« Décidément ce minitel laissera
des souvenirs .... »
Contacté par nos soins, Michel Landaret a eu la gentillesse d'apporter un
certain nombre de précisions quant à la création involontaire du premier
service de messagerie sur Minitel, un détournement que nous évoquions dans
notre précédent billet : « L'origine
cachée du minitel rose ».
Les deux sources que nous utilisions dans ce billet auraient quelque peu
« romancé » son témoignage, selon les dires de celui qui était à
l'époque responsable de Gretel, un des premiers services minitel à l'initiative
des Dernières Nouvelles d'Alsace.
« Nous avions effectivement mis en place des moyens automatiques de
détecter les difficultés d'usage du minitel par les utilisateurs, et ajouté une
fonction nous permettant de leur adresser "live" un message et leur permettant
de répondre ; c'est cette fonction qui a été "piratée" et
"détournée".
Il y a eu de nombreuses tentatives de "piratage" du système, poursuit Michel
Landaret. Ces tentatives visaient à trouver les moyens d'accès "réservés", vu
l'encombrement de l'accès général. Nous avons beaucoup appris de ces
tentatives, dont il faut souligner qu'aucune n'avait de but destructeur. Ainsi,
un utilisateur plutôt jeune a découvert le mot de passe protégeant le programme
de messagerie interactive initial, et a commencé à le répandre et à l'utiliser.
Le succès a été tel que ce programme a vite rencontré des limites. Nous avons
dû améliorer d'abord la performance en tant que telle (rappel : les
processeurs de l'époque utilisaient des fréquences d'horloge de 2-10 Mhz, au
mieux, avec des tailles mémoire de 64Ko ... et des disques durs de 64 Mo ;
c'était il y a moins de 25 ans). »
En revanche, et c'est bien malheureux pour la légende, Michel Landaret remet
en cause l'existence de Big Panther, le pseudo du pirate : « Qui a
inventé ce nom-là??? Le pirate en question n'avait pas de nom en messagerie, il
n'y avait pas de messagerie quand il a opéré ; et même plus tard... il n'y
a jamais eu de "big panther" ».
Insistons sur le fait que le fameux pirate n'a rien reprogrammé ni détruit dans
le système : il s'est « contenté » de découvrir le mot de passe
permettant de s'approprier des fonctions jusque-là réservées, comme les
fonctions interactives constitutives du service de messagerie.
Un service qui, une fois rendu accessible à l'ensemble des utilisateurs, a reçu
un accueil enthousiaste et représenté « quasiment immédiatement 90% du
trafic. »
« Puis, nous avons ajouté des fonctionnalités : les annuaires de
boîtes aux lettres, les répondeurs en absence, les forums, les pseudos
multiples et masqués, la certification d'identité, les CV, les dazibaos (une
sorte d'hybride entre messagerie et forum, une messagerie publique en quelque
sorte). Plus les fonctions évoluaient, plus le succès s'affirmait. »
Pour preuve de cet engouement, Michel Landaret nous livre quelques
statistiques significatives :
« - taux d'utilisation des modems en 1982 : 23h 02 / 24h (ceci
signifie que le système était entièrement saturé 23h/24) ;
- durée moyenne d'une communication : 1h 02 ;
- temps moyen d'attente pour avoir accès au système, mesuré à 21h : 1h 10
minutes !!! (ce qui en clair veut dire que l'usager, à cette heure, composait
le même numéro de téléphone pendant plus d'une heure pour obtenir une connexion
à la messagerie ... ; à elle seule, cette valeur donne une idée de
l'engouement) ;
- record de la plus longue connexion sans coupure : 72 heures !!! ;
- record du plus fort trafic mensuel réalisé en un mois par un seul
utilisateur : 520 heures !! (sur 720 heures dans un mois ... oui, il
dormait peu ; son pseudo était *Isis 33* ;
- record de la plus grosse facture bimensuelle France-Télécom : 225 000
francs en 1982 (il faut dire que l'appel était réalisé par le téléphone -
commuté - et que l'usager appelait d'un autre département à une époque où le
tarif interdépartemental était de quelque 220 francs par heure. Malgré tout ...
plus de 500 heures par mois ...)
Compte tenu de la fiabilité chancelante des ordinateurs de l'époque, et de
l'acharnement des usagers, cette période a été un véritable cauchemar pour les
concepteurs de Gretel, nous n'avons même plus essayé de tenir le compte des
appels de nuit sur notre numéro privé, avec le pompon : Noël 1982, 2h 20
du matin ...
Notez et j'y tiens : c'était très convivial et pas du tout "rose" ... et
pas cher : 4 francs de l'heure environ, compte tenu du coût des réseaux à
cette époque, c'était donné ; le premier pseudonyme vaguement qualifiable
de rose est apparu en 1983, c'était "Peggy la cochonne" ... on en sourit
aujourd'hui. Et il y a eu un véritable scandale en 1987 quand un usager a pris
le pseudo de "Gay-toubib".
Une autre époque, c'est sûr ... »