Un portrait en couleur comme ses peintures chaleureuses et joviales. Nasty a un regard honnête sur le graffiti et son art.
La photographie qui m’a marquée est celle où l’on te voit gamin avec la bombe. Qu’est-ce qui t’a poussé si jeune à t’y mettre ?
Nasty : En fait, je pense que c’est pareil pour tout le monde… Tu es gamin avec une bombe de peinture à la main, tu appuies sur une valve et la peinture sort : c’est un jeu ! Il y a un côté ludique à la base, ce n’est pas comme la peinture avec des pinceaux, c’est plus compliqué. Et puis c’est aussi une manière de se distinguer… Si le graffiti se faisait au pinceau, je n’en aurai pas fait car c’est moins fun. Une bombe, c’est beaucoup plus pratique, tout part de l’objet, c’est plus attirant.
Qu’est-ce qui t’a permis de prendre conscience que l’on pouvait réaliser des formes ?
N. : C’est le graffiti new-yorkais. Ma mère m’a acheté Subway art et je me suis dit : « si ça c’est fait à la bombe, j’ai envie de faire pareil ! » En France, on n’a rien inventé, on s’est juste inspiré… J’ai commencé à l’âge de treize ans. C’était hyper amusant et génial ! La bombe, c’est facile à utiliser. C’est ludique et ça attire les gamins. Quand j’étais animateur, les gamins n’avaient pas forcément envie de peindre mais plutôt de jouer avec les bombes.
Tu ne ressemblais pas au stéréotype du tagueur tel que la police pouvait l’imaginer à cette époque. Pour le coup, tu passais souvent inaperçu. Est-ce que cela t’a servi ?
N. : ça m’a surtout servi quand je passais en procès… C’est vrai qu’un blond aux yeux bleus, ça attire moins le regard qu’un mec de banlieue avec une casquette. C’est surtout par rapport aux flics, sinon ça ne m’a pas aidé pour avoir du talent.
J’entends bien… En même temps, j’imagine que cela t’a obligé à t’affirmer d’avantage dans ce milieu.
N. : En effet, c’est un milieu assez primaire qui joue sur l’attitude et les apparences. Des mecs s’imaginaient que j’habitais dans le XVIe, que j’étais riche car blond aux yeux bleus et bien sûr pas une racaille. Ils pensaient que j’étais privilégié, c’est sûr que ça n’aide pas. Mais bon, c’est vrai que ça n’a pas été facile, aujourd’hui encore je ressens cette distance par rapport à des gens qui n’ont pas évolué, même en grandissant : c’est un milieu assez décevant ! Je trouve triste qu’aujourd’hui ça existe encore.
Tu dois t’en souvenir, on avait passé pas mal de temps tous les deux dans le métro à attendre que tes métros peints sortent, pour les prendre en photo. Il y avait une certaine jubilation de notre part… As-tu ressenti la même chose plus tard en peignant sur d’autres supports, ou est-ce un moment unique dans ta vie ?
N. : Voir un métro qui passe c’est le truc le plus excitant, surtout quand tu es jeune et que tu sais que les autres vont le voir. Il ne faut pas se mentir, des mecs te disent qu’ils font ça pour eux mais je ne les crois pas. Tu fais ça parce que tu sais que ça va être vu et que tu as envie d’être vu, d’exister. Le truc paradoxal, c’est que tu as envie d’être connu mais tu restes dans l’ombre. Personne ne te reconnaît dans la rue, on connaît ton boulot, mais pas ta tête, c’est autre chose que d’être acteur. Le graffiti, tu cours après une célébrité que tu n’auras jamais, c’est ton boulot que l’on voit.
Assez tôt, tu as peint des lettres colorées, souples mais très affirmées. N’est-ce pas un trait de ta personnalité qui s’est retrouvé dans tes productions ?
N. : Oui… Même mon travail d’aujourd’hui reflète ma personnalité. Je suis quelqu’un de positif, je n’ai pas de démons en moi. Je n’utilise pas le graffiti pour dire que je suis mal dans ma peau comme d’autres. J’ai fait ça pour m’amuser…
Et tu t’es amusé jusqu’à quand ?
