Pour la compréhension de ce livre original, il convient au préalable de définir deux mots:
- Charpille: Copeau, résidu de bois du rabot.
- Mobbing: Harcèlement psychologique au travail.
Comme il est question de mobbing, le titre Charpilles évoque la mise en charpie psychologique d'un collaborateur.
Le livre est d'un format inhabituel: 31 cm x 24 cm (c'est pourquoi il n'est pas facile de l'emporter avec soi... et que j'ai mis du temps à m'y plonger).
Les frères Decoppet se sont répartis la tâche: les 45 textes sont de Valentin et la conception graphique de Sacha.
Pour le lire, il faut s'habituer à cette conception graphique: il faut certes lire les textes de haut en bas, mais, suivant le texte, lire de gauche à droite puis, parfois, de droite à gauche, parfois traverser de la page de gauche à la page de droite.
Par ailleurs d'une double page, l'autre, les polices et tailles de caractère changent, ce qui ne laisse pas d'avoir un effet... psychologique sur le lecteur.
Enfin la répétition lancinante de certains mots ne peut manquer de frapper son esprit.
Le lecteur, s'il veut comprendre l'ouvrage, a intérêt à lire le mot-clé de chaque double page, qui se trouve en marge, à gauche et à droite. S'il est malin, il n'attendra pas d'aller au bout de sa lecture pour aller à la page 101 où le nombre 45 est expliqué, qui éclaire la construction de l'ouvrage:
C'est en s'intéressant à plusieurs cas d'infirmières qui s'étaient suicidées ou avaient tenté de le faire que le psychosociologue suédois Heinz Lehmann (1932 - 1999) développe le Lehmann Inventory of Psychological Terror, une liste de 45 agissements constitutifs du mobbing - ou harcèlement psychologique. Pour Lehmann, il suffit qu'un des points de cette liste se produise au moins une fois par semaine pendant environ 6 mois pour que l'on puisse parler d'une situation de mobbing.
Le lecteur ainsi averti comprendra alors pourquoi il est fait allusion, de temps à autre, à Lehmann... dans les textes du livre.
Pour donner une idée du contenu, voici un extrait d'un des quarante-cinq textes, qui ne respecte volontairement pas la conception graphique du livre, difficile à reproduire, et introduit une ponctuation, inexistante:
La signature
- Je vous ai demandé plusieurs...
- plusieurs fois, plusieurs fois... Il faut arrêter de se chercher des excuses. Si vous voulez ma signature, vous venez dans mon bureau. Vous dites là: j'ai besoin de votre signature pour les autorisations, et voilà. C'est pas sorcier. C'est pas plus compliqué que ça.
- C'est pas compliqué, mais...
- Mais. Pas de mais. Il faut vous secouer les puces. C'est pas une manière de travailler. Si tout le monde faisait comme vous, vous vous imaginez le merdier. Il faut vous secouer les puces, vous sortir les pouces, mon petit.
- Oui mais.
- Pas de "oui mais", nom de Dieu ! Vous êtes bouché ?
- Vous n'êtes jamais là.
- C'est le pompon ! C'est pas croyable ! C'est ma faute ! Vous n'aviez qu'à écrire un mail.
- Je vous ai écrit trois mails
- Ah oui. Vous êtes sûr ? Je n'ai rien reçu.
- Je peux vous les renvoyer.
- Non. Mais c'est pas grave. Écoutez, passez-moi le papier. Je le signe. Comme ça, c'est fait et vous avancez, parce que la semaine prochaine je veux que ça soit réglé. Continuez à faire du bon travail. D'accord ?
- D'accord.
Ce texte est violent dans le fond, mais il l'est moins dans la forme. Ce n'est pas toujours le cas. Dans certains textes d'illustration, le supérieur hiérarchique se permet d'être délibérément beaucoup plus grossier...
Il permet de comprendre le but recherché par les auteurs - puissent-ils être entendus par ceux qui se comportent mal avec leurs collaborateurs, sans souci des conséquences:
Nous ne voulons pas dénoncer, mais montrer, faire sentir la destruction des personnes. Et avec un peu de chance faire changer les choses.
Francis Richard
Charpilles, Valentin et Sacha Decoppet, 104 pages, Bernard Campiche Éditeur
Livre précédent de Valentin Decoppet:
Les déshérités (2021)
