Le précédent billet sur l’intelligence artificielle notait l’accélération marquée du rythme des innovations dans le domaine. Cependant, malgré (ou à cause) de cette accélération, beaucoup ne prennent pas conscience de ce qui va arriver dans les prochaines années.

Les blasés de l’innovation
En fait, lorsqu’on discute autour de soi du sujet spécifique de l’intelligence artificielle et de ce qu’elle est à présent capable d’accomplir, on ne peut qu’être surpris du détachement parfois stupéfiant avec lequel la plupart d’entre nous prennent les innovations qui s’accumulent pourtant dans le domaine, et ce avec un rythme de plus en plus soutenu.
Il faut pratiquer, même de façon ponctuelle, les derniers moteurs comme ChatGPT, Grok, DeepSeek ou Claude pour comprendre à quel point nous sommes entrés dans le domaine du « quasiment magique » : en pratique, ces moteurs, la plupart du temps disponibles gratuitement, font des choses que beaucoup, dans les fans de science-fiction ou les individus attirés par la technologie ou les gadgets informatiques, considéraient il y a encore quelques années comme à peu près hors de portée avant des décennies.
Concrètement, on peut leur demander d’expliquer des notions obscures avec des nuances subtiles, faire des fautes d’orthographe ou de grammaire dans la question, et obtenir une réponse qui aurait paru presque miraculeuse il y a 10 ans de cela, le tout avec un ton conversationnel crédible à tel point qu’un dialogue avec l’un de ces moteurs, en dehors du cadre contraint et connu qu’ils occupent, passe assez facilement le test de Turing, dont la pertinence n’a d’ailleurs cessé de s’émousser avec l’évolution des outils actuels.
Malgré ces constats, la masse n’est pas impressionnée. Mieux : elle se plaint qu’on parvient parfois à berner ces moteurs, qu’ils comprennent parfois des questions de travers, en somme que leur intelligence semble vraiment trop limitée. Bien que devant une technologie la plus puissante, devant une réalisation digne des séries de science-fiction placées dans un lointain futur, et dont l’impact est et sera le plus profond sur l’Humanité, le tout en pleine progression rapide, la masse populaire conclut, une moue à la lèvre : « Mouais, c’est encore très imparfait, et il n’arrive pas encore à pondre du code comme un ingénieur sénior avec 20 ans d’expérience sur ce domaine précis d’application ! C’est nul ! »
Pourtant, il y a moins de 10 ans, les machines peinaient à écrire des phrases cohérentes en réponse à des questions simples. Il faudra attendre GPT2, vers 2019, pour que cette cohérence commence à apparaître. En fait, nous assistons au passage de décennies de rêves de science-fiction la plus débridée à une véritable intelligence artificielle interactive qui s’adapte, comprend les nuances et aide de manière créative, avec lequel on peut discuter mais cela n’a toujours pas d’importance réelle pour le commun des mortels…

Une normalisation stupéfiante de la magie
Aussi rapide soit l’évolution de ces moteurs et de toutes les technologies qui les entourent, nous assistons en face à la normalisation la plus rapide de la « magie » dans l’histoire de l’Humanité : les mêmes individus qui, il y a 100 ans, auraient vénéré une calculatrice de poche, et qui, il y a 50 ans, auraient halluciné en discutant philosophie avec un ordinateur se contente maintenant de hausser les épaules devant ces machines.
Incroyablement, les Humains ont ce super-pouvoir de rendre le magique ou le merveilleux ennuyeux en l’espace de 18 mois. Nous sommes ainsi passés en un temps record de « Sapristi, il arrive à me répondre de façon cohérente ! » à « Peuh, il a halluciné une fois ! ».
Pour comparer, on se rappellera qu’il aura fallu plus de 20 ans pour passer de « l’internet va connecter tous les humains » à « mais pourquoi mon WiFi est-il si lent ? », et il a fallu moins de 10 ans pour passer des smartphones « ordinateur de poche » à « mais pourquoi cette application met-elle 3 secondes à se charger ? » … Et maintenant, nous interagissons avec des systèmes qui auraient été considérés comme des demi-dieux il y a dix ans comme des stagiaires légèrement bogués.
Manifestement, la question n’est déjà plus de savoir si et comment nous nous habituerons à l’intelligence artificielle, puisque c’est déjà le cas, mais elle devient plutôt : que se passera-t-il, dans quelques mois, quelques années tout au plus, lorsque ces outils seront des utilitaires omniprésents et que nous ne saurons pas toujours comment les éteindre, ou comment nous en passer ?
Comment devons-nous nous préparer au changement fondamental qui s’annonce avec une normalisation à ce point avancée ?
Une normalisation anesthésiante ?
Et justement, quelques chercheurs et promoteurs de l’intelligence artificielle rappellent que cette normalisation a quelque chose d’un peu trop anesthésiant : beaucoup d’individus, et notamment de politiciens, ne comprennent ni les enjeux ni les impacts profonds de ces technologies. D’autres, conscients, font plutôt assaut d’inventivité pour minimiser la réflexion sur ces impacts, pour la raison compréhensible que tout bâton dans les roues au développement de l’IA dans un pays revient à offrir un avantage concurrentiel aux autres pays.