N. : Très honnêtement, aller peindre des métros ce n’était pas un plaisir. Quand j’étais dans un tunnel ou sur un métro, je ne pensais qu’à un truc : le moment où on allait se barrer. Tout ce que je voulais, c’était finir le plus vite possible. Te dire que je prenais mon pied quand je faisais mes contours ce serait mentir…
Le plaisir c’était peut-être de peindre sans se faire attraper ?
N. : Oui ! Tu as toujours la peur de te faire prendre ou de rater. Le nombre de fois où je m’en suis voulu… (Rires)…
Est-ce que ton plus beau métro a circulé ?
N. : Je ne sais pas… J’en ai réalisé de beaux et je suis content de les avoir vus rouler. Une fois, avec Slice sur la ligne 2, on avait peint des métros et on s’était bien appliqués. Hélas, ils ne sont jamais sortis. On avait mis du temps… Finalement, peut-être que c’est ceux-là et encore… Une fois dehors, on aurait pu avoir une surprise. Contrairement aux mecs de New York, quand on peignait des couleurs on ne voyait rien, tout se faisait au hasard. J’ai l’impression que le graffiti parisien était très différent du new-yorkais car c’était en intérieur alors que là-bas c’était à l’extérieur, ils avaient du recul, c’était en plein jour et parfois ils restaient deux jours dans un dépôt. Honnêtement, je n’ai jamais passé plus de deux heures à faire un métro, jamais ! Même quand je faisais des whole-cars en banlieue, ça durait au maximum trois heures. Je n’ai pas de souvenirs où c’était la fête. C’est pour ça que je me suis toujours senti inférieur par rapport aux new-yorkais, tout en me disant qu’on les avait surpassés ; en même temps on n’avait pas de temps comme eux ni les mêmes conditions. C’était impossible de faire comme eux !
Te rappelles-tu de ton premier métro ?
N. : C’était en 1990 avec Orbe sur la ligne 6, c’était une pièce dorée avec des contours rouges. C’était à l’époque où l’on peignait à l’éponge, on se croisait tous… On s’est retrouvé tous les deux, j’avais des bombes et ce n’était pas prévu.
Tu as beaucoup utilisé l’éponge pour taguer. Tu peux nous en dire plus ?
N. : L’éponge, c’était génial ! Franchement, c’était une boucherie, c’était dégueulasse ! Le métro ressortait, il était retourné… (Rires)… On devait porter des gants mappa, les gants de ménage rouge. On arrivait avec des litres de Corio et on voulait que le métro soit à nous entièrement. On ne laissait aucune place… L’éponge, ce n’est pas mon idée… À la fin, on jetait les bouteilles d’encre sur le métro, c’était dégueulasse ! Le bordel !
Est-ce que le boulot de Keag te parle un peu ?
N. : Le boulot de Keag c’est du « dégueuli » artistique, je ne suis pas très sensible à ça et les trucs que j’ai fait à l’éponge, je n’en suis pas très fier non plus. Moi, j’aime les choses propres mais, à l’époque, utiliser n’éponge c’était une manière de s’approprier le métro et, d’ailleurs, je n’ai jamais fait un beau tag avec. C’était sale pour moi, mais ça avait de l’impact : ce que tu gagnais d’un côté tu le perdais de l’autre !
Est-ce que l’urgence dans laquelle tu étais amené à peindre sur des trains a eu une incidence sur ta manière de peindre des lettrages ?
N. : En fait, je cherchais un moyen de faire le maximum avec un minimum de temps. Je préparais mon matos en fonction de l’endroit et de l’urgence. On ramenait un maximum de matériel : on commençait à l’éponge pour finir avec un silver.
Comment as-tu basculédu tag à la calligraphie ?
N. : Je me suis toujours intéressé à l’écriture et, en 1992, j’ai pris des cours de calligraphie. Ce sont deux choses différentes et cela ne m’a pas traversé l’esprit de me dire que j’allais faire ça dans la rue. J’étais amoureux de la typo et ça me plaisait. Je ne m’en suis jamais servi et c’est bien plus tard, en voyant que Shoe en avait fait une discipline, le calligraffiti, que je me suis dit : « Pourquoi n’y ai-je pas pensé avant… ?! » Jamais je ne m’étais dit qu’il fallait mélanger le tag et le graffiti.
