Raciste ?
Il est hors de lui. N’ayant pas assisté au début de la scène, je n’y accède que par ses paroles. Il reproche à l’étalier de lui avoir mal parlé en raison de la couleur de sa peau. Celui-ci semble embarrassé, mais presque plus par la forme – un tel esclandre n’est pas bon pour le commerce – que par le fond. Mais peut-être n’est-ce que mon interprétation – je n’ai rien entendu – motivée par une posture politique, qui m’incline à croire le client offusqué, qui s’interrompt brièvement, alors que nos regards se croisent. Cherche-t-il un appui, un encouragement ? Je ne sais ce qu’il lit dans mon attitude, j’écoute juste, ni ce qu’il y trouve, toujours est-il qu’il insiste avec véhémence.
Sa résistance et son désir de ne pas laisser passer me semblent courageux et bienvenus et la force de sa colère donne à penser qu’elle est légitime. J’y vois aussi un rapport de classe, un pauvre aurait-il osé se rebeller de la sorte ? L’autre se défend mollement : « C’est le marché, monsieur ! » Par-là, il se réfère sans doute à un parler populaire, une gouaille propre au marché et peut-être y a-t-il eu effectivement méprise mais le client mécontent n’accepte par l’argument. Autre donnée d’arrière-plan, en tant que femme blanche, quinquagénaire, même débraillée, tous les étaliers s’adressent fort poliment à moi.
Le client courroucé s’en va et celui qui s’occupe de mes légumes et s’est interrompu pour suivre l’échange, sans y prendre part, souffle, dodeline de la tête, me regarde et dit du client, d’un air désolé et convaincu :
- Un raciste !
Colette Milhé
