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Réfutation des médisances de Christian Khanda et Hugues Pierre sur la transmission du texte biblique

Par Monarchomaque

Cet article est une appréciation de la vidéo ci-dessous.

Je partage la croyance de messieurs Christian Khanda et Hugues Pierre dans l’importance primordiale de la doctrine de la préservation des Écritures Saintes, et je suis passionné par la transmission providentielle des oracles divins aux cours des millénaires de l’histoire de la Rédemption. Toutefois, j’estime que la thèse spécifique promue par ces deux internautes, à savoir que pour le N.T., seul le soi-disant “texte reçu” grec doive être considéré comme étant le texte inspiré correctement préservé, est intenable sur les plans théologique et historique. Pour cette raison, je vais répondre ci-dessous aux erreurs les plus sérieuses que j’ai constaté dans cette discussion (que j’ai écouté très attentivement).

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Tout d’abord, vers la minute 12:10, Hugues Pierre s’en prend à la critique textuelle, qu’il présente comme une pratique remontant au XIXème siècle. En réalité, la critique textuelle est aussi ancienne que l’existence de variantes textuelles entres différentes copies manuscrites puis tapuscrites du texte du N.T. Dès l’Antiquité chrétienne, des Pères de l’Église relatent l’existence de variantes et s’attèlent à la critique textuelle, discipline qui consiste à évaluer les variantes connues dans le but de déterminer celle qui correspond au texte révélé original. J’ai reproduit plusieurs définitions et descriptions de la critique textuelle du N.T. venant d’ouvrages académiques chrétiens ici (donc Hugues Pierre ne pourra pas plaider que j’invente une nouvelle définition juste pour les fins de mon propos) : Introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament.

Hugues Pierre s’émeut de la notion de « restauration » du Texte Sacré qui est sous-jacente à la critique textuelle. Or si l’on détecte une erreur humaine dans la transmission du texte, que l’on identifie la variante correcte via une démarche de critique textuelle, puis que l’on corrige cette erreur en remplaçant la variante erronée par la variante correcte, cette rectification consiste indubitablement, pour ce lieu-variant, en une *restauration* du texte.

D’ailleurs, ces nouveaux zélateurs du “texte reçu” (TR) ont beau s’émouvoir du concept de *restauration* du texte néotestamentaire, les utilisateurs du TR s’adonnent volontiers depuis 500 ans à cet exercice de *restauration* ! Quelques exemples :

→ En Luc 2:22, Érasme suivi par la Bible de Genève française de 1553 disent « LEUR purification » ; puis Bèze éventuellement suivi par Ostervald *restaurent* (ou s’imaginent restaurer) le texte à « SA purification ».
→ En Luc 17:36, Érasme suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 omettent le verset en entier ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* le verset en entier.
→ En Romains 12:11, Estienne suivi par les Bibles réformées françaises de 1535, 1540 et 1553 disent « servant AU TEMPS » ; puis Bèze suivi par les versions TR ultérieures *restaurent* ce texte à « servant LE SEIGNEUR ».

Démonstration faite : Les biblistes réformés du XVIème siècle n’hésitaient pas à (tenter de) *restaurer* le Texte Sacré en le purgeant de ses corruptions – réelles ou imaginaires – au moyen de la critique textuelle. C’est un fait historique irréfutable.

Vers la minute 16:20, puis encore à 46:05, 56:00 et 1:18:50, Christian Khanda plaide répétitivement que le texte reçu est *le* « texte protestant » et que les confessions de foi protestantes « sont basées sur le TR ». Khanda insiste surtout sur l’article 1:8 de la Confession de Westminster, qui énonce que l’A.T. et le N.T. furent « gardés purs, au long des siècles, par sa providence [de Dieu] et ses soins particuliers » (formulation identique dans la Déclaration de Savoy congrégationaliste de 1658 et la Confession réformée baptiste de 1689). Khanda essaie de capitaliser sur cette affirmation crédale très prudente pour faire accroire à ses auditeurs que le protestantisme réformé confessant est obligatoirement assujetti à sa thèse d’exclusivité du TR. Cette attitude émane d’une compréhension inadéquate de cette clause confessionnelle.