Donc tes pages de tags, ce n’était pas de la calligraphie ?
N. : Non ! Je suis admiratif du travail de Shoe. Pour moi, c’est un très grand calligraphe et un des pionniers du graffiti en Europe, le Bando Hollandais.
Et maintenant, lorsque tu fais de la calligraphie, as-tu des gestes de tagueur ?
N. : Oui, évidemment ! Tout est lié, je mélange des trucs… Je réalise des fonds un peu trashs avec des coulures et par-dessus de la calligraphie. Ma grande frustration, c’est que Shoe a tellement monopolisé la calligraphie urbaine que dès que je montre mon boulot on fait référence à Shoe, ce qui est complètement légitime. Je n’ai pas envie que l’on imagine que j’en fais parce qu’il l’aurait banalisée dans le monde du graffiti. Pour le coup, je bosse ça surtout pour moi. Il s’est complètement séparé du graffiti, il peint au pinceau… C’est de la calligraphie corporelle, il utilise sa main, son corps… Je suis admiratif !
Revenons à tes débuts… À quel moment t’es-tu dit que ce tu peignais était de l’art ?
N. : Comme j’étais d’une autre génération, il y avait déjà des mecs qui étaient passés à la toile. J’étais admiratif des BBC qui avaient exposé chez Agnès B. Ce sont des opportunités et des gens qui m’ont poussé vers ça. Je n’avais pas cette prétention, j’étais entouré de mecs tellement bons que je ne pensais pas être au niveau… J’étais gêné, à la limite, que l’on me propose d’exposer. Durant l’expo Paris Graffiti rue Chapon, on avait exposé une palissade taguée… Il ne faut pas oublier qu’il y avait aussi les Américains qui exposaient à Paris, comme Aone, Futura 2000… Je me demandais ce que je faisais là mais bon, j’ai pris ça comme une opportunité. Aujourd’hui, je peins avec passion… Mais pour en revenir à ta question : j’ai ressenti que ce je peignais était de l’art lorsque des personnes ont voulu m’exposer. Je ne suis pas un génie et je me suis demandé ce que je devais faire pour me distinguer. Ayant fait mes preuves dans la rue, je me suis dit : « distingue-toi avec ton support mais pas avec ce que tu fais ». Je me suis toujours comparé à mes aînés, ce qui me filait pas mal de complexes parce qu’ils avaient déjà tout fait. Même aujourd’hui, lorsque tu lis Subway art, tout est dedans ! Les mecs avaient déjà tout fait, c’est pour ça que j’ai commencé à peindre sur des plans de métro, des plaques et aujourd’hui sur de la céramique… Justement, c’est une idée ! Ma démarche est artistique dans la mesure où je prends un élément de la rue que je vais modifier. Avec la céramique, je me retrouve à peindre un support qui possède un format que l’on ne retrouve pas dans les toiles : c’est nouveau.
Est-ce qu’il y a un lien avec ton boulot avec les Legos ?
N. : Oui… En fait, je voulais me distinguer par les idées. Souvent, l’art c’est des idées. Ce qui m’intéresse, c’est l’explication qui accompagne une œuvre ou une démarche artistique. Dans l’art contemporain, l’œuvre est parfois difficile à comprendre mais avec son explication on rentre dedans et c’est une chose que j’aime. Je suis plus admiratif de ça qu’un mec qui fait de l’hyper-réalisme, qui sait dessiner… Refaire du Michel-Ange, ça n’a pas d’intérêt car ça déjà été fait. Je privilégie le fond à la forme.
Pour le coup, la peinture classique ne semble pas être une source d’inspiration…
N. : En effet, elle est figurative et c’est quelque chose que je ne sais pas faire. Du moins, je suis intéressé par la peinture mais par simple curiosité. Pour la couleur, je suis limité à palette des bombes. Je suis assez intuitif, j’en sortirai peut-être un jour.
Tes couleurs sont plutôt chaudes, tu n’étais pas non plus un énervé du chrome… Cet univers qui est joyeux et coloré représente-t-il ta personnalité ?
