Medhi Allain nous a quitté le 17 décembre dernier. Tétraplégique depuis un tragique accident du travail survenu il y a 20 ans, il a passé la moitié de son existence dans la souffrance. Au-delà d'un processus judicaire particulièrement long, la jeune victime a dû faire face à une multitude de complications liées à l'insuffisance de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail et à la prise en charge défaillante des personnes handicapées dans notre pays. Ce portrait lui est dédié. Nous sommes le 17 mai 2004, Medhi a 19 ans et vit dans l'Oise. A l'issue d'une formation en alternance dans le domaine de la menuiserie, le jeune homme n'est pas parvenu à obtenir son CAP. Ses brillants résultats en épreuve pratique lui permettent cependant de rester confiant face à son projet professionnel. Afin de gagner en expérience, il décide d'accepter une première mission en intérim pour une grande enseigne de magasins de bricolage. Ce lundi devait être le premier jour de travail de sa vie. Ce sera malheureusement aussi le dernier.
Une tache à risque confiée à un intérimaire inexpérimentéC'est au rayon menuiserie que Medhi vit ses premières minutes au sein du Brico-Dépôt de Beauvais. Bien qu'il soit inexpérimenté et que le secteur de l'intérim soit l'un des plus accidentogènes, aucune communication ne lui été faite sur les questions de sécurité au moment de sa prise de poste. Une tâche lui a cependant été confiée : décharger et mettre en rayon des portes. Muni de gants et de chaussures de sécurité, la jeune recrue s'attèle alors à sa tâche.
Voilà une quinzaine de minutes que la journée de travail a débuté. Le collègue qui accompagnait Medhi s'est absenté pour aller conseiller un client. Le jeune est dorénavant seul dans l'entrepôt. Il dépaléttise les portes qui doivent ensuite être installées dans les rayons. Une activité identifiée comme étant à risque fort par le magasin et pourtant aujourd'hui confiée à un jeune intérimaire inexpérimenté et dorénavant isolé.
C'est dans ce contexte, que l'opération de manutention vire au drame. L'une des palettes cède sous le poids des portes, qui pèsent 35 kg chacune, laissant ainsi le chargement tomber à la renverse. Comme pris au piège, le jeune intérimaire ne peut rien faire. Percuté par les panneaux, il bascule à son tour en arrière et termine sa chute sur les fourches d'un gerbeur électrique. Sa colonne vertébrale se fracture.
Sportif, licencié depuis plus de 10 ans dans un club de foot, Medhi ne marchera plus jamais. La gravité de ses blessures est telle que le pronostic vital de l'oisien est même réservé pendant plusieurs semaines. Les conséquences de l'accident du travail sont dramatiques. Paralysé des 4 membres, le jeune homme voit sa vie bouleversée à jamais.
Un long combat pour la dignité et la justicePlus rien ne sera comme avant pour Medhi devenu entièrement dépendant pour tous les actes du quotidien. Sa vie est dorénavant rythmée par les rendez-vous médicaux et les interventions chirurgicales. D'hôpitaux en foyers médicalisés, le jeune handicapé doit faire face à la souffrance physique et morale. La perte d'autonomie et les traitements parfois humiliants qu'elle engendre sont difficiles à supporter. C'est une lutte quotidienne pour faire respecter son droit à la dignité. Medhi peut heureusement compter sur le soutien de sa famille et sur sa petite amie restée à ses côtés. Le couple va même se fiancer par la suite. Mais les contraintes liées au lourd handicap du jeune homme finiront par pâtir sur leur relation.
Un autre combat attend Medhi, celui pour la justice. L'entreprise et son directeur de l'époque sont poursuivis pour blessures involontaires et diverses infractions au Code du travail. Il est notamment relevé lors du procès que l'employeur du jeune intérimaire connaissait les risques liés à la fragilité des palettes mais n'avait cependant rien fait pour s'en prémunir. A cela s'ajoute l'absence de formation et d'information à destination d'une recrue pourtant inexpérimentée concernant les mesures de sécurité. C'est ainsi que le 17 mai 2004 les conditions du drame furent réunies.
En novembre 2007, 3 ans après l'accident, Brico-Dépôt est condamné à 100 000 € d'amende par le tribunal correctionnel de Beauvais. Le directeur du magasin écope lui d'une peine de six mois de prison avec sursis. Un jugement confirmé en appel l'année suivante. Medhi et son avocate lancent en parallèle une procédure d'indemnisation au civil. Celle-ci aboutit en 2008 à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale. L'indemnisation des préjudices s'élève en première instance à 120 000 €.

