Pour prolonger la question posée dans un article publié en 2023 dans le numéro 5 de la revue Atantica, nouvelle formule : La multiplication des blogs a-t-elle renouvelé l’exercice de la critique d’art dans la Caraïbe ? pourquoi ne pas pousser le curseur un peu plus loin et analyser l’impact des réseaux sociaux sur la critique d’art ?
Il avait été alors déjà acté que la multiplication des blogs et sites spécialisés offrait une accessibilité accrue et gratuite à une documentation artistique à un public élargi. Ce phénomène avait été déterminant dans la Caraïbe, doublement handicapée par la fragmentation géographique et linguistique et par une presse régionale souvent médiocre où peu de place est accordée à la critique d’art, et ce particulièrement dans les Départements français des Amériques.
Quel est l’impact des réseaux sociaux, ces nouveaux acteurs critiques sur la vie artistique de la Caraïbe ? Quels sont les atouts de ce qu’il est convenu de désigner comme la critique de réseau ? Quelles sont ses particularités ? Renouvelle – t- elle le genre et en quoi ?
Les blogs, appréciés en premier lieu pour l’autonomie éditoriale qu’ils apportent, comblent un créneau négligé par les médias traditionnels, luttent contre la fragmentation géographique et linguistique de l’archipel caraïbe, accroissent la visibilité des artistes, favorisent l’émergence de nouvelles formes critiques par une offre gratuite et facilement accessible entre immédiateté de l’actualité et constitution d’archives pour l’avenir.
Mais qu’en est- il des réseaux sociaux, et pour prendre un exemple précis, est – il possible et pertinent de développer la critique d’art sur instagram ?
Extrait du documentaire Diagnostic critique ( Dominique Brebion, Christophe Adélaïde, Gaël Dufief)
Avec successivement Audrey Phibel, Conseiller pour les arts plastiques Dac Martinique, Florent Plasse Fondation Clément, Valérie John plasticienne, Henri Tauliaut plasticien, Jean- Marc Bullet designer, Julie Bessard plasticienne, Agnès Brézéphin plasticienne.
A voir en totalité sur Youtube
https://youtu.be/elWCARlyuXQ?si=zsBmDVOYiI8xY2me
Parmi les publications sur la santé, le sport, la gastronomie, l’éducation, le yoga, l’humour, la littérature, le bien être, il existe bien quelques posts sur l’art. En quoi consiste leur singularité, en quoi diffère- t – il de la critique des journaux et des revues ?
Les différences se situent au niveau du support, du format, du ton, de la relation du texte et de l’image, du positionnement de l’auteur.
Le support n’est plus ni un livre, ni un catalogue, ni une revue. Cela peut-être un Iphone ou un Samsung et offre donc une large liberté de consultation, n’importe où, n’importe quand, dans le métro, le tram, le bus, dans une salle d’attente, dès que l‘on dispose d’un temps mort.
Le format est court et surtout structuré en modules successifs. Peut- on comparer chaque slide à un paragraphe ? De plus, le nombre imposé de 2200 caractères en commentaire impose la concision.
L’imbrication étroite, la superposition de l’image et du texte, entre BD et dessin animé, est- elle un atout ? Cette mise en page particulière apporte-t-elle un plus par rapport à un article illustré d’une revue ? La compartimentation du texte liée à la mise en image souligne sa structure, l’argumentaire et facilite sa compréhension et même sa mémorisation. Mais la complémentarité ou même parfois la redondance entre l’écrit, l’image, le son est – elle toujours bénéfique ?
Le ton, le plus souvent ludique, humoristique correspond à une stratégie de l’humour comme outil de médiation. On peut même parler d’un style instagram soutenu par des emojis et des stickers animés, et sans doute, en filigrane, une quête du sensationnel parfois artificiel, qui donne la priorité à la phrase d’accroche ou au hook visuel.
Le plus notable cependant, c’est la particularisation du locuteur, l’étalement du soi, la touche personnelle. On se filme, on partage ses sentiments. On implique le lecteur. On l’entraîne dans une conversation faussement intime et privilégiée.
Dans le même temps, d’une certaine manière c’est un travail plus exigeant car le flux infini d’informations, le scroll perpétuel imposent de maîtriser la science de capter, de débusquer, de retenir l’intérêt. La posture de celui qui choisit un article pour une raison ou une autre, son auteur, son sujet, son support diffère de la condition de l’inépuisable explorateur du net qui tombe par hasard sur un post qui retient son attention. On perd sans doute en profondeur et en nuances.
Pour avoir tenté de vivre la critique d’art à travers instagram et de m’efforcer de comprendre le fonctionnement de l’intérieur, je sais que les étapes de la conception d’un post sont nombreuses et chronophages.
Il y a le temps de la documentation et de l’analyse, qui reste le même pour une critique écrite et une crique de réseau. C’est au niveau de la hiérarchisation et de la rédaction des informations que tout se joue. Il y a une exigence de concision, de progression de la démonstration, d’adéquation de l’image et du texte au détriment du détail, de la nuance, de la profondeur d’analyse. Même si cette dernière est juste, le fonctionnement du support la condamne à rester superficielle. Certains diront de ce minimum d’information : « C’est déjà ça ! »
Un pourcentage, même infime, sera- t – il incité à approfondir par la lecture d’un article une découverte faite au détour d’un réseau social ? Instagram peut- il être une porte ouverte vers une critique plus sérieuse ?
A chaque public, sa critique. Mais instagram exige de l’émetteur-critique une spécialisation particulière, une maîtrise du fonctionnement des réseaux sociaux, une sensibilité au design et au graphisme. L’effort se concentre sur la forme du message, attractif et dynamique, pour une diffusion plus efficace. Chacun, auteur ou lecteur, choisira en fonction de son tempérament ou de son humeur. N’hésitez pas à partager vos options et préférences en commentaire, en vidéo ou podcast.
Dominique Brebion