N. : J’ai une vision positive de la vie ! Je ne suis pas quelqu’un de privilégié, tout ce que je possède, je le dois à mon travail. On ne m’a jamais aidé, je suis allé à la fac… J’ai un parcours classique. J’ai toujours mangé à ma faim et je suis en bonne santé donc je n’ai aucune raison d’en vouloir à la vie. Plein de gens se plaignent et se cachent derrière quelque chose… Je n’ai jamais été attiré par l’attitude racaille, je trouve que cela ne mène à rien et que c’est ridicule. Je pouvais le pardonner lorsqu’on était jeunes, mais quand tu vois qu’adultes ils n’ont pas changé et qu’ils continuent à se plaindre, je préfère m’éloigner de ça.
Le graffiti t’a peut-être permis de sortir de la monotonie de la vie d’un ado ?
N. : Oui, c’est sûr…
Et à côté de cela tu apportais un vent de subversion…
N. : J’ai surtout vu plein de mecs qui avaient la chance d’être dans un mouvement où ils pouvaient s’exprimer et s’en sortir. Ils n’ont pas su s’en sortir et n’ont pris que les aspects négatifs. Honnêtement, de tous les mecs que j’ai rencontrés, il y en avait peut-être cinq ou six qui étaient de véritables passionnés qui aimaient le graffiti et qui n’étaient pas là seulement pour se la péter et se taper des métros. Je n’ai pas fait du vandale pour exister ou casser du métro mais parce que c’était le rituel et je voulais être comme les mecs de New York. C’était ça le côté positif !
Es-tu allé à New York ?
N. : Jamais. Je n’avais pas de thunes et, pendant les vacances, je bossais au Mac Do. Il ne faut pas oublier que cette culture est arrivée avec des « bourges » qui l’ont apportée de là-bas parce qu’ils avaient la chance de pouvoir y aller… J’ai beaucoup de respect pour ces mecs car il fallait avoir du courage et de la curiosité pour apporter ce truc chez nous. Dealyt y est allé et il a adoré…Il a changé sa manière de peindre après. Tous les mecs qui sont allés dans cette ville m’ont dit que c’était génial. J’aurais peut-être dû y aller mais bon… J’ai toujours peint dans l’urgence, même maintenant quand je prépare une expo c’est le cas car je travaille à côté : je dois faire ça le week end, la nuit… C’est une contrainte et une force, mon boulot est dynamique et dégage une authenticité.
Est-ce que tu peins tous les jours ?
N. : Non… ça n’a pas changé car le graffiti est toujours présent mais d’une manière ponctuelle, comme lorsque j’étais à l’école où j’avais mes devoirs et le reste. C’est comme une échappatoire, la vie d’artiste aujourd’hui c’est horrible. Je ne voudrais pas me retrouver dans cette situation, c’est un travail solitaire et difficile. Par exemple, ce qui se passe aujourd’hui autour de ça, c’est peut-être un feu de paille. Je n’ai pas envie de tout lâcher pour ça… Un mec comme Speedy Graphito qui marchait bien dans les années 80 a connu une traversée du désert et c’est reparti dernièrement avec le graffiti lorsqu’il a repris le train en marche. Je n’ai pas cette prétention de vouloir être reconnu comme artiste par le public.
Ton passé et ta pratique du graffiti ont-ils une incidence sur ton métier ?
N. : Pas vraiment… Quand tu fais de la publicité, tout tourne autour des idées. Le seul point commun c’est que cela se retrouve dans la rue. C’est dans le métro, mais c’est très commercial et je ne travaille pas pour moi mais pour une marque. Il m’est arrivé d’intégrer le graffiti dans certaines pubs parce que je sais ce que c’est. Par exemple, dans une affiche de pub pour une marque de pub réalisée il y a dix ans, j’avais intégré du graffiti. L’idée était bien ! Aujourd’hui, c’est affolant de voir le nombre de marques qui s’en servent.
Lorsque tu peins sur du mobilier urbain pour tes expos, comment opères-tu ?
N. : Mon boulot commence dans le métro… J’appelle ça le prix de la sueur !
Comment es-tu passé du mur ou du métro à des formats plus petits depuis que tu exposes ?
