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Echec et autres replis stratégiques

Publié le 04 juillet 2025 par Alexcessif

Echec autres replis stratégiques

Œuvre de Suzanne Triester

Concours de nouvelles du journal de mon ancien quartier 3000 signes commençant par:

« En ouvrant le journal Bacalan tout juste arrivé dans ma boîte aux lettres, quelle surprise !… »

...Autant tuer le suspense d’entrée, la surprise n’était pas contenue dans les pages du journal mais dans sa présence « chez moi »

A vrai dire j’avais battu en retraite depuis quelques années et le journal avait oublié mon adresse et mon existence. Le quartier et moi, c’était une histoire digne d’un roman, indigne d’une histoire d’amour. J’entamais la liste des mauvais choix en garant ma soucoupe violente à la frontière naturelle formée par les bassins à flot. Un livreur de Domino’s pizza m’avait informé de la dangerosité du quartier où il ne s’aventurait pas au delà du pont tournant. Pourtant, lors de mon premier passage sur cette planète dans l’identité et la mémoire du corps que j’avais emprunté, il me souvint que l’agent payeur des allocations familiales faisait sa tournée avec de l’argent liquide dans sa musette. Dans la cité, son passage était annoncé à chaque entrée et certaines familles l’attendaient pour faire les courses. C’était une époque où le moindre fonctionnaire représentant la moindre institution était respecté. A partir de Mai 68 l’état post De Gaule est sans doute devenu moins respectable mais, en ma qualité d’alien originaire de la 5 ème planète tellurique de la galaxie, il serait de mauvais goût d’émettre un jugement. 

Dés les années 2000 et au-delà il n'était plus nécessaire d'être John Wick pour garer sa Mustang rue des Pelourdes où les gitans du camp de Labarde s'étaient sédentarisés. La zone était devenue safe et le mètre carré était au standard d'un arrondissement parisien 

« Battre en retraite, repli stratégique, un truc de militaire qui suggère un retour, une revanche. Depuis Azincourt, où la chevalerie française avait laissé des plumes, le concept de vaincre ou mourir laissait peu de chance à un avenir prospère. Les bidasses s’étaient reconnectés à l’instinct de conservation et tant pis pour le panache. En 2017 De la même façon, battu à plate couture et sans gloriole, j’avais quitté le quartier, la ville et la planète avec des idées de revanche à la Monte Cristo sans autres ennemis que ceux qu’avait inventé ma rancoeur. La nostalgie ainsi que la rancune sont à ranger dans la liste des mauvais choix. La preuve, pas moyen de redémarrer la soucoupe! J’ai vérifié l’allumage, bougies et vis platinées, fait changer le carbu au Garage moderne et je prenais mes repas incognito au Bar de la Marine. Toujours situé dans la « rue bleue* » il y a un menu ouvrier mais il n’y a plus d’ouvriers. L’envie de voir les bolchéviques de ma connaissance était encore un mauvais choix mais j’avais suffisamment de lucidité de ne pas en décider l’option. Un ancien rouge avait attiré mon attention sur le respect dû à « ceux des boulevards » et je me suis abstenu refoulant la nostalgie de la soirée collage lors de la campagne électorale. On croit disposer d’un libre arbitre mais ce n’est qu’une illusion. Athée au dernier degré je garde un dosage de naïveté suffisant pour être heureux ou faire semblant de l’être dans l’idée de le devenir un jour.

Rentrant à la nage dans ma soucoupe en rade je découvris le journal et la raison de sa présence. Grâce à la vision panoptique que m'offrait la position de ma soucoupe au milieu du bassin,  j’aperçu le sillage évocateur de mon livreur en éloignement. C’était Marcel le ragondin*primo occupant de la zone et porteur de journaux qui m’avait repéré

* la rue bleue ainsi nommée par le nombre d'usines et d'ateliers situés à cette adresse devenait bleue comme les cottes de travail des ouvriers qui l'envahissaient à la débauche 

* Marcel le ragondin est un " personnage" récurrent symbole de la résistance contre la pression immobilière. La soucoupe "violente" fait partie des envahisseurs au centre des combats de Marcel 


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