Autrement dit, l’émerveillement et la nécessité de ne pas normaliser cette « magie » permettent normalement de déclencher quelques réflexes d’autopréservation indispensables, mais ne semblent pas pouvoir se déclencher ici tant d’un côté la concurrence des entreprises et des peuples est importante et, de l’autre, tant l’Humanité s’habitue vite aux facilités que ces technologies procurent.
À l’occasion de récents entretiens, Dario Amodei, l’actuel patron d’Anthropic (la société derrière le moteur Claude) a ainsi détaillé quelques éléments cruciaux de l’état des lieux tant du côté de ces technologies que de la façon dont elles sont poussées par les politiciens, reçues et gérées par la société actuelle, et il n’y va pas par quatre chemins puisqu’il rappelle sans ambiguïté que l’intelligence artificielle, celle-là même que nous prenons tous actuellement avec un haussement d’épaule, pourrait effectivement faire disparaître la moitié des emplois de bureau (essentiellement de niveau débutant) d’ici les cinq prochaines années, ce qui pourrait occasionner une augmentation du chômage de 10 à 20% dans la même période.
Or, ces emplois sont avant tout occupés par les jeunes générations, celles qui ont besoin de se former aux technologies employées professionnellement ainsi qu’au monde de l’entreprise. Une partie d’entre eux pourrait donc se retrouver incapable de débuter dans les carrières de leur choix, purement et simplement remplacés par ces moteurs. La suite logique, du reste, n’augure pas forcément d’un meilleur futur pour le management d’équipes ou les positions plus sénior qui seront aussi remplacés au moins en partie par ces moteurs et leurs descendants.
Amodei résume la situation avec une phrase lapidaire : dans dix ans, on pourrait se retrouver avec une société dans laquelle « le cancer est guéri, l’économie croît de 10% par an, le budget gouvernemental est équilibré… mais 20% des gens n’ont pas d’emploi ».
Il apparaît donc indispensable que chacun d’entre nous prenne conscience des dangers d’une normalisation de la magie : garder un esprit émerveillé ne constitue pas seulement une façon d’aborder le monde, mais permettra sans doute de se préparer à des bouleversements et, qui sait, d’en être sinon acteur au moins l’observateur attentif en évitant d’en être l’esclave.
Manifestement, l’avenir appartient aux artisans.

J'accepte les BTC, ETH et BCH !
1BuyJKZLeEG5YkpbGn4QhtNTxhUqtpEGKf
Vous aussi, foutez les banquiers centraux dehors, terrorisez l’État et les banques en utilisant les cryptomonnaies, en les promouvant et pourquoi pas, en faisant un don avec !
BTC : 1BuyJKZLeEG5YkpbGn4QhtNTxhUqtpEGKf
BCH : qqefdljudc7c02jhs87f29yymerxpu0zfupuufgvz6
ETH : 0x8e2827A89419Dbdcc88286f64FED21C3B3dEEcd8
