
Une autre question est de savoir si l'hôpital public ne souffre pas d'être l'enjeu de pouvoirs : pouvoir politique local contre pouvoir politique national, pouvoir médical contre pouvoir managérial, pouvoir syndical contre pouvoir gouvernemental, public contre privé. A force, on en oublie un éléments déterminant : le patient. Ce citoyen, qui est comme vous et moi, ni plus ni moins, à la seule différence qu'il a besoin de se faire soigner dans une structure spécialisée, ce citoyen dispose et réclame de plus en plus d'information sur la qualité du service qu'il attend de l'hôpital. Et ces enjeux de pouvoirs le dépassent et on le comprend.
Si la réforme qui s'annonce permet donc d'organiser un meilleur maillage hospitalier, et de garantir à tous les citoyens quelque soit leur condition sociale un égal accès aux meilleurs techniques et aux meilleurs médecins, alors je vote des deux mains. Mais, je me permettrai d'émettre un doute sur la capacité de cette loi à remplir cet objectif qui seul intéresse le citoyen. Et je ne vois pas en quoi le débat de nos contradicteurs peut nous rassurer à ce sujet. Bien sûr, on nous promet un vrai patron à la tête de l'hôpital[9] capable de décider et de gérer, mais si les lignes directrices ne sont pas clairement posées au niveau national, il sera difficile de sortir d'une gestion parfois un peu trop opportuniste ou dont l'objectif est de calmer la virulence sociale de telle ou telle partie de notre territoire. Quand sortirons-nous de ces impasses ?
Alors s'il y a bien crise économique au plan comptable, la cause en est connue. Les objectifs d'évolution des dépenses de santé sont fixés nationalement par le Parlement, les négociations statutaires ou salariales aussi, seulement sur le terrain, on vous répond tout est dans le budget, petit à petit il est logique que l'hôpital se trouve exsangue quand bien même il cherche à faire la chasse aux gaspillages. Une quelconque autorité s'est-elle penchée sur l'augmentation des tarifs de l'énergie et sa conséquence sur le budget hospitalier ? Certes aujourd'hui, les centres hospitaliers universitaires et quelques gros centres hospitaliers achètent en commun une partie (relativement modeste à vrai dire de leurs besoins) mais est-ce suffisant ? Non, car cela conduira à terme à raréfier les fournisseurs de moyenne importance et la concurrence s'amenuisera avec les conséquences connues à cette situation. La nouvelle loi ne viendra combler cette situation de crise que par des restructurations, là-dessus Guy Vallancien a raison. Et pourtant, partout on semble frémir à cette perspective, certainement par manque d'explications et de pédagogie.
Mais cela sera-t-il au bénéfice de nos institutions ? Pas sûr, car s'il y a crise elle se trouve bien du côté sociologique, et l'exemple pris par Frédéric Bizard et Pr. Émile Papiernik sur les 35 heures est certes limitatif mais exemplaire de cette crise. Voilà une réforme dont on savait à l'avance qu'elle allait créer un effet boomerang terrible pour les hôpitaux publics. Pourquoi ? Parce que là où les entreprises ont gagné en productivité (quoiqu'en dise le Medef), les hôpitaux publics sont restés prisonniers des relations de pouvoirs citées ci-dessus. Au moment de la mise en place des 35 heurs, le dispositif qui s'appelait alors jusque là Aménagement, Organisation et Réduction du Temps de Travail fut juste dénommé Réduction du Temps de Travail. Subtilité me direz-vous ? Et vous avez raison, mais subtilité au sens pervers autorisant les doubles discours et les injonctions paradoxales. D'un côté aux managers, on disait « réorganisez », « aménagez », et de l'autre aux syndicats, on laissait entendre « négociation », « recrutement », « compte épargne temps », « temps libre ». Le résultat ? Il fallait négocier au niveau local des accords avec le moins de vague sociale possible[10]. Quelque fut la velléité des directions de repenser l'organisation du travail, elle fut battue en brèche au motif que le vrai objectif, celui que l'on ne pouvait avouer, était de signer à tout prix l'accord local[11]. Au même moment, le boom des départs en retraite des personnels infirmiers a conduit certains à faire croire que le miracle viendrait par le recrutement d'infirmières espagnoles ! Aujourd'hui, les comptes épargnes temps des personnels hospitaliers et médicaux sont pleins comme des œufs et le Gouvernement actuel pour éviter l'implosion sociale se voit obligé de débloquer des fonds pour payer ce qui ressemble fort à des heures supplémentaires mais fonds dont nul ne sait s'ils seront suffisants ...
