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Critique Ciné : En attendant la nuit (2024)

Publié le 29 janvier 2025 par Delromainzika @cabreakingnews
Critique Ciné attendant nuit (2024)

En attendant la nuit // De Céline Rouzet. Avec Mathias Legoût Hammond, Céleste Brunnquell et Elodie Bouchez.

Le premier long-métrage de fiction de Céline Rouzet, En attendant la nuit, s'impose comme une œuvre singulière, mêlant le cinéma de genre à une réflexion poignante sur la différence. À travers une approche subtile du mythe vampirique, la réalisatrice tisse une histoire familiale touchante, ancrée dans une ambiance à la fois anxiogène et intimiste. Le récit s'ouvre sur une scène marquante : une jeune femme, interprétée par Élodie Bouchez, donne naissance à un enfant. Alors qu'elle allaite ce dernier, il la mord, introduisant d'emblée une tension troublante. Ce geste inaugural n'est pas anodin et pose une question essentielle : son fils, Philémon, serait-il un vampire ?

Philémon est un adolescent pas comme les autres : pour survivre, il a besoin de sang humain. Dans la banlieue pavillonnaire un peu trop tranquille où il emménage avec sa famille, il fait tout pour se fondre dans le décor. Jusqu'au jour où il tombe amoureux de sa voisine Camila et attire l'attention sur eux...

Quelques années plus tard, la famille s'installe dans un nouveau quartier, tentant de dissimuler sa différence tout en veillant à subvenir aux besoins spécifiques de l'adolescent. Les poches de sang volées deviennent ainsi un secret pesant, métaphore des sacrifices et des tensions invisibles au sein d'une cellule familiale qui protège autant qu'elle enferme.Philémon, incarné par Mathias Legoût Hammond, est au cœur du récit. Cet adolescent de 17 ans, tiraillé entre ses pulsions incontrôlables et son désir de normalité, incarne une figure touchante de l'altérité.

Sa quête d'intégration dans un monde qui le rejette résonne avec force, tant elle évoque des réalités humaines universelles : celles du handicap, de la marginalité ou simplement de la difficulté à trouver sa place. Mathias Legoût Hammond, dont c'est le premier rôle, livre une performance remarquable. Sa présence à l'écran capte immédiatement, oscillant entre vulnérabilité et animalité. Ce qui frappe chez ce jeune acteur, c'est sa capacité à exprimer une large palette d'émotions sans jamais tomber dans l'excès. Une scène, en particulier, marque les esprits : celle où Philémon, confronté au harcèlement de ses camarades, tente de cacher sa différence tout en rêvant d'appartenir à leur monde.

C'est un moment d'une intensité rare, soulignant l'isolement que subissent ceux qui ne répondent pas aux normes imposées.Au-delà de son approche vampirique, En attendant la nuit est avant tout une histoire de famille. Céline Rouzet explore avec finesse la dualité des relations familiales : refuge rassurant d'un côté, prison oppressante de l'autre. Rosalyne, la mère, fait preuve d'un amour inconditionnel envers son fils, au point de tout sacrifier pour l'aider à vivre avec sa différence. Mais cet amour devient aussi une source de tensions, notamment face à la difficulté de concilier protection et liberté.

Les relations familiales sont également marquées par les non-dits. Le père de Philémon est absent, laissant un vide qui alourdit encore davantage les épaules de la mère. Les dialogues, parfois empreints de silences éloquents, traduisent cette charge émotionnelle. Si certains échanges auraient gagné à être plus mordants, ils n'en restent pas moins porteurs d'une grande authenticité. La figure du vampire, ici modernisée, sert de métaphore pour aborder des thèmes universels : la différence, la stigmatisation et la peur de l'inconnu. En choisissant ce prisme, Céline Rouzet interroge avec sensibilité notre rapport à ceux qui ne correspondent pas aux normes établies.

Céline Rouzet prend le pari risqué d'associer le cinéma de genre à des éléments empruntés aux drames familiaux et aux teen movies. Si ce mélange apporte une richesse indéniable au film, il peut parfois sembler déséquilibré. Certaines situations, bien que poignantes, peinent à maintenir une tension constante. La réalisatrice joue avec les codes du fantastique sans jamais verser dans une démonstration excessive de violence ou d'effets visuels spectaculaires. Cela confère une sobriété bienvenue à l'œuvre, mais cela peut aussi frustrer les amateurs de récits vampiriques plus traditionnels. Ce choix de mise en scène, tout en retenue, permet toutefois de se concentrer sur l'essentiel : les émotions des personnages.

Philémon n'est pas un monstre de cinéma au sens classique du terme, mais un adolescent en lutte avec lui-même et le monde qui l'entoure. Cette approche humanise le mythe du vampire, le rendant accessible et universel.L'esthétique du film mérite une attention particulière. Rouzet plonge le spectateur dans une atmosphère où la lumière et les ombres jouent un rôle central. Les scènes nocturnes, baignées d'une lumière froide et enveloppante, traduisent l'univers intérieur de Philémon, à la fois beau et tourmenté. Les décors naturels, empreints d'une certaine mélancolie, renforcent cette impression d'un monde à part, où la nature devient un écho des émotions des personnages.

Les références cinématographiques qui parsèment le film enrichissent également l'expérience. On pense notamment à Elephant Man ou Edward aux mains d'argent, deux œuvres qui partagent cette même sensibilité à l'égard des figures marginalisées. Pourtant, Rouzet parvient à s'approprier ces influences pour livrer une œuvre personnelle, empreinte de son propre vécu.Comme tout premier film, En attendant la nuit n'est pas exempt de défauts. Le rythme connaît quelques baisses de régime, notamment dans son second acte, où certaines scènes s'étirent sans apporter de réelle avancée à l'intrigue.

Les dialogues, bien qu'authentiques, auraient parfois gagné à être plus percutants pour accentuer les enjeux dramatiques. Cependant, ces faiblesses n'altèrent pas la portée émotionnelle du film. Céline Rouzet fait preuve d'une maturité certaine dans sa mise en scène, et son écriture, bien que perfectible, laisse entrevoir un potentiel prometteur.Au-delà de sa dimension narrative, En attendant la nuit délivre un message profondément humaniste. En explorant les thèmes de la différence, de l'acceptation de soi et du rejet, le film invite à repenser notre regard sur l'autre. Philémon, malgré ses pulsions vampiriques, n'aspire qu'à être aimé et accepté pour ce qu'il est.

Ce désir d'intégration résonne avec une force particulière dans un monde où l'apparence et la conformité dictent trop souvent les interactions sociales. La réalisatrice aborde également la question de l'amour familial sous un angle complexe, où les liens du sang deviennent à la fois un ancrage et une source de douleur. Cette ambivalence, magnifiquement illustrée dans le film, est ce qui lui donne une résonance universelle. En attendant la nuit est un premier film qui séduit par sa sincérité et sa sensibilité. Bien qu'imparfait dans sa structure, il brille par la force de son interprétation et l'intelligence de son propos.

Céline Rouzet offre ici une œuvre personnelle, qui dépasse les codes du fantastique pour toucher à des émotions universelles. Avec Mathias Legoût Hammond dans un rôle central magnétique et une mise en scène à la fois sobre et évocatrice, ce film s'impose comme une réflexion touchante sur la différence et l'acceptation de soi. Une œuvre à découvrir, qui témoigne du potentiel d'une réalisatrice à suivre de près.

Note : 7/10. En bref, une fresque vampirique qui explore la différence.

Sorti le 5 juin 2024 au cinéma - Disponible en VOD


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