N. : En fait, je n’ai vraiment jamais dessiné, je n’ai jamais fini un sketch. Cela se ressent, ce n’est jamais compliqué et quand c’est le cas, c’est de l’improvisation totale. Le dessin ne m’a jamais vraiment branch,é pas comme Dealyt qui a toujours gratté. J’ai surtout noirci des pages avec de la calligraphie.
As-tu envie d’explorer d’autres choses ?
N. : Je voudrais bien mais je n’ai pas le temps et en plus il me faudrait de l’argent. J’ai beaucoup d’idées ! Les gens n’imaginent pas que pour faire de l’art, il faut investir et que l’on ne peut pas faire ça avec des petits bouts de ficelle.
Quels sont les matériaux que tu as utilisés dernièrement ?
N. : Le plexiglas… C’est un vraiment un retour aux sources, au tag, car je bosse avec les outils de l’époque comme le Baranne. J’ai la sensation de bosser sur des métros, ça glisse. Je suis en train d’expérimenter des choses, on me connaît surtout pour les plans de métro, la céramique ou les panneaux de métro. Je suis en train de penser à après pour évoluer, mais les galeries me réclament toujours la même chose car les gens aiment ça. Je suis satisfait de la céramique et en plus cela plait aux gens. J’essaye souvent d’avoir un support original !
Est-ce que la céramique est une manière de retrouver les mêmes sensations que dans les stations de métro ?
N. : Oui ! J’essaye de faire des choses simples, je travaille sur les lettres rondes… Je dois faire un truc qui pourrait être peint dans le métro, sinon cela ne serait pas crédible par rapport au support. Ce sont en quelque sorte des extraits de ce que l’on peignait dans le métro et c’est pour ça que je n’utilise que des bombes, car les marqueurs ne marchaient pas bien dessus à l’époque, il y avait trop de relief. Donc je reste authentique comme ça !
Es-tu tenté de peindre sur du mobilier urbain plus gros ou sur des bus, métros découpés ou autre ?
N. : Oui, ce serait génial de peindre sur une porte de métro car cela aurait du sens avec ma démarche. Après, je ne sais pas si l’objet serait super ! Quand j’ai pris les plaques de métro, ça a donné plein d’idées à d’autres. Maintenant, des mecs peignent sur des têtes de Bus, du mobilier urbain, ils se disent que c’est porteur et vendeur…
Comment abordes-tu la customisation d’objets, comme les briquets ou les cannettes ?
N. : C’est une autre manière d’exister, d’avoir ton nom sur un autre support. Le graffiti, c’est ça : avoir son nom partout ! C’est comme un camion, d’autres gens le verront ainsi. C’est un travail de commande : c’est difficile d’imposer son point de vue à une marque, il faut jouer le jeu ou refuser. C’est à toi de t’adapter… C’est frustrant, mais c’est comme ça. D’autres ne voudront pas le faire mais pour préparer mes expos j’ai besoin de travailler avec des marques qui me payent pour financer mon matériel et les encadrements. Pour moi l’idée du graffiti, c’était de commencer dans la rue puis grandir : je suis fier de bosser pour eux, ce sont de grandes marques. J’ai fait du graffiti pour grandir, pas pour être un rebelle. Aujourd’hui, avec mes projets, je rencontre des gens nouveaux, ça me permet d’aller vers eux… Ils sont contents d’avoir une de mes œuvres et j’en suis fier. Je suis positif et l’inertie, ça ne sert à rien. Le graffiti nous a donné une chance à tous, mais certains ne s’en ont pas servi.
Est-ce que le fait d’avoir été au sein des AEC (Artistes en cavales) t’a permis de saisir cette chance de faire de nouvelles choses avec le graffiti ?
