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Interview de Moze ODC

Publié le 20 mai 2025 par Paristonkar @ParisTonkar

En 1984, Moze fait du patin à roulettes boulevard de La chapelle à Paris quand il tombe sur un terrain vague. Des jeunes y peignent à la bombe sur les murs : c’est une révélation ! Plus tard, pour choisir son pseudo, il se fait aider par des anciens comme Muck, Osé ou encore Eros. Il s’adonne au tag en solitaire sur la fameuse ligne 13 du métro puis rencontre Work et Master avec qui il fonde son premier crew : les TTR (Tagueurs du Trocadéro Roulettes)… Puis les TMV (The Mysterious Vandal) et enfin les FAC (Fresh Artists crew). La rencontre avec Veak de Maisons-Alfort, membre des TSG (The South Gang), va certainement changer sa vie. Tous les deux vont créer les ODC (Obsédés Du Cul), un crew incontournable dans les années 80-90…

« Au moment de l’émission « H-I-P-H-O-P » animée par Sidney à la télé ! Je crois qu’on était pas mal à smurfer devant la télé, à se casser le dos sur un bout de lino dans la cage d’escalier. »

Interview MozeMoze © Mat Jacob

« C‘est un nommé Squat que je voyais en cours griffonner des cahiers entiers jusqu’à ce qu’il trouve son lettrage parfait. Au bahut rue des Martyrs – tu parles d’un nom de rue ! C’était dans le IXe à Paris, en classe de 4e puis de 3e dans les années 1983 à 1985. (…) Oui, je peux dire que Squat, relié à Muck, m’ont bien influencé pour le tag. »

As-tu rencontré les autres CTK à cette époque ?

M : À part Muck et Squat, non.

Comment s’est passée votre première rencontre ?

M : Tout naturellement, comme dans toutes salles de classe ! J’étais à trois rangs de lui et quand tu vois un gars qui ne cesse de griffonner son cahier avec des espèces de signatures et qu’en fait, tu t’aperçois que ce sont les mêmes genres de cigles sur les murs de ton quartier, tu fais vite le rapprochement. Moi qui étais attiré par ce délire d’écrire sur les murs, ça tombait bien ! Mais la toute première fois qu’on s’est côtoyé, je ne sais pas s’il faut le dire, c’était autour d’un pétard (rires)

As-tu posé avec lui ? Où et quand ?

M : À cette époque, hélas, je ne pouvais pas trop sortir le soir et il restait à très discret sur son activité de taggueur : il bougeait avec Solo et Sign. J’ai tagué avec lui et je vais être très précis : c’était le mardi 19 mai 1987, vers 22 heures 30 ! Juste après le concert de Run-D.M.C. : il a été le premier à taguer sur le bus comme si c’était le top départ. Oui, j’ai tagué avec lui ! Enfin, on a été pas mal à taguer sur le bus des Run-D.M.C. ce jour-là ! À courir, aussi…

En quoi t’a-t-il influencé ?

M :  Probablement sa façon d’être discret et cartonneur à la fois.

Est-ce que ta rencontre avec Muck a été importante et pourquoi ?

M : Oui, c’était comme un grand frère protecteur ! À cette époque, le mouv’, ce n’était pas le monde de Mickey. Il ne faut pas croire, au début, ce n’était pas « peace and love » ! Tu ne rentrais pas dans le hip-hop comme ça ! Surtout au temps du terrain de La Chapelle : il y avait déjà les anciens pour qui c’était devenu un QG avec les TCG qui veillaient pendant que les BBC peignaient. C’est aussi Abdel (Muck) qui m’a amené avec lui dans une des premières Zulu Parties, où il a fallu aider Daniel (Dee Nasty) à passer le groupe électrogène de l’autre côté du mur du terrain.

Revenons à cette fameuse époque du Trocadéro où tu as rencontré Muck et Work. Comment cela s’est-il produit ?

M : J’ai d’abord connu Work, puis Muck. J’ai rencontré Work qui était de Montparnasse ainsi que son meilleur pote, Master, qui lui était de La Fourche dans le XVIIIe. Le roller nous réunissait tous les week-ends au Troca puis on enchaînait avec la Main Jaune où l’on retrouvait bien souvent Muck, Michou, Virginie Sullé aka Lady V (R.I.P.) et bien d’autres… Tous s’entraînaient au break sur la piste de danse mais aussi aux tags dans la grotte de La Main où on avait improvisé un atelier « guetas » afin de perfectionner nos signatures (rires)

Interview Moze

Qu’est-ce qui t’a poussé à taguer avec eux ?

