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Après la fin, Cartes pour un autre avenir

Publié le 04 février 2025 par Aicasc @aica_sc

Au Centre Pompidou- Metz, quarante artistes participent à une réflexion sur la condition diasporique des communautés de la Caraïbe et du Maghreb. De la Martinique, Victor Anicet.

Après fin, Cartes pour autre avenir

25 janv.→01 sept. 2025

Commissaire : Manuel Borja-Villel

Crédits photo : Photo Marc Domage

Rassemblant les œuvres de 40 artistes internationaux, l’exposition Après la fin. Cartes pour un autre avenir, sous le commissariat de Manuel Borja-Villel, cherche à remettre en question le récit occidental ancré dans un système colonial à travers des récits nouveaux et ancestraux, populaires et modernes. Soulignant l’importance des communautés, l’exposition s’organise autour de réflexions qui interrogent la diaspora et les limites de l’intelligibilité de la modernité afin d’imaginer d’autres mondes au-delà de la fin des temps, au-delà de notre propre temps.

Après fin, Cartes pour autre avenir
Après fin, Cartes pour autre avenir

Les logiques néolibérales et le capitalisme ont sans aucun doute été marqués par le désespoir. Ce désespoir émerge d’un récit dominant qui n’offre aucune alternative au système – le fameux T.I.N.A. (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher – mais il est aussi la conséquence d’une pensée critique qui, dans sa célébration de l’autoréflexivité finit par renforcer l’enfermement épistémique et esthétique de la modernité eurocentrique. Cependant, lorsque nous sommes capables d’envisager les limites de l’intelligibilité de la modernité, lorsque nous comprenons la différence coloniale, lorsque nous reconnaissons qu’il existe d’autres formes de sagesse, d’autres modes de gouvernance plus complexes mais plus justes, l’espoir redevient tangible. Alors émergent la possibilité, la nécessité de sortir du temps linéaire afin d’imaginer d’autres mondes au-delà de la fin du temps, de notre temps. C’est ce que les zapatistes ont proposé lors de la Marche du Silence, fin 2012, créant une chorégraphie en forme de spirale en référence à leur forme de gouvernance, les « caracoles », ainsi qu’à une vision du monde non occidentale. Le temps qu’ils revendiquent est circulaire et non linéaire. Le passé et le futur s’y entrechoquent. Le passé ne sert pas nécessairement à expliquer le présent, mais à le bousculer. Le passé est une voix ancienne qui laisse imaginer des futurs effacés. Cette conception de l’histoire n’entérine pas une supposée identité ancestrale, mais la remet en question. Les traditions populaires réduites au silence rendent ici possible la vibration de l’histoire.

Après fin, Cartes pour autre avenir

Dans Après la fin. Cartes pour un autre avenir, les diasporas caribéenne et maghrébine, imbriquées depuis le début de la colonisation, s’entremêlent. Traversant une vaste période qui s’étale du XVIIe siècle à nos jours, l’exposition aborde la condition diasporique de ces peuples et communautés, cet « être à la frontière », cette « appartenance sans appartenance », pour reprendre les termes de la poétesse Gloria Anzaldúa. La frontière n’est pas seulement ce qui sépare, mais une condition qui permet d’être à plusieurs endroits à la fois. En ce sens, l’épistémologie de la diaspora est contraire à l’univocité moderne ou à l’apparente pluralité du système artistique contemporain. L’artiste diasporique doit continuellement naviguer entre de multiples niveaux de signification parce qu’il ou elle s’adresse et interagit avec différentes communautés. Les oeuvres de Wifredo LamRubem ValentimBelkis AyónFrank Walter ou Ahmed Cherkaoui en sont des exemples. Loin d’une forme d’appropriation, leurs références aux spiritualités et religions d’origine africaine ou aux éléments vernaculaires se mêlent à la modernité, sans qu’aucun de ces mondes ne soit fondu dans l’autre. La pensée frontalière, qui invite à se décentrer et à prendre du recul par rapport à l’univers de la modernité, est fondamentale pour les artistes de l’exposition. Le récit occidental unique a occulté l’histoire des personnes sous emprise et dépossédées. Cet acte d’effacement n’a malgré tout pas supprimé les mémoires vivantes qui existent dans les traditions orales, dans les corps, dans la langue vernaculaire ou dans l’histoire de la terre elle-même.

Après fin, Cartes pour autre avenir

Les travaux de M’Barek BouhchichiBouchra Ouizguen et Abdessamad El Montassir en sont l’illustration. La mer et l’eau portent une forme de mémoire, comme le reflètent les œuvres d’Ellen Gallagher et Aline Motta.La pensée de l’artiste Alejandra Riera incarne aussi cet état d’esprit. Lorsque la poussière du Sahara est tombée, en mars 2022, sur l’un des jardins qu’elle prend comme lieu d’études à Paris, elle notait :

Parfois, des événements même imperceptibles imprègnent notre environnement et nous rappellent que ce que nous qualifions de local ne l’est que partiellement, car ce qui existe et se passe dans un lieu particulier est aussi souvent le fruit d’apports anonymes ou méconnus provenant d’autres lieux. Si le monde est tout ce qui se passe, si ce monde est l’ensemble des événements qui s’y déroulent et non des « choses » pensées comme séparées, isolées, c’est souvent par un événement aussi remarquable que peu attendu, peu observé, que le mélange complexe de sa consistance nous devient présent. L’exposition Après la fin. Cartes pour un autre avenir n’est pas organisée par thèmes ou par styles. Elle est conçue comme une constellation de gestes et de situations qui se connectent les uns aux autres. Il ne s’agit pas de représenter l’autre mais au contraire de créer une communauté, un savoir partagé. Il ne s’agit pas de diviser mais d’être conscient de la condition frontalière de notre époque. Il ne s’agit pas de nations ou de régions, mais de mouvements. En l’occurrence entre les Caraïbes et la Méditerranée, deux régions liées depuis le début de la mondialisation mais dont les relations sont rarement explorées. Il s’agit de « longue durée », de prise de conscience que le processus de colonisation qui a commencé au XVIe siècle se poursuit aujourd’hui et que bon nombre de nos guerres sont enracinées dans le colonialisme. Il s’agit également du désir d’espoir.

ARTISTES INVITES

Juan y Miguel González, GIAP, Aline Motta, Olivier Marboeuf, Laeïla Adjovi, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Ellen Gallagher, Kapwani Kiwanga, Myrlande Constant, Frank Walter, Donald Locke, Victor Anicet, Frantz Zéphirin, Georges Liautaud, Rosana Paulino, Belkis Ayón, Wifredo Lam, Rubem Valentim, Alejandra Riera, Maya Deren, Katherine Dunham, Sarah Maldoror, Philip Rizk, Abdessamad El Montassir, Tizintizwa ( Nadir Bouhmouch and Soumeya Aït Ahmed), M’barek Bouhchichi, Amina Agueznay, Ahmed Cherkaoui, Bouchra Ouizguen, Baya, Mounira Al Solh, Basma al-Sharif, Ahlam Shibl, Ariella Aïsha Azoulay, Yto Barrada

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