De leur côté, les médecins hospitaliers, aigris et frustrés d'avoir été pendant des années encensés et amenés à penser qu'ils étaient les patrons de l'hôpital, loin d'une véritable politique de santé publique seule à même d'organiser au niveau national le maillage hospitalier, préfèrent revendiquer pour leur paroisse que de regarder ce qui clochent en leur sein[12]. Voilà quelques exemples de cette crise sociologique. Comment en sortir ? Certainement pas en portant aux nues une profession - celle de directeur d'hôpital - alors que dans le même temps on en tarit le recrutement et que de toutes parts les discours font croire que des managers issus du privé pourront faire mieux.
Comme le dit le directeur général du Centre Hospitalier Universitaire de Nice : « il faut oser affirmer que ce n'est pas l'hôpital qui est malade, ce sont les règles qu'on lui impose qui sont un non sens. »[13]
[1] On notera qu'il est également membre du comité scientifique de Kiria
[2] Il ne s'agit pas d'une nouveauté due à Mme Bachelot qui ne reprend là que les objectifs poursuivis par ses prédécesseurs xavier Bertrand et Jean-François Mattéi, à savoir mettre en place un seul et même financement pour le secteur hospitalier qu'il soit public ou privé. Ce seul thème mériterait que l'on s'y penche dans un article fouillé
[3] D'aucuns préfèrent dire « manager », et il diront que c'est une question de principe. De mon point de vue çà fait surtout et certainement plus « hype » dans les cercles restreints. Entre nous, moi aussi j'ai suivi une formation au « management » mais j'estime que je n'ai pas de raison de m'en gargariser.
[4] Vous comprendrez que je pose là le postulat que le fonctionnement actuel est satisfaisant ce qui n'est vraiment exact.
[5] Ah ! La crainte des mouvements sociaux à l'hôpital est d'une toute autre nature que dans l'éducation nationale ... Pourtant, dans certains lieux on ose dire que peu importe la réaction social, il faudra que la réforme passe avec ou sans consentement
[6] Sur ce sujet, on notera la position intéressant de la position actuelle de l'économiste Joseph Stiglitz est la suivante : « le point le plus important est de maintenir le plein emploi. Et pour ce faire, le déficit public n'est pas forcément une mauvaise chose, à condition que l'argent soit bien dépensé » connu en France du grand public pour avoir été appelé de manière très médiatique par Nicolas Sarkozy pour diriger la Commission du même nom
[7] Rareté que l'on a bien voulu créer et on ne pourra revenir là-dessus, les médecins aussi partiront en retraite. Cette rareté est la conséquence directe de la gestion du numerus clausus d'où la situation honteuse dans laquelle se trouve les médecins étrangers dans notre pays et grâce auxquels fonctionnent nombres d'unité de soins et d'hôpitaux. En voilà une belle hypocrisie de notre système que l'on tait honteusement.
[8] A ce sujet il est triste de constater que le citoyen une fois le seuil de l'hôpital passé n'est un citoyen ordinaire mais un patient avec des droits bien limités et encadrés alors qu'il s'agit de ce qu'il a de plus précieux : sa santé !
[9] Cela n'est pas tant du à Mme Bachelot qu'à de son prédécesseur qui l'a judicieusement glissé à l'oreille de Monsieur le Président de la République, non ?
[10] Fallait voir les préfectures et les sous préfectures appeler les directions pour connaître le climat social parce que trois pneus brûler sur le parvis de l'hôpital ... ah pour çà il y avait du boulot pour les RG
[11] Seulement ce fut au péril de ceux qui tomberaient pour des raisons étrangères, comme ce fut le cas du directeur du centre hospitalier psychiatrique de Pau qui se trouva obligé de muter après l'horrible drame. Pour quel motif ? Parce que son accord local de RTT avait trop laxiste, entre autre !
[12] Cette remarque vaut aussi pour ceux qui se prétendent manager
[13] Extrait complet : « dgnice : message à l'auteur - Bravo, Il faut oser affirmer que ce n'est pas l'hôpital qui est malade, ce sont les règles qu'on lui impose qui sont un non sens. Oser affirmer que sans remise en cause profonde de son mode de management l'hôpital public est condamné à court terme. Oser dire que nous voulons que nos petits enfants puissent bénéficier de l'hôpital public parce qu'il est un emblème et une des valeurs fortes de notre société. / Emmanuel BOUVIER MULLER / Directeur général du CHU de NICE » Source Le Figaro