Sans m’attarder sur le fait que le TR est, historiquement, une coproduction de la Papauté idolâtre (!), je démontre dans mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée, la préservation des Écritures Saintes et la critique textuelle du N.T., plus précisément à la section 2 intitulée L’orthodoxie réformée ne requière pas d’adhérer à une traduction et à un texte-type spécifiques, que l’article 1:8 des Westminster / Savoy / 1689 ne peut pas être valablement instrumentalisé pour délégitimer tous les textes néotestamentaires grecs autres que le TR.

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À la minute 20:50, Christian Khanda fait allusion à la redécouverte du Codex Sinaïticus (oncial ℵ01) au milieu du XIXème siècle (mais sans l’identifier explicitement), puis généralise ensuite en alléguant que le peuple de Dieu n’a pas utilisé ces textes de manière ininterrompue au fil des siècles. Monsieur Khanda mêle vraiment les cartes ici.

Pour commencer, qui est le « peuple de Dieu » ? À partir du IXème siècle, avec le triomphe définitif de la pseudo-orthodoxie (rétablissement durable de l’iconodoulie) dans l’Empire byzantin, l’Église grecque d’Orient devient quasiment aussi hérétique que l’Église catholique romaine (culte des saints = polythéisme, etc.).

Dans cet Orient hellénique, seul le clergé avait un contact direct & régulier avec la Bible… or ce contact n’était pas forcément reluisant. Il n’était pas rare pour les moines byzantins copiant ces Bibles grecques tardives d’y insérer une prière en postlude où ils remercient la Vierge Marie – comme une déesse – de les avoir aidés à copier le manuscrit ! C’est ça le « peuple de Dieu » selon Khanda ? Rappel : les vrais chrétiens sont monothéistes.

Ensuite, concernant l’utilisation effective des grands onciaux tels le Codex Sinaïticus (ℵ01), le Codex Vaticanus (B03) et le Codex Alexandrinus (A02), ce n’est pas parce que ces manuscrits n’étaient pas utilisé lors de leur redécouverte (ou revalorisation) aux XVII-XIXèmes siècles qu’ils n’ont jamais été utilisés ! Bien au contraire, ces codices furent tellement utilisés qu’ils tombent en lambeaux et même que plusieurs de leurs portions physiquement situées sur le dessus ou le dessous sont disparues depuis très longtemps à force d’usure. Ainsi, le Sinaïticus est usé à la corde : le 1er folio survivant commence à Genèse 21:26, et à vrai dire la majeure partie du texte précédant 1 Chroniques 9:27 est manquant. Et dans le Vaticanus, les folios portant l’original d’Hébreux 9:15 jusqu’à la fin du N.T. furent perdus avant même l’arrivée de ce manuscrit en Occident au milieu du XVème siècle. Donc ces Bibles ont amplement été utilisées.

La raison pour laquelle ces grands onciaux n’étaient pas en usage en Orient au moment où ils furent transportés en Occident (ou découverts en Orient par des protestants occidentaux) aux XV-XIXèmes siècles, c’est que plus personne sur la planète n’utilisait le script dans lequel ils furent écrits. Duh ! Ces Bibles grecques de l’Antiquité furent entièrement copiés en lettres onciales (majuscules arrondies). Or au VIIIème siècle, autant en Occident latin qu’en Orient grec, les lettres minuscules sont inventées. Ce nouveau script en minuscules remplace rapidement le vieux script en majuscules, et en quelques générations les documents écrits en majuscules sont délaissés parce que devenus désuets aux yeux des lecteurs désormais uniquement habitués à la graphie minuscule.

Monsieur Khanda devrait s’éduquer un peu sur l’histoire de la codicologie chrétienne et de la transmission du texte biblique avant de raconter des balivernes condamnatoires. En ce sens, l’analyse des variantes textuelles contenues dans les citations bibliques des écrits patristiques démontre que dès l’Antiquité, tous les quatre principaux textes-types étaient connus et utilisés dans l’Église chrétienne ; voir mon article L’origine géographique et chronologique des différents textes-types du N.T.

