












— Tu me vois pas?
Un prince des rues! Je suis sur le territoire de l’aristocratie populaire mais bien qu’il en porte l’élégance je sais pour l’avoir croisé que ce n’est pas le représentant légitime de la place Meynard. Son territoire commence rue Maubec et se termine rue Clare à l’entrée des Capus sur la présipauté de Germaine, reine du steak frite. Je suis sur sa trajectoire, il sort de chez Garfield et je m’y rends
— C’est toi le shérif?
Comme il a fait qq pas il se retourne et me toise. Beau mec. Elégant, il porte un chapeau colonial un peu décalé sous nos latitudes, une canne en fourragère à l’épaule, un gilet de lin et un futal du même métal formant un camaïeu de beige et de blanc cassé assez photogénique. La quarantaine, le genre de gonze aux gènes recherchés par les mammifères femelles. Une dégaine de proxo rangé des bagnoles pour lancer une start up de vol de vélos électriques. Le teint mat, silhouette fit, de la noblesse dans les traits, j’imagine un descendant de la reine de Sabbat échappé d’un roman de Pierre Benoit reconvertit en cracheur de feu puis en artiste aux Diabolos pour cause de retour de flamme dans la gueule car il y a des traces de greffe de peau par endroit.
Il s’approche juste assez pour apercevoir sur mon visage les traits de celui qui n’a plus rien à foutre de rien
—T’es giron petit bonhomme. T’as dû taper de l’abricot quand t’étais jeune …
On s’est reconnu: deux fauves en zone promenade d’une maison d’arrêt en province. Inutile de se friter, ça ferait de la poussière
— Disons que des reines m’ont aimé…
— …Tistet Védène, la mule du pape…
Là, il m’a tué. 1) Pour avoir été scolarisé, 2) d’avoir lu Daudet et 3) de s’être souvenu des lettres de mon moulin. Ainsi que deux pits muselés on entame une conversation de caniches castrés à mémère.
— Tu connais Serge K.?
Il ne connait pas! Sans doute un parachuté. Nous échangeons encore un peu, il cause de Montmartre, sa déception et sa préférence pour St Mich’. J’évite d’évoquer le TGV qui vomit des parisiens copiés/collés tous les jours. J’aperçois dans son dos un mec en train de braquer la batterie de mon vélo. Sans se retourner il lance: « laisse tomber Momo c’est un cousin. »
C’est lui qui a raison. Si on veut mettre un terme à l’exode ethnique des adeptes du bermuda/Birkenstock et du sphincter souple avant qu’un Zadig & Voltaire ne s’installe rue des Faures, faut dépouiller tous ces cons. Il a un pote chez S.O qui se répand dans la feuille de choux locale sur l’insécurité du quartier. Pour l’instant ça marche! Tant qu’il n’y aura pas une agence immo franchisée Stéphane Plazza ça sentira pas trop la merde.
— C’est quoi ton blaze?
— Karim! Et il part sans se retourner
C’est jour de marché. La partie alimentaire semble subsister dans l’espace laissé vacant du chantier de rénovation de la flèche mais j’ai aperçu les anciens qui déballent des merdes sur une couverture vers le parking des Salinières. Celui à ciel ouvert le long des quais éponyme parallèle à la rue de la Fusterie.
Une trottinette tueuse me rate de peu. La nuit tombe, je pense à Virginia Woolf au crépuscule du jour et de sa vie entrant lucide et résolue dans l’eau, élégamment vêtue à l’âge désœuvré de la compréhension dumonde avec au cœur…
"… la tristesse de comprendre que la vie n'est pas une grande aventure, mais une succession de petits moments insignifiants, que l'amour n'est pas un conte de fées, mais une émotion fragile et fugace, que le bonheur n'est pas un état permanent, mais un aperçu rare et fugace de quelque chose auquel on ne peut jamais s'accrocher. Et dans cette compréhension se cache une profonde solitude, un sentiment d'être coupé du monde, des autres, de soi-même."