N. : Les AEC, c’étaient des mecs qui étaient tous positifs… Chacun avait ses qualités et ses trucs à côté. Être dans ce groupe, cela m’a beaucoup apporté et je pense que moi aussi je leur ai apporté beaucoup. Aujourd’hui, quand on voit nos parcours, on remarque qu’on a tous utilisé le graffiti pour grandir. On s’est pas mal aidés les uns les autres…
Tu posais aussi CP5, à l’époque…
N. : Oui, c’étaient des mecs avec qui je traînais… C’étaient surtout des tagueurs. Au départ, j’étais avec les mecs de Nation entre 1988 et 1990, je connaissais tout le monde avant de rentrer dans les AEC. J’allais là où tous les tagueurs se rendaient. J’ai traîné avec Dystur et les autres… Mais ce qui m’attirait, c’était le graffiti… Je me suis bien amusé avec eux, mais je savais que je n’irai pas plus loin. Je garde de bons souvenirs dans les rails avec les DSE et les CP5. Les mecs étaient super sympas, je les adorais, mais il y avait de la drogue, de l’alcool… Je devais choisir entre le graffiti ou m’éclater… J’étais plus focalisé sur le graffiti pour grandir. Je suis super content d’avoir côtoyé ces mecs qui étaient de grands tagueurs !
Te rappelles-tu de ton dernier métro ?
N. : Non, pas vraiment. Mon grand regret, c’est d’avoir fait plusieurs métros qui ne sont jamais sortis. J’ai arrêté d’en peindre vers 1996. On s’est fait pas mal arrêté avec les AEC. J’ai fait des gardes à vue très longues, 24 heures renouvelées, j’ai eu des amendes, de la prison avec sursis… Dernièrement je me suis fait arrêté, j’ai passé deux heures au poste et le flic était plus jeune que moi (Rires)… Aujourd’hui, ça s’est banalisé !
Qu’est-ce qui t’a poussé à arrêter le vandale ?
N. : Je sentais que j’avais fait mon temps… Ensuite, il y a eu d’autres générations et tu voyais que les gars étaient affamés. Avec un mec comme O’Clock, c’était industriel. Je n’avais plus d’énergie, j’avais fait mon truc et j’adorais peindre sur les métros. À un moment, tu arrêtes parce que c’est fatigant de se faire courser. Dernièrement, j’ai peint des trains en province, mais le graffiti vandale est très lié à mon adolescence. Je trouve que ça a plus de sens quand tu es jeune et j’ai toujours voulu faire les choses comme il faut, pour ne pas me les reprocher plus tard. Aujourd’hui, on me critique parce que je suis en galerie, mais je n’ai rien à prouver. Il y a pas mal d’imposteurs, des mecs qui se revendiquent de la rue et qui se réveillent. Pour exister dans les galeries ou l’art urbain, tu n’es pas obligé de dire que tu as fait du graffiti. J’ai un grand regret : c’est un gars comme Epson des TKS qui était en avance à l’époque et qui aurait pu devenir un grand artiste mais il a choisi une autre voie. Dommage ! Il mériterait qu’on l’expose mais il ne la ramène pas alors qu’il pourrait… Et aujourd’hui on voit des mecs qui vont faire trois tags sur une toile, un plan de métro et une plaque… Ça marche une fois, mais ils ne savent pas qu’il faut éduquer les gens d’abord… Je vends des œuvres à des personnes qui ne connaissent pas forcément mon passé dans le métro et dans la rue. Cela ne les intéresse pas toujours et ils achètent parce qu’ils aiment avant tout. C’est comme ça !
Tu traînais beaucoup avec des tagueurs…
N. : C’est vrai, j’étais souvent avec des Vandales parce qu’il y avait surtout ça dans la seconde génération. La plupart étaient avant tout des tagueurs tandis que dans la première, ils étaient plus « artistes », comme Jay et compagnie qui ne taguaient quasiment pas, à part les TCG… Ceux de ma génération ne s’intéressaient pas forcément au graffiti : ils étaient là pour écrire leur nom, tout « niquer », c’était une autre démarche. En voyant les AEC, je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! »…
Un métro d’Azyle, est-ce que cela te parle ?
N. : Oui, bien sûr… On était sur la même ligne, mais je ne l’ai jamais rencontré. Ce qui était bien chez lui, c’est qu’il y avait une idée derrière, de l’écriture et il s’appliquait.
Quel est ton meilleur souvenir ?
N. : Mes bons souvenirs, ce sont les terrains vagues et peindre des murs avec les potes, pour rigoler… Marcher sur les rails, faire les voies de banlieue… Mon grand regret, c’est de ne pas avoir traîné avec des mecs comme Bando ou qui ont peint avant moi, car je me sens plus proche des anciens que de ceux de ma génération.
La finalité du graffiti, c’est surtout de mettre en avant son blaze…
N. : Oui… C’est vrai, même si un mec comme André a médiatisé sa personne. Il est beaucoup critiqué mais il demeure un tagueur respectable qui a tout fait. On lui a collé l’étiquette du petit minet qui taguait en scooter mais peu importe, ce qui compte c’est le résultat. Ce qui m’a toujours déçu dans ce milieu, c’est qu’on juge les gens sur leur physique. Je trouve ça pathétique ! André a « niqué » Paris plus que beaucoup de personnes qui l’ont critiqué. Il a peint des trains, des tunnels, il a massacré Paris, l’Europe… Comment peut-on lui reprocher d’être ce qu’il est aujourd’hui ?
C’est peut-être à cause du reportage où on le voit avec sa copine en scooter…
N. : Oui ! Et en plus, je ne suis pas sûr qu’il voulait donner cette image dans ce reportage. Ça a été dramatique pour lui… En fait, tu te rends compte que c’est uniquement une poignée de personnes qui te critiquent en comparaison avec le public nombreux qui aime ton boulot. Quand tu t’exposes dans la rue, c’est un des risques et il faut l’accepter… Ce qui est triste, c’est que les mecs n’ont pas changé. À l’époque, ils étaient jeunes, mais aujourd’hui il y en a qui sont encore bloqués là-dessus.
Il me semble que tu aimais fréquenter les endroits où il y avait du graffiti pour y voir des mecs peindre…
N. : C’est vrai, j’adorais prendre des photos et voir des graffeurs peindre… J’ai vu Bobo à la Muette ou encore Epson. En fait, les bons souvenirs, c’était ça ! Avec l’arrivée d’Internet, tout se passe chez toi et tu ne bouges plus alors qu’à l’époque ce qui était fantastique c’est que tu devais aller chercher les graffitis, les voir en vrai. Par exemple, au terrain Garibaldi, j’étais fou devant les graffs de San… Parfois, tu rencontrais des mecs, ça pouvait être dangereux à cause de la « dépouille », tu assistais à des embrouilles. Voir la Force Alpha en train de peindre quand tu as 14 ans, c’est un truc de fou. La rencontre aujourd’hui est différente, je suis en contact avec des Américains ou des Danois, mais je ne les ai jamais vus. On est potes sur Internet ! C’est dommage, il y a une saturation, on est vite dépassé… Les mecs aujourd’hui viennent d’une autre culture et ils ne savent plus comment c’était avant. Nous avions un point commun, c’était le rap, l’adrénaline et l’aventure urbaine.
Quels sont les terrains qui t’ont le plus marqué ?
N. : Mabillon quand j’étais très jeune parce que c’était en plein cœur de Paris, il y avait du lourd avec la Force Alpha… La Muette qui était un lieu mythique, Garibaldi, Stalingrad et Mouton-Duvernet… En fait, tu es lié à ton environnement, c’est pour ça que j’allais plus dans le Sud. Les murs peints par Mode 2 et Colt vers Choisy ou Saint-Denis, c’est des purs souvenirs !
Quel est l’endroit où tu aurais voulu peindre ?
N. : L’intérieur de Stalingrad ! En 1990, j’y ai peint le matin avec Veas, mais à l’extérieur pendant un an.
As-tu un regret ?
N. : Mon grand regret, c’est de ne pas avoir eu la grande idée, un peu comme André avec sa tête ou Invaders avec la céramique. Finalement, je suis resté un tagueur dans la masse ; j’ai réussi à me distinguer de la masse des tagueurs, voilà tout ! Je trouve que c’est les idées qui priment, je ne suis pas un artiste contemporain. Pourquoi évoluer ? Il y a tellement de choses à faire dans le graffiti, éduquer les gens… Pourquoi faire de l’abstraction sur une toile alors que ce que je veux c’est faire aimer le graffiti aux gens. Et tant pis pour les critiques… Je trouve ça dommage qu’en galeries, il n’y ait pas assez de graffiti. On dit souvent que c’est mieux dans la rue mais cela n’empêche pas de l’avoir sur toile aussi. L’un n’empêche pas l’autre… Cette opposition est difficile à comprendre.