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À la minute 28:00, Hugues Pierre avance que le “texte reçu” est assimilable au texte majoritaire de l’Orient grec médiéval. C’est un argument pro-TR très à la mode, mais fallacieux. La vérité est plus complexe que ça. Le TR est une fabrication éclectique datant du XVIème siècle. En réalité, il existe plus d’un millier de variantes textuelles traduisibles entre le TR et le texte majoritaire byzantin ! Certes, en moyenne, le TR est comparativement plus proche du texte majoritaire que ne l’est le texte standard Nestle-Aland (le texte critique le plus répandu), mais on ne peut pas prendre pour acquis que le texte majoritaire va nécessairement s’aligner avec le TR contre le texte standard (qui est surtout basé sur le texte alexandrin), parce que dans plus de 85 cas, le texte majoritaire concorde avec le texte standard contre le TR ! Voir l’article Leçons du Nouveau Testament où le texte alexandrin concorde avec le texte majoritaire contre le texte reçu.

À la minute 24:00, Christian Khanda attaque la critique textuelle moderne du N.T. comme étant une méthode naturaliste, « la théorie de l’évolution appliquée à la Parole de Dieu », dit-il. Dans la même veine, à la minute 45:00, Hugues Pierre prétends que pendant 300 ans (grosso modo de 1500 à 1800), tout le monde était content avec le texte reçu grec. Ces deux assertions sont erronées.

La critique textuelle moderne de la Bible n’est que le prolongement de la critique textuelle humaniste (pas dans le sens laïciste du terme) et réformationnelle amorcé au XVIème siècle. Dès les premières itérations du TR, plein d’érudits – protestants comme catholiques – étaient conscients des lacunes et des faiblesses de ce texte, c’est pourquoi ils n’hésitèrent pas à le modifier ou à préconiser sa rectification (comme par exemple Théodore de Bèze qui argumente contre l’authenticité de la péricope de la femme adultère dans son édition du TR de 1598).

Mais l’état précoce et fragmentaire de la connaissance des manuscrits grecs du N.T. au début du XVIème siècle fit en sorte que l’entreprise colossale consistant à répertorier et collationner ces manuscrits dispersés à travers l’Europe et l’Asie a nécessité ± 300 ans. Donc c’est tout à fait normal, vu cette progression graduelle des connaissances, que ce n’est qu’au XIXème siècle que l’on put produire un texte standard grec apte à remplacer le TR.

Des chrétiens dévoués participèrent à tout ce long processus, comme je l’explique dans la section La critique textuelle est un vecteur de la providence rédemptrice de Dieu de mon étude Considérations sur l’orthodoxie réformée et la préservation des Écritures Saintes (section 4).

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Vers la minute 57:05, Christian Khanda évoque la variante trinitaire « Dieu le Fils unique » du texte critique (TC) en Jean 1:18, lieu-variant ou le texte reçu porte la variante non-trinitaire « le Fils unique engendré ». Khanda essaie de sauver la réputation de cette variante non-trinitaire du TR en arguant que c’est plutôt le TC qui serait jéhoviste ici. Hugues Pierre s’efforce de lui prêter main forte dans les minutes subséquentes.