M : Surtout avec Work ! C’était l’époque ou le phénomène prenait de l’ampleur ! Tu avais déjà quelques groupes de formés… Je me souviens, on appelait ça un Posse ! Donc du coup, naturellement avec Work, on s’est inventés un crew : les TTR (les Tagueurs du Trocadéro à Roulettes)… Tu parles d’un truc (rires) : ça n’a pas duré longtemps ! Muck était mort de rire, alors on s’est américanisés et on a créé les FAC (Fresh Artistes Crew) avec Work, Master… Puis, en 1987, avec Veak, on a monté les ODC.

Qu’est-ce que tu peux nous dire sur Muck ?

M : Abdel est un gars d’une extrême gentillesse, avec qui j’ai passé pas mal d’après-midi à Ticaret : c’est avec lui que j’ai rencontré bon nombre de gars du mouv’ de l’époque tels que Osé (Skeed), Eros, Mode 2, les TCG, Echo… Il m’a aussi appris à manier le « vandaliser » et la fameuse torche. Muck était aussi un sacré danseur de Break.

Et sur Work ?

M : Te parler de Work, il faudrait faire un livre ! C’est mon frère de tag et des 400 coups : on s’est rencontrés en 85 ou 86, je crois. Entre 1985 et 1994, malgré quelques interruptions (femmes…), on n’a pas arrêté d’être ensemble : les concerts de rap, le Globo du vendredi soir et les soirées « guetas »… C’est surtout durant les années 1987/88, quand j’étais à l’armée, qu’avec Work on s’est acharnés sur le métro, pratiquement tous les week-ends où j’étais en permission. On était ensemble le vendredi soir : il venait me chercher à la gare puis on partait s’équiper chez lui et c’était parti pour la soirée sur la ligne 13, avant d’aller faire un tour au Globo. Ensuite, j’ai quitté Paris en 1994 : mise en stand by par rapport à toute cette époque et bien sûr avec Work et les ODC. Depuis, malgré les différents parcours de chacun, on est toujours restés en contact. Il est comme un frère pour moi !

Que sont-ils devenus ?

M : Abdel, je l’ai revu par hasard en 1996 et, le plus drôle, c’était avec Work avec qui j’étais en vacances dans le sud-ouest à Anglet. Lui était sur la plage avec un ami. Il était gonflé à bloc déjà : il avait commencé la musculation intensive, c’était devenu comme Hulk, mais toujours le même, toujours la même simplicité et gentillesse. Sinon, Work n’habite plus à Paris, mais on reste en contact régulièrement.

Quelles sont tes références dans le graff à cette époque ?

M : Mode 2, Echo, Psy, Meo, Jon, Colt et les BBC.

Qui te donne envie de peindre ?

M : Je me suis mis à peindre tout seul, au début, dans ma cave puis dans les dépôts de la Sernam porte de La Chapelle, à l’abri des regards. C’était tellement à chier ! Après, ceux qui m’ont motivé à peindre (tout comme les autres ODC), ce sont les TCK et surtout Alp, car pour lui après le tag, fallait passer à la couleur. Il était revenu de Brooklyn avec la tête remplie d’inspiration. Avec lui et les TCK, on a peint quelques samedis à Créteil et dans le XIIIe, où l’on avait trouvé un petit terrain.

Est-ce que l’art ou la bande dessinée t’apportaient des idées pour ta peinture ?

M : Pas trop, à part quand on faisait des persos, influencés par Gotlib.

D’autres artistes qui t’ont influencé ?

M : Obligé d’être influencé quand ça débarque des USA. Il y a l’influence des bouquins « Subway Art » puis « Spraycan Art », parce que quoique l’on dise, on a tous été influencés par ces livres quand même. Avant de se pomper les uns les autres, tu fais du style Bando, du style Mode 2… Moi, mon influence c’était davantage le style de Psy, Meo ou encore Eros…

Au début, la musique et la peinture sont très liées. Que représente le Hip-Hop à tes yeux à cette époque ?

M : Oui, dès le début c’était lié : la musique, la danse, le rap, la peinture, ça faisait un tout. Et tout ça représentait à mes yeux un mouvement complet, dans le sens où tu pouvais t’exprimer à travers diverses disciplines, tout en restant dans le même délire. Que tu danses, que tu fasses du rap, que tu peignes ou que tu sois DJ, tu étais Hip-Hop. Ça m’a servi d’échappatoire. Maintenant, ce que cela représente ? Et bien, mine de rien, ce mouvement représente quatre, cinq voire six générations de danseurs, tagueurs, graffeurs, DJ’s et je peux dire que je suis fier aujourd’hui d’y avoir mis mon grain de sel et d’avoir fait partie des pionniers.

Tu te sentais proche de la Zulu Nation ?

M : Non pas vraiment ! Pour moi, c’était avant tout Afrika Bambaataa et sa devise « peace love and havin’ fun ! » et bien sûr Candy.