La somme est cependant dérisoire face aux conséquences de l'accident du travail sur la vie du jeune homme (souffrances physiques, morales, frais d'aménagements du domicile, préjudice d'agréement...). Réévaluée par la Cour d'appel à 675 000 €, celle-ci reste pour autant bien inférieure à ce qu'une victime d'un accident de la route peut par exemple toucher à préjudice égal. C'est pourquoi Medhi porte l'affaire devant la Cour de cassation. Mais son pourvoi est rejeté en décembre 2013. Il aura donc fallu près de 10 ans pour que la procédure judicaire arrive à son terme.
Si l'importance de l'indemnisation n'efface par le handicap, elle permet en revanche de pouvoir vivre dans de plus ou moins bonnes conditions. En touchant deux, trois, voire quatre fois moins qu'un accidenté de la vie, Medhi et toutes les victimes d'accidents du travail vivent une terrible injustice.
S'il avait bénéficié d'une indemnisation prenant en compte l'ensemble de ses préjudices, le jeune oisien aurait certainement pu s'éviter des séjours à répétition dans des foyers médicalisés. D'autant que la prise en charge dans ces structures s'est avérée à de trop nombreuses reprises défaillante (manque de moyens, absence d'empathie, propos dégradants...).
L'essentiel de l'indemnisation dont il a bénéficié a servi à acquérir et aménager une maison adaptée à son handicap. Mais il n'a finalement pu y vivre que quelques mois du fait de moyens insuffisants pour financer l'aide humaine nécessaire à son maintien à domicile. Comme le dénonce maitre Julie Thomas, avocate de Medhi, l'assistance à plein temps de soignants qualifiés pour prendre en charge des personnes avec un handicap lourd est quasiment impossible pour les victimes d'accidents du travail faute d'une indemnisation adéquate.
Les défaillances de la prise en chargeDans l'incapacité de rester à son domicile, Medhi fréquente à partir de 2015 un nouveau foyer d'accueil médicalisé. Les premiers mois sont positifs. Il se dit même heureux. La proximité du lieu avec sa famille lui permet de recevoir fréquemment des visites. Mais à partir de 2017, son état de santé décline (douleurs neuropathiques...) et les allers retours avec l'hôpital se multiplient. Devenue plus lourde, la prise en charge de Medhi semble devenir un problème pour l'établissement.
La situation devient même très tendue à partir de 2019. Rien ne lui aura été épargné. Son foyer d'hébergement décide de l'exclure en raison d'un conflit avec la direction. D'un côté, Medhi dénonce de mauvais traitements dont il serait à la fois témoin et victime. D'un autre, l'établissement l'accuse de trafic de médicaments en raison de la découverte dans sa chambre d'une trousse contenant des produits classés stupéfiants. Bien qu' il s'agisse en définitive de son traitement habituel et qu'une enquête permette de blanchir l'oisien, les accusations portées à son encontre vont lui fermer la porte de nombreuses structures.
Faute de solution pérenne, Medhi se retrouve alors hospitalisé pendant près de deux ans à l'hôpital de Beauvais. Là encore, il lui faut batailler pour éviter d'être affecté à des services inadaptés à sa situation. A sa sortie, il est cependant contraint d'intégrer un EPHAD en raison de l'absence de place en foyer. Il passera un an dans cet établissement. Ainsi, du fait des complications médicales liées à la tétraplégie mais aussi des défaillances de la prise en charge de son handicap, les 20 années qui ont suivi l'accident du travail ont donc été faites de souffrances pour Medhi.
Pour autant, grâce à sa force de caractère et au soutien inconditionnel de sa mère et de ses frères, l'homme avait des projets. Il participait à des ateliers d'art-thérapie pour apprendre à peindre grâce à des techniques adaptées à son handicap. Depuis quelques temps, il s'était aussi lancé dans la rédaction d'un ouvrage afin de raconter son histoire. S'il dictait son texte, il lui arrivait aussi d'écrire sur son portable avec sa langue. Malgré le handicap et les douleurs, il a toujours réussi à trouver les ressources pour continuer d'avancer.
Medhi s'est éteint le 17 décembre 2024 à l'âge de 39 ans. Une grosse pensée pour lui, pour sa famille et pour ses proches.