Durant l’Antiquité chrétienne, beaucoup de Pères de l’Église utilisèrent des Bibles attestant cette variante « Dieu le Fils unique » du TC en Jean 1:18 – comme les papyri P66 (copié en l’an ≈150) & P75 (copié en l’an ≈175) ou la Peshitta araméenne – et citèrent explicitement cette variante trinitaire dans leurs écrits :
• Irénée de Lyon dans ‹Contre les hérésies› (§ 4:20:11).
• Clément d’Alexandrie dans ‹Stromates› (§ 5:12).
• Origène d’Alexandrie dans ‹Commentaire du Jean› (§ 2:29) et dans ‹Contre Celse› (§ 2:71).
• Eusèbe de Césarée dans ‹Théologie ecclésiastique› (§ 3:7).
• Basile de Césarée-en-Cappadoce dans ‹Sur le Saint-Esprit› (§ 6:15, 8:17, 8:19 et 11:27).
• Didyme l’Aveugle dans ‹Commentaire sur Zacharie› (§ 5:33) et dans ‹Commentaire sur Ecclésiaste› (§ 12:5).
• Épiphane de Salamine dans ‹Ancoratus› (§ 2:5 et 3:9) et dans ‹Panarion› (§ 612 et 817).
• Sérapion de Thmuis dans ‹Contre les manichéens› (p. 639).
• Cyrille d’Alexandrie dans ‹Commentaire sur Jean› (§ 1:10), dans ‹Contre Nestorius› (§ 3:2 et 5:2), dans ‹Le Christ est un› (non numéroté) et dans ‹Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate› (§ 35 ss).

Alors, doit-on conclure du raisonnement de messieurs Khanda et Pierre que les sommités patristiques qui nous ont légués la trinitariologie orthodoxe – tels Basile de Césarée et Cyrille d’Alexandrie – étaient des précurseurs des jéhovistes modernes ?! C’est complètement ridicule. Et Jean 1:18 n’est pas le seul lieu-variant où le texte critique / standard enseigne une christologie supérieure au texte reçu. Y’en a plein d’autres, voyez ces tableaux comparatifs : La christologie des Bibles basées sur le texte standard n’a rien à envier à celle des Bibles basées sur le texte reçu.

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À la minute 1:02:15, Hugues Pierre feint d’adresser le problème des variantes textuelles internes du TR. Malgré qu’il reconnaît que ces variantes existent, il esquive le fait que ces variantes intra-TR obligent les tenants du TR à effectuer de la critique textuelle (s’ils veulent départager les bonnes variantes des mauvaises variantes). Pierre préfère revenir à la charge avec son « objection de principe » au texte critique, à savoir que ce TC présupposerait que « le texte biblique a été perdu, corrompu, et détruit ».

Or cette pirouette rhétorique ne fonctionne pas, car les tenants du TC disent que le texte biblique fut corrompu puis fut rétabli UNIQUEMENT LÀ OÙ IL Y A DES VARIANTES (c’est-à-dire environ 5 à 10 % maximum du texte du N.T.). On revient donc aux variantes !

Dans la suite immédiate de l’entretien, Hugues Pierre expose sa distinction entre un « texte fermé » (le TR selon lui) et un « texte ouvert » (le TC selon lui). Le TC, puisqu’il serait toujours susceptible d’être amélioré dans le futur, serait coupable de « régression à l’infini », il serait modifiable sans aucun garde-fou et sans aucune limite.

C’est une fausse représentation. Loin de menacer la stabilité du texte, les découvertes archéologiques, muséologiques ou archivistiques de « nouveaux » manuscrits néotestamentaires sont toujours appréciées à la lumière de l’immense bagage de connaissances portant sur la masse des 6000+ manuscrits grecs déjà en notre possession. C’est pour ça que le texte standard Nestle-Aland a très peu changé depuis sa 1ère incorporation substantielle de l’apport des papyri dans l’UBS3 (1975) / NA26 (1979).

Nous sommes en bon droit de demander aux zélateurs du TR pourquoi c’était légitime de modifier le TR de 1516 (1ère éd. d’Érasme promue par le pape de Rome) jusqu’en 1881 (éd. de Scrivener promue par la Société biblique trinitaire), mais ça ne serait pas légitime de réformer le TC entre 1975 et 2026 (date prévue de parution du NA29) ? En vertu de quoi devrions-nous nous astreindre à cette braquette temporelle arbitraire imposée par les zélateurs du TR ?

En attendant qu’ils répondent à cela, il est instructif d’explorer les contradictions internes du TR, ce que je propose au lecteur de faire via cet article : Le “texte reçu” versus le “texte reçu” : Un survol des variantes internes au TR.


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