As-tu rencontré Queen Candy ou d’autres membres de la Zulu Nation ?

M : Une fois, j’ai croisé Candy, c’était à Beaubourg je crois, où il y avait des palissades autorisées pour peindre. Ce jour-là, elle avait fait un discours concernant les tagueurs vandales et qu’il fallait arrêter le tag qui dégradait l’image du mouvement zulu. T’as raison, ça était pire par la suite !

Quels sont les endroits où tu aurais voulu peindre dans les années 80-90 ?

M : Je pense que l’endroit où j’aurais voulu peindre aurait été le terrain de La Chapelle, entre les BBC, Mode 2, Darco… Oui, j’aurais bien voulu, mais, à cette époque, je n’en étais qu’au balbutiement du graffiti : je préférais rester assis dans le terrain à regarder comment ils peignaient.

Te rappelles-tu de ton premier dépôt de métro ?

M : Oui, c’était vers 1987, place Clichy, il me semble que l’on était rentrés par la station La Fourche : c’était avec Master et bien sûr Work !

Et du dernier ?

M : C’était soit à Créteil l’Echat, soit au Pont de Charenton sur la ligne 8… Je ne sais plus trop : à Créteil, j’étais seul un soir où aucun gars du groupe ne pouvait sortir. Et si c’était Charenton, j‘étais avec Rude, Jare, Neek et Saker.

Pourquoi avoir remonté le groupe ODC des années plus tard ?

M : Étant sorti du milieu graffiti parisien depuis quelques années, j’avais perdu bon nombre de contacts, y compris ceux des ODC. Puis un jour de 2009, par hasard via le net, je tombe sur une vidéo sur le Hip-Hop et dans ce reportage, qui je vois ? Asko ! C’était bien lui ! On arrive à reprendre contact et je m’organise pour venir à Paris. On se retrouve et un truc de fou, inexplicable, se passe comme si c’était hier, comme s’il n’y avait pas eu de coupure. Ensuite, il m’emmène dans une boutique de bombes : on s’arrête devant la boutique et il me dit : « regarde qui est là ! ». Vingt ans et toujours présents : Kay, San, Banga, Kongo et bien d’autres parmi lesquels Yank qui à l’époque m’avait laissé un souvenir de cartonneur et qui venait lui aussi après des années d’absence de s’y remettre. Bref, la révélation ! Asko et Kay me font comprendre et prendre conscience que personne n’a oublié Moze, Veak, Work et les ODC. Je n’ai pas réfléchi deux heures et je me suis tout simplement dit : les ODC sont toujours là, même s’il ne restait plus que moi ! Du coup, cinq mois après, le 20 Juin 2010, j’organise de Pau un jam graffiti, rue des Pyrénées à Paris, pour les vingt ans des ODC. J’avais invité à venir participer : Lemk, DKC, Drone 3DT, Yank 156, Esiro VEP et bien d’autres… Entre temps, j’ai repris contact avec MC Saker, Shalove (Lady’s Night) et bien sûr Asko. Le reste du Crew n’avait pas pu venir (Veak, Kest, Work, Teem, Nash et Jag avec qui je n’avais pas encore repris contact)… Tout ça pour expliquer que tout est parti de cette journée, j’ai tout simplement décidé de reformer les ODC et j’ai proposé en tout premier à Yank de refaire vivre les ODC sachant que lui redevenait actif sur Paris, ce qu’il accepta avec grand plaisir et, avec lui, on a décidé avec qui on allait en remettre une couche. Voici donc les ODC Part II : Moze, Yank, Pou7, Rob1, Xane, Drone, Esiro, Flag, Acces, Gemo, Stesi, Deace, Femor, Fiste, Boste, Skofe, Jag, Lemk, Smash, Otis, tout en gardant l’étique du Crew original… En Janvier 2012, DJ Too Tuff, célèbre DJ du groupe américain Tuff Crew, a lui aussi rejoint les ODC.

Actuellement, tu es toujours actif, une sorte de « papy » du graffiti français et ton style est toujours aussi efficace et de qualité. J’imagine que le graffiti fait partie de ta vie ?

M : D’abord merci ! Par contre, dire que le graffiti a toujours fait partie de ma vie serait mentir. En tout cas, ça m’a pris en 1986 et, même après de longues années d’inactivité, ce n’était qu’en sommeil en moi : ça te lâche pas ! C’est bien pour ça qu’en 2012, Moze est toujours là (rires) !

Y a-t-il un ambitieux projet que tu voudrais réaliser dans les années à venir ?

M : Pour mes 50 ans, pouvoir réaliser un jam graffiti old school avec les ODC et tous les papys de cette génération, le tout accompagné par Dee Nasty, DJ Asko et DJ Fab aux platines (rires)… Et mettre du Tuff Crew à fond (rires) !

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