… Viginia Woolf pourrait-elle quitter ce monde en se précipitant dans la Garonne au guidon d’une trottinette électrique attifée full Nike, une sacoche LVMH en bandoulière pendant que Zarco claque la pôle à Suzuka ?
Je dîne encore au Garfield spéculant sur l’attachement que la serveuse pourrait concevoir à mon endroit grâce au pourboire royal d’hier.
Las, elle m’a oublié.
Bien sûr, body fit, piercings à déclencher des alarmes, tatouée comme un mur de pissotière, mascara, eye-liner yeux de biche, en période d’ovulation elle clignote de partout. Quarantenaire solo, entre cause perdue et désespoir ordinaire, elle a l’atout fraîcheur encore qq années de la croupe ferme de celle que tu ne risques pas d’envoyer chez le kiné après une levrette énergique. A cinquante piges il lui restera le dix de der d’un sans papier rencontré dans une manif du DAL à convaincre de la retrouver dans son studio pour la nuitée et plus si affinité mais mieux vaut la jouer safe pendant la décennie fantastique avant le demi-siècle et que la pesanteur ne s’en prenne à son 95 D. Elle échange avec moi d’un commerce équitable et professionnel pour me fourguer des rillettes de poisson et un bol de frites.
J’ai un paradigme de vieux con frustré qui ne s’entends pas trop dans ma conversation de faux derche et je vais avoir l’occasion de démontrer mon ouverture d’esprit sur ce territoire des perdants magnifiques quitte à finir en garde à vue.
Le quartier est un théâtre à ciel ouvert fac « simulé » ou cross over d’une cour des miracles du Montmartre de pacotille et d’un Paris d’Eugène Sue où les dealers remplacent les surineurs.
Ça s’invective un peu du coté de la pharmacie. Y a un mec bourré qui ne manque pas de panache contre un quarteron de bleus en patrouille qui n’ont pas grand chose à lui reprocher. Le groupe de flic s’éloigne et le mec aussi de son coté.
L’incident est clos. Pas tout à fait. C’est le plus petit des flics qui revient sur ses pas et le pousse violemment dans le dos. Souvent on trouve statiquement une majorité de frustrés chez les gens de petite taille. Le groupe, l’uniforme, le « bouclier de la loi » d’un personnage de Fernand Reynaud lui donne du courage. Le mec chute violemment, un attroupement à majorité féminin se crée. Le courage est souvent du coté des fendues, leur humanité les pousse à l’indignation, les encouillés ne font que suivre les phéromones. Sur les barricades depuis Delacroix et les billets de 10 balles une femme topless est plus sexy qu’un drapeau présent juste pour la déco. Alors je gueule sans lever le Q de ma chaise « Ça fait beaucoup là, non? » à voix haute mais pas trop. Un des flics plutôt du gabarit au dessus se précipite et se casse la gueule tout seul comme un grand, le reste du groupe se précipite, plaque le mec au sol et le menotte. Je n'y suis pas allé car mes frites allaient refroidir mais j’imagine la main courante: « refus d’obtempérer, rébellion et voie de fait sur un représentant des forces de l’ordre » Le panier à salade passe sirène hurlante pour franchir les qq mètres jusqu’au commissariat en toute sécurité.
Fin de l’histoire, dormez tranquille brave gens!
Comment faire monter la mayonnaise d’un non-évènement fabriqué par des bons à rien! J’ai des envies de guillotine que je réprime aisément avec une honte très ordinaire. Pas de garde à vue pour moi puisque personne n’a entendu mon intervention vocale.
Je me remet focus sur des trucs importants. Zarco a encore gagné les 8 heures de Suzuka pour Honda. Je regagne la voiture, enclenche le contact, l’ordinateur de bord me signale « délai d’entretien dépassé »
Qu’est-ce que tu crois? Moi aussi chuis un rebelle!
