William Blake and Co. / Art § Arts Edit. 2023. 203 pages.
« Le vrai sujet des humanités, c’est le chemin d’intelligence, avec la modestie qui l’accompagne-tout savoir est révisable. »
« Traverser la tradition, c’est chercher des méthodes pour inventer sa propre méthode : sa méthode de travail, d’enquête, mais surtout sa méthode de vie. »
Grau Donatien, philologue. 2021. « Les humanités, ce cheminement inlassable. Comment être humain ? L’étude est une possibilité, mais il faut en retrouver l’essence ». Forum philo Le Monde. Le Mans. Vendredi 29 octobre.
En exergue donc, ces citations qui illustrent, à juste titre, et à mon humble avis, ton ouvrage que je viens de lire avec toute l’attention requise par la néophyte que je suis dans le domaine de l’anthropologie. J’ai découvert cette discipline en tant qu’ « ordinaire » via les ouvrages d’Eric Chauvier, qui m’a alors permis d’entrer en apprentissage dans votre domaine. Et voilà que grâce à ton ouvrage, je prends connaissance de son historique de « situations » qui y a mené ou du moins l’a favorisé.
Ces savoirs, tes savoirs, rassemblés sur des décennies, m’ont permis d’avoir accès aux grands noms qui sont liés à l’évolution de la discipline et je vois dés lors Sartre sous un jour, bien nouveau pour moi, d’autant plus que mes lectures de ses œuvres sont, je dois l’avouer, déjà bien lointaines. Les mises en rapport de la philosophie, de l’anthropologie et de la littérature sont des plus instructives. Exemple concernant Sartre : « …la description de situations concrètes selon les normes du réalisme littéraire… » p.53 ; Leiris « Je crois qu’il y aurait moyen de faire un livre étonnant qui, tout en restant scientifique, pourrait être édité d’une manière littéraire. » P.54. On y est. Mais en prenant garde à la fiction selon la définition de Certeau : « La fiction est ce que l’historiographie institue comme erroné » p. 92. Et la poétique pouvant influer sur le statut du texte. La tâche : passer par une multiplicité de filtres entre les paroles, source de première main de l’enquête et leur traductibilité à l’écrit .Le rôle magistral est accordé au lecteur qui, au fait du déroulé de l’enquête, échafaudera à sa manière, ses conclusions. L’humilité du sachant, se plaçant au même niveau que son lecteur à qui on attribue toute latitude d’appréciation, lui octroyant une totale liberté de pensée, de raisonnement.
Le lecteur devient alors le récepteur qui, placé dans la situation du juge, s’approchera de la meilleure crédibilité possible, à défaut de se valoir d’une vérité absolue (p.120). Le scientifique se place-t-il alors comme enquêteur/greffier qui répertorie tous les éléments de l’enquête, laissant au juge /lecteur l’appréciation des preuves fournies ? Les seules preuves parfaites étant écrites, selon le système juridique, comme par exemple les documents certifiés d’époque pour les historiens qui devront par ailleurs toujours en vérifier la véracité. Ou alors, sommes-nous dans le cadre des modes de preuve libres, termes juridiques tels les témoignages, des paroles, des comportements, des photos, des présomptions judiciaires, appelées autrefois « présomption du fait de l’homme » ? Vérité, preuves, à l’appréciation des éléments de l’enquête proposée, sachant que les « anomalies » laissent peu de place à leur confirmation. L’anthropologie ordinaire et /ou de situations, ne nous indiquent-elles pas que l’expérience de terrain, à hauteur d’hommes, ne pourra toujours prouver qu’une chose : c’est que le monde social n’a pas d’ADN, et que toute preuve ne sera que relative, confirmant par là la mission impossible accordée au concept de preuves. Il ne peut y avoir que des faisceaux d’indices concordants qui mènent à la tentation de la construction du « mouvement d’enrichissement totalisateur » au nom de la raison didactique sartrienne (p.130-131), malgré le « Be your size, small men ». Et par ailleurs, si l’on ne conteste plus le droit aux affects des chercheurs à l’heure actuelle, sachant qu’ils ne sont pas de purs esprits, est-il possible d’envisager qu’ils puissent réellement avoir l’impartialité totale et se séparer de leur idéologie dans leurs travaux, même si en apparence on maintient la frontière ? (p.130) Et n’est-ce pas là demander l’impossible ? De plus, la tendance naturelle de la pensée humaine n’est-elle pas de vouloir globaliser pour faire sens avec pour conséquences de moduler le monde selon ses systèmes de pensées, philosophiques, religieux, politiques, économiques, au profit ou au dépens de l’humanité, bref, construire les grands récits sur lesquels nous avons avancé bon an mal an depuis les mythes fondateurs et notre capacité via le langage à les construire à l’oral, puis à l’écrit ?
Finalement cette lecture m’a permis de mieux comprendre les arguments que tu développais dans le CR de mon travail de réflexion : « L’homo narrans et les variables de ses récits » (https://santesih.edu.umontpellier.fr/comptes-rendus-douvrages/) et de mieux appréhender le « d’où tu parlais » ! Je conçois totalement l’intérêt de l’approche de la première main, telle que préconisée par l’anthropologie ordinaire ou de situations, dans un souci d’être au plus près de la réalité sociale que l’on essaie d’appréhender à défaut de pouvoir prétendre la comprendre dans toutes ses dimensions. Mais cet absolu de la preuve, ne serait-il pas celui d’une anthropologie thétique ? Etudier un corpus de textes, ne deviendrait alors qu’une étude de seconde main, de l’occasion à bon compte ?? Notre humanité est fondée sur ses narratifs, depuis les graphes paléolithiques, les mythes, les légendes, les grands récits religieux, politiques, pour le meilleur et souvent pour le pire, mais aussi sur ses amples souffles littéraires porteurs de beauté. Le langage est le lien qui nous unit, et l’écriture nous permet d’échanger avec les narrataires futurs. Nos paroles nous inscrivent dans le présent, objets de toutes les attentions d’une enquête de terrain social. Mais l’étude d’un corpus de textes, toutes disciplines confondues, permet de mettre en valeur la variabilité des discours et leur portée dans notre société. C’était le projet ambitieux que j’ai essayé d’aborder dans mon essai, avec toutes ses imperfections, « Be your size, small woman » !!!
Danielle Pascal